Fervent combattant contre le dopage, le Dr Gérard Guillaume a accompagné pendant 17 ans les coureurs de La Française des Jeux sur le Tour de France. Ce passionné de vélo nous raconte les coulisses d’un sport devenu “le plus propre de tous”, selon lui. Cette année est la première où il regarde le Tour en tant que spectateur.

 

“Je suis né dans le vélo. Mon père était directeur de club en Bretagne. J’ai toujours connu le vélo. J’en ai fait dans ma petite jeunesse mais je n’avais pas les qualités pour devenir compétiteur et encore moins champion. J’ai toujours pratiqué le vélo, mais uniquement dans le cadre du loisir.

Je suis rhumatologue. J’ai une formation très complète en médecines alternatives, acupuncture, homéopathie, médecine manuelle, phytothérapie, homéopathie… Je trouvais qu’il était dommage de ne pas mettre ces compétences au service des sportifs. J’ai alors consulté à l’INSEP* pendant une petite dizaine d’années et on m’a confié la responsabilité du suivi de la piste avec les grands champions de l’époque qui étaient Florian Rousseau, Arnaud Tournant… En même temps avec la Fédération française de cyclisme, je m’occupais des juniors.

 

“Milieu pourri jusqu’à la moelle”

On m’a demandé à deux ou trois reprises de faire des remplacements de médecins dans le monde professionnel, notamment en 1996. C’est là que je me suis dit que je ne retournerai plus jamais dans ce milieu qui était pourri jusqu’à la moelle. Huit jours de remplacement avaient été suffisants pour me rendre compte que le dopage régnait en maître. A l’époque j’étais allé voir tout le monde, de la Fédé au ministère des Sports ou de la Santé, pour les alerter sur ce problème mais tout le monde s’en foutait. On m’a rétorqué que j’étais très bien avec les juniors et que ma place n’était pas avec les professionnels.

Je m’étais alors juré de ne jamais retourner dans le milieu professionnel. Mais cela m’attristait parce que je m’occupais des juniors dont certains étaient destinés à être professionnels et donc à faire partie de ce monde.

Fin 1997, le Dr Mégret qui s’occupait de l’équipe de la Mutuelle de Seine-et-Marne a été nommé médecin fédéral. Il ne pouvait donc plus continuer à s’occuper de l’équipe. Il m’a alors demandé si je pouvais le remplacer pendant les quelques mois qui restaient. Je lui ai expliqué quelles étaient mes réticences et il m’a promis que personne ne me demanderais jamais rien d’illicite. J’ai donc accepté. A l’époque, l’équipe avait fait le Tour de France 1997 mais elle n’avait pas été sélectionnée pour le Tour 1998. J’avais envoyé un courrier en mai 1998 à Jean-Marie Le Blanc, directeur du Tour, en lui demandant s’il fallait mettre les coureurs sous EPO pour avoir une chance d’être qualifié! Bien entendu il ne m’a jamais répondu. Deux mois après c’était le scandale Festina… J’ai vu ça de loin, d’un œil mi-attristé, parce que c’était consternant, mi-amusé, parce que j’avais senti que cela finirait par mal tourner.

 

Il fallait s’entraîner dur et malgré cela, on se faisait tout le temps battre

Après cela, fin 1998, l’équipe de La Française des Jeux est venue me chercher. Ils voulaient un médecin qui mette tout en œuvre pour que l’équipe soit à l’abri du dopage. Ma première réponse a été de dire non. Le peu que j’avais vu m’avait suffi. Puis la direction de La Française des Jeux m’a relancé en me disant qu’elle me garantissait que les règles appliquées à l’équipe seraient très strictes. L’entreprise voulait démontrer qu’il était possible de faire du sport de haut-niveau sans tricher. J’ai beaucoup hésité puis j’ai fini par accepter. Je pensais faire ça pendant deux ou trois ans. J’y suis resté 17 ans!

Quand je suis arrivé, l’équipe avait les mêmes travers que les autres. Il a fallu prendre tout ça en main. Cela a été extrêmement difficile. Tout d’un coup on changeait de mode de fonctionnement. Il fallait s’entraîner dur et malgré cela, on se faisait tout le temps battre. On ne gagnait jamais rien. On ne demandait pas aux coureurs de résultats. Ils n’en étaient pas capables face à des tricheurs. On a mis près de 10 ans à sortir la tête de l’eau.

