Ils sont trois candidats à la présidentielle – Marine Le Pen (FN), Benoît Hamon (PS) et Emmanuel Macron (En Marche) – à préconiser dans leurs programmes la vente des médicaments à l’unité. Une idée assez ancienne puisqu’en 2014 déjà, dans le cadre du budget 2015 de la Sécurité sociale, Marisol Touraine décidait d’une expérimentation touchant la délivrance des antibiotiques à l’unité, auprès de 100 pharmacies volontaires. Mais ni le LEEM (Les entreprises du médicament) ni la plupart des pharmaciens n’en veulent.
Inspirée essentiellement par la lutte contre le développement de la résistance aux antibiotiques, l’évaluation de l’expérimentation de 2015 avait été confiée à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale); un rapport d’étape avait été diffusé, en 2015, mais depuis, plus rien. “Nous n’avons jamais eu copie de l’évaluation finale”, confirme le Dr Eric Myon, secrétaire général de l’UNPF (Union nationale des pharmaciens de France), expérimentateur dans sa propre officine.
Pourtant, l’équipe d’Emmanuel Macron semble persuadée du bien-fondé de la mesure pour la santé publique, l’observance et l’équilibre des comptes de l’assurance maladie, puisque le Dr Olivier Véran, député, neurologue et conseiller santé du leader d’En Marche, estime à 700 millions d’euros les économies potentielles liées à la vente de médicaments à l’unité. Un chiffre tiré d’une évaluation de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales), estimant à 7 milliards d’euros le montant annuel des gaspillages de médicaments par nos concitoyens. Les économies potentielles représenteraient 10 % du total.
“Des chiffres fantaisistes”, balaie Philippe Lamoureux, le directeur général du LEEM (Les entreprises du médicament). Le syndicat patronal est opposé au déconditionnement à l’unité, qualifié de “mauvaise réponse à une vraie question“, car elle mêle deux idées, le bon usage du médicament et les économies liées à la lutte anti gaspi. “Le marché du médicament, c’est 25 milliards, dont 6 à l’hôpital. Restent 19 milliards dont 7 n’auraient pas été consommés par les patients ? Sachant que les médicaments pour les affections chroniques ne sont pas concernés, il est impossible que le gaspillage s’élève à 7 milliards“, développe Philippe Lamoureux, précisant que le total des médicaments récoltés en 2012 par la filiale Cyclamed, qui récupère les médicaments non consommés, déposés par les patients chez le pharmacien, a représenté 12 000 tonnes, soit 700 millions d’euros. “Les politiques manquent d’expertise et de recul pour faire la part des choses’“, juge-t-il.
“On perd de l’argent”
“La iatrogénie représente un cout de 1 milliard d’euros, et l’inobservance, 9 milliards environ, avance de son côté le Dr Eric Myon. Dans une vision de santé publique, il ne nous est pas interdit de réfléchir”, estime-t-il. Un peu “resté sur sa faim” à la suite de l’expérimentation de 2015 dont les résultats finaux n’ont pas été diffusés, le syndicaliste pharmacien “se garde d’opinions à l’emporte-pièce. Lors de la délivrance de produits très chers, le pharmacien a un vrai rôle d’accompagnement à jouer.” De la même manière, ajoute-t-il, son rôle est fondamental dans la titration des neuroleptiques – montée en charge progressive des produits délivrés, pour surveiller et limiter les effets secondaires. Mais le mode de conditionnement actuel ne se prête pas à la délivrance à l’unité des médicaments, souligne-t-il.
Eric Myon a calculé qu’en moyenne, il faut 6 minutes de “temps pharmacien”, soit 3,80 euros, pour découper les blisters, vérifier le numéro de lot pour la traçabilité, réimprimer la notice si nécessaire et mettre le tout dans un sac pour le patient. Un temps de manipulation qui doit donner lieu à dédommagement, estime-t-il. L’expérimentation Inserm prévoyait le versement forfaitaire d’une enveloppe de 500 à 1 500 euros annuels, ce qui “ne suffit pas, on perd de l’argent“.
L’opinion des officinaux est à l’image de ce constat. Interpellant François Fillon dans le cadre de l’Union nationale des associations de professionnels libéraux (UNAPL) le 29 mars dernier, Philippe Gaertner, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), a brocardé les propositions qui “ne tiennent pas compte des réalités des métiers. C’est par exemple le cas quand on parle de dispensation de médicaments à l’unité pour des patients chroniques. C’est une aberration !”, a-t-il lâché devant le candidat LR.
Selon un sondage réalisé en ligne pour le site Celtipharm.com, le 27 mars dernier, 90 % des avis exprimés s’opposent à la vente à l’unité. Plusieurs arguments sont mis en avant pour repousser cette hypothèse, à commencer par le fait que seule une fraction des prescriptions est concernée; le problème du stockage est également mis en avant. Le déconditionnement pose aussi un problème de sécurité, notamment pour les personnes âgées, et d’hygiène, également. “Les pays qui pratiquent la délivrance à l’unité* sont confrontés à un gros problème de contrefaçon, ajoute Philippe Lamoureux. Il n’y a plus de garantie de l’origine du produit”, précise-t-il.
