Alors que resurgit le débat sur l’assistance médicale à la procréation dans ses aspects éthiques et légaux, l’histoire de la prise en charge de la stérilité et des technologies reproductives reste, elle, peu connue. Dans un livre d’entretiens avec Georges David, le fondateur des Cecos (Centre d’étude et de conservation des œufs humains et du sperme), Fabrice Cahen, historien, chargé de recherches à l’Institut national d’études démographiques et Jérôme van Wijland, directeur de la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, retracent l’histoire du premier système institutionnalisé de don de gamètes en France.

 

Le Cecos a été créé en 1973 pour apporter une réponse aux couples dont la stérilité conjugale est d’origine masculine. “En 1970 la reproduction était encore considérée comme un sanctuaire, on n’était pas encore complètement sorti du XIXe siècle. D’où l’inquiétude du directeur de Bicêtre quand je lui avais annoncé que j’allais monter un laboratoire s’occupant du sperme”, explique Georges David, aujourd’hui membre de l’Académie nationale de médecine. “Comment obtient-on le sperme ?” m’avait-il demandé ! Je lui avais répondu qu’on n’avait encore rien inventé de plus efficace que la masturbation. “Et cela se pratiquera ici ?”, avait-il alors renchéri non sans inquiétude… Ma réponse avait été qu’il était indispensable de pouvoir analyser le sperme dès l’obtention de l’éjaculat, pour observer dans les meilleures conditions possible la vitalité des spermatozoïdes.” à travers la trajectoire de son fondateur, le Pr Georges David, les auteurs montrent la mise en place progressive d’un ensemble de pratiques et de savoir-faire et précisent les conditions ayant permis la reconnaissance du système par les pouvoirs publics.

 

“J’ai transposé le modèle du don de sang au don de sperme”

Les formes prises en France par le don de gamètes et par les technologies de PMA en général ont été soumises à toutes sortes de questionnements sur la morale sexuelle sous-jacente, sur les risques liés à la manipulation du vivant ou sur les bouleversements introduits dans l’ordre de la filiation. Mais la restitution de l’histoire sociale, institutionnelle et matérielle a été relativement négligée. “C’est la raison pour laquelle réinscrire la genèse du système Cecos dans un moment précis de l’histoire des sciences et des techniques biomédicales, dans une certaine configuration de l’administration de la santé publique, dans un agencement particulier d’acteurs et d’actrices, nous est apparu comme une nécessité”, écrivent les auteurs.

L’IA (insémination artificielle) comme l’IAD (insémination artificielle avec don de sperme) figurent de toute évidence au répertoire de certains médecins bien avant les années 1970. En cas d’infertilité masculine absolue, le recours à un tiers donneur, qui peut s’effectuer artisanalement sans grande compétence médicale, se pratique aussi bien dans le secret de certains cabinets privés que dans des services hospitaliers. Le fonctionnement adopté par les Cecos ne se comprend que rapporté à ce contexte. Cherchant d’abord à mettre fin aux arrangements clandestins, les Cecos se positionnent également contre des pratiques d’IAD non dissimulées mais encore fondées sur la rémunération des donneurs, telles que les propose la “spermiothèque” d’Albert Netter à l’hôpital Necker à Paris. Georges David, quant à lui, a introduit le non-paiement des donneurs de sperme, en s’inspirant du modèle du don de sang. “J’ai transposé le modèle du don de sang au don de sperme en imposant la gratuité et l’anonymat du don, explique-t-il. J’y ai associé la notion du don de couple à couple, c’est-à-dire d’un couple fécond à un couple infécond. Le seul accord d’un donneur ne suffisait pas. Encore devait-il répondre à une exigence de situation maritale comportant l’accord de la conjointe. Quant à la receveuse, elle devait également être en couple. Pourquoi cette double exigence ? Premièrement, parce que je souhaitais éviter une situation dont j’avais pris conscience au cours de mes réflexions préparatoires, qui reposaient sur les échanges que j’avais pu avoir avec des donneurs rétribués. C’étaient de jeunes hommes le plus souvent, célibataires sans enfants. J’avais constaté à maintes reprises que, lorsque par la suite ils se mariaient, ils ne révélaient pas à leur épouse cette situation d’ancien donneur. Symétriquement, il allait de soi que la femme profitant de ce don devait elle-même être assurée de l’accord de son conjoint. On sortait ainsi d’une situation trouble pour entrer dans un cadre plus formalisé. Cette double exigence a été intégrée ultérieurement dans les dispositions législatives reconnaissant la pratique du don de sperme.”

 

“La vénalité, le montant fixé, la sélection eugéniste”

Quand l’examen biologique du sperme du donneur était satisfaisant, un examen génétique était pratiqué avec la réalisation d’un caryotype. “On s’intéressait au nombre de chromosomes, à leur longueur, à leurs caractéristiques morphologiques. Ce qu’on recherchait, c’étaient surtout des cassures, des gros manques, des choses assez grossières”, raconte Georges David. “On appliquait à l’époque les connaissances les plus avancées dans le domaine. On commençait à connaître quelques maladies héréditaires, et nous avions le souci de ne pas transmettre une affection lourde par le sperme d’un donneur. Parallèlement à l’analyse cytogénétique, nous menions une enquête généalogique sur les pathologies familiales et leurs risques de transmission”. Le couple ne pouvait pas choisir le donneur ou ses caractéristiques. “En revanche, nous devions procéder à des appariements du donneur et du couple en fonction de critères d’apparence physique. La seule question était d’éviter que les caractéristiques phénotypiques de l’enfant soient trop visiblement incompatibles avec celles des parents”.

Concernant le débat sur la levé de l’anonymat, le Pr David estime que “il va de soi que la naissance d’un enfant dans un couple homosexuel féminin posera légitimement la question du procréateur ; il y aura une ouverture… On demandera révélation du nom du donneur. Cela constituera une brèche dans ce que j’appelle le socle du don, comme échange de produits humains. Dans le Code civil et le Code de la santé publique, il est bien dit que l’identité du donneur et du couple receveur ne peut être divulguée. Mais il y a déjà des associations très actives qui font pression pour la levée de l’anonymat, présenté comme une mutilation. Une telle levée de l’anonymat entraînerait un nouveau statut du sang… pardon, du sperme, et ouvrirait la voie à la marchandisation….. Il y a dans de nombreux pays des banques de sperme qui vendent des gamètes sur catalogue. Cela pose plusieurs problèmes : la vénalité, le montant fixé, la sélection eugéniste”.

Chemin faisant, le lecteur est invité à découvrir sous un angle inédit ce que fut le monde médico-hospitalier et biomédical en pleine mutation des décennies de l’après-guerre.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol

 

D’après Inventer le don de sperme, entretiens avec Georges DAVID, par Fabrice Cahen et Jérôme van Wijland, Editions Matériologiques, collection “épistémologie de la médecine et de la santé”, 2016, 123 p, 9 euros.