Au départ nous étions seuls dans cette politique anti-dopage. Petit à petit on s’est fait rejoindre par les autres équipes françaises, puis par quelques équipes étrangères. Ensemble, on a créé un mouvement qui s’appelait mouvement pour un cyclisme crédible. On voulait lutter contre les tricheurs. Quand on est compétiteur, le but est de gagner et pas de regarder les autres gagner.

Il y avait bien des contrôles contre les tricheurs. C’est d’ailleurs le vélo qui a initié tous les contrôles mais la technique du dopage s’est perfectionnée. On est passé du dopage à l’EPO qui était relativement facile à détecter à un dopage par micro-dose qui était moins détectable. Puis il y a eu les autotransfusions… Les athlètes étaient conseillés par des gens qui étaient au moins aussi compétents que ceux qui luttent contre le dopage. On le voit encore aujourd’hui avec la Russie.

Les mailles du filet se sont resserrées années après années mais il y aura toujours des mailles qui laisseront passer les tricheurs. Il y a aussi le dopage mécanique qui sévit depuis plusieurs années.

 

Aujourd’hui le cyclisme est le sport où il y a le moins de dopage

Les choses ont beaucoup changé. Aujourd’hui le cyclisme est le sport où il y a le moins de dopage. C’est le sport où il y a le plus de contrôles. Il n’y a aucun contrôle dans le tennis ou dans le foot par exemple. Ou alors ils sont bidons. Forcément, pas de radar, pas d’excès de vitesse. C’est facile. Dès lors que l’athlétisme a œuvré dans le même sens que le cyclisme, on a trouvé plein d’athlètes dopés. Aujourd’hui j’affirme que le vélo est le sport le plus propre. Mais son image a été très écornée. Le sport s’est tiré une balle dans le pied avec le dopage. Contrairement aux idées reçues les cyclistes professionnels sont devenus les sportifs dont l’espérance de vie est la plus longue.

2015 était mon dernier Tour de France. Je n’ai pas arrêté. On m’a fait arrêter. La direction de la Française des Jeux a changé. Le seul objectif de la direction précédente était de démontrer que l’équipe était investie sur le plan de ce sport pour le faire évoluer sur le plan de la réglementation et dans la lutte anti-dopage. La nouvelle direction s’est normalisée. Ils sont plus proches de la recherche du résultat, ce qui n’était pas le cas avant. L’objectif aujourd’hui est d’avoir une équipe compétitive avec un médecin plus proche des joueurs que de la lutte anti-dopage. On m’a demandé de rester en tant que conseiller et j’ai refusé.

J’ai fait 17 ans de Tour de France, plus les Tours d’Espagne et d’Italie, cela fait plus de 30 grands Tours. Je travaillais plus de 100 jours par an avec eux. Aujourd’hui à 68 ans, j’ai passé l’âge. A un moment donné, il est bon de renouveler les cadres.

 

En tant que médecin, la performance, je m’en fous

Cette année c’est le premier Tour que je regarde de chez moi ou entre deux patients lors de mes consultations. Mais cela ne me manque pas. J’ai un cabinet médical lourd. C’était acrobatique pour l’organisation du cabinet. Je finissais par mécontenter tout le monde. Quand j’étais avec les coureurs, je n’étais pas avec les patients et vice-versa. Dans l’idéal sur le plan organisationnel, il faudrait un médecin à temps plein mais je ne suis pas du tout d’accord avec cette philosophie-là. Qui dit médecin à temps plein, dit médecin dépendant d’une équipe et il faut surtout qu’un médecin soit indépendant.

Pour moi, un médecin du sport, ça n’est pas un médecin de la performance mais de l’accompagnement de l’effort. Je suis là pour que l’exercice physique ne soit pas délétère pour l’organisme des sportifs. Je me fous de la performance. Un médecin de la performance, à un moment donné, sera tenté par mettre le doigt dans l’engrenage et encore pire s’il est intéressé matériellement par la performance. Là, ça devient catastrophique.

La performance m’intéresse en tant que Gérard Guillaume, supporter de mon équipe. En tant que Dr Gérard Guillaume je m’en fous. Ce discours-là n’est pas toujours facile à entendre…”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

 

* Institut national du sport, de l’expertise et de la performance