Et les rappels de lots ?
Et enfin, une directive européenne va imposer aux industriels d’ici 2018 un codage très coûteux des médicaments à la boîte, gage de traçabilité. “Si nous sommes confrontés à une urgence sanitaire, avec une obligation de rappel des lots, cela sera impossible dans un cas de vente à l’unité“, insiste le directeur général du LEEM. “De l’eau va couler sous les ponts avant qu’elle nous soit opposable, tempère Eric Myon, estimant qu’il appartiendra alors aux producteurs de trouver une solution en début de chaîne. “Il faut que tout le monde joue le jeu, pour sécuriser tout le circuit.”
D’après les résultats partiels de l’expérimentation, celle-ci aurait été bénéfique pour l’observance : l’Inserm a relevé deux fois moins de patients inobservants dans le groupe recevant des médicaments à l’unité (75 officines sur 100) que dans celui recevant l’ancien conditionnement (25 pharmacies). Il y a eu également moins de patients du groupe à l’unité déclarant vouloir utiliser ultérieurement des antibiotiques en automédication. Une évaluation basée sur du déclaratif, après avoir rempli un long questionnaire fastidieux. Elle ne satisfait pas Eric Myon, qui en conteste la valeur. Il aurait fallu, estime le syndicaliste, délivrer un pilulier électronique aux patient “à l’unité”, où l’on déposerait le contenu des blisters datés. “Il aurait été pertinent d’étudier cette expérimentation, mais elle n’a jamais été vraiment analysée“, regrette-t-il.
Autre enseignement de l’enquête, “6 fois sur 10, les pharmaciens ne pouvaient pas délivrer la boîte dans sa totalité, mais devaient déconditionner les comprimés pour être conformes à la prescription. Sans possibilité de savoir si cette inadaptation était liée à une prescription non conforme aux recommandations, ou au stock disponible en pharmacie”, relève Celtipharm.com.
Du côté des médecins
“Pour les pathologies standards, les conditionnements sont adaptés. Le déconditionnement n’apporterait pas grand-chose, précise Philippe Lamoureux. Mais il est exact que deux réformes méritent d’être travaillées : la juste prescription adaptée à la pathologie, d’une part, pour lutter contre la sur prescription, particulièrement pour les personnes âgées; cela doit être traité dans le cadre de la formation initiale et continue des prescripteurs. Et d’autre part, l’observance, qui représente un problème de santé publique et peut être à l’origine de résistances aux antibiotiques, notamment. C’est pour éviter que les médicaments non utilisés stagnent dans les armoires à pharmacies ou soient mal réutilisés que le LEEM a mis en place Cyclamed. Il faut travailler ce sujet. Mais il n’y a pas beaucoup d’économies à attendre de ce côté-là”.
Du côté des médecins, les avis sont mesurés. Pour le président du conseil national de l’Ordre des médecins, Patrick Bouet, “adapter au mieux la délivrance des médicaments à la nature de la prescription est une hypothèse à explorer”. Quant au président des Généralistes de la CSMF, le Dr Luc Duquesnel, il se dit partisan “d’un système évitant que le patient stocke des antibiotiques et pratique l’automédication sans contrôle et sans que le médecin ne le sache“. Mais il promeut également la pharmacie familiale réfléchie, contenant des médicaments utile en PDS, contre les vomissements ou la diarrhée par exemple. “Ensuite, c’est une affaire de pharmaciens. A eux de délivrer la posologie prescrite. Ce n’est pas aux médecins de s’adapter.”
En revanche, au SML, on regrette le retour de cette “mesure marronnier qui ne permettra ni de faire faire des économies à l’assurance maladie, ni d’améliorer l’observance”. Cette mesure alourdit du temps consacré au déconditionnement celui déjà consacré par le pharmacien à la gestion du tiers payant et le retraitement de leurs facturations, regrette le syndicat, “sans pour autant empêcher l’arrêt intempestif des traitements par les patients”. Pour le SML, la sécurité et l’observance passent par un “packaging adapté, l’éducation des patients et la bonne collaboration entre professionnels de santé”, affirme-t-il dans un communiqué.
Le conseiller santé d’Emmanuel Macron ne se voile pas la face devant les difficultés liées au déconditionnement. “Oui, cela va sûrement coûter de l’argent de passer d’une distribution par boîte à une distribution à l’unité, mais cela va aussi en faire économiser. Sans compter l’impact très fort en termes d’iatrogénie, l’impact environnemental lié au fait que les médicaments se retrouvent dans les eaux usées“ a-t-il confié à Egora.fr. Il promet, en cas de victoire à la présidentielle, de “concerter les professionnels pour voir ce que cela va représenter dans l’exercice au quotidien des pharmaciens et comment, nous, puissance publique, nous allons pouvoir les accompagner dans cette démarche”.
“Si la vente des médicaments à l’unité résume le projet de ces candidats à la présidentielle en matière de politique du médicament, il y a du souci à se faire”, tacle le directeur général du LEEM.
*Royaume-Uni, Suisse, Canada, Pays-Bas…
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne
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