Mal connus des professionnels de santé à l’hôpital et encore davantage en ville, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui vont se mettre en place progressivement à partir du 1er juillet vont profondément restructurer l’offre de soins hospitalière. Au risque de fragiliser le lien déjà tenu avec la ville ?

 

Lors des débats animés et polémiques sur la loi Touraine, la création des groupements hospitaliers de territoire (GHT) avait fait peu de vagues. Il s’agit pourtant probablement de l’un des éléments les plus structurants de la loi de modernisation du système de santé et dont les conséquences se feront sentir progressivement dans les prochaines années.

Leur philosophie générale, c’est-à-dire rationaliser l’offre de soins, faire des économies d’échelle sur une série des fonctions supports de l’hôpital (informatique, achats ou restauration) et promouvoir les coopérations entre établissements de taille différente, est évidemment plutôt consensuelle. Mais la mise en application concrète de ces GHT, qui devront être lancés au 1er juillet, soulève un certain nombre d’inquiétudes.

 

Des “mammouths” hospitaliers

Environ deux cents GHT sont en cours de constitution. La création de “mammouths” hospitaliers, comme autant d’APHP dans toute la France, aura-t-elle pour conséquence la fermeture de services voire de petits hôpitaux ? L’hospitalocentrisme souvent dénoncé par les médecins libéraux va-t-il s’aggraver ? Les conditions de travail des médecins hospitaliers vont-elles se dégrader ? Seule la pratique le dira.

Sur la première question, l’Association des maires de France s’est fait entendre. “Si l’article 107 de la loi offre une certaine souplesse aux territoires pour s’organiser, le projet de décret enferme définitivement les élus dans un rôle purement consultatif et les tient à l’écart de toutes les instances stratégiques”, ont écrit les maires au Premier ministre il y a quelques semaines. Ce sont les élus des petites villes de France qui sont encore plus inquiets. “La concentration excessive de l’offre de soins sur un établissement central affaiblirait un peu plus les petits hôpitaux, a mis en garde leur association. Ceci est d’autant plus vrai que les petites structures et notamment les maternités et les urgences ont déjà fourni un lourd effort en matière de fermetures et de restructurations.” Pour la CGT, l’affaire est déjà entendue. “L’obligation d’adhérer à un GHT pour chaque établissement sanitaire modifie radicalement le pilotage des activités de soins, a écrit sa fédération santé dans un communiqué. Les outils pour mettre en oeuvre les 16 000 suppressions de lits, et les 22 000 suppressions de postes sont aujourd’hui disponibles pour aggraver l’austérité.” L’obligation pour chaque hôpital de faire partie d’un GHT est effectivement ce qui différencie cette nouvelle organisation des anciennes “communautés hospitalières de territoires” prévues par la loi Bachelot et qui ont connu un succès limité puisque moins d’un établissement sur quatre s’était engagé dans cette voie.

Sur les fermetures de services, la ministre de la Santé a toujours apporté des démentis même si une circulaire budgétaire prévoit déjà 1 milliard d’euros d’économies en 2016 sur les établissements de santé et que les suppressions de lits sont bien prévues dans le plan d’économies pour l’hôpital, en vertu du “virage ambulatoire” mis en avant par le gouvernement. Ces objectifs, pas totalement assumés par la ministre, sont, pour le coup, peu contestés par les médecins. “C’est une certitude que les structures qui ont une trop faible activité vont être fermées ou devoir être reconverties, souligne Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (Inph). Cela ne me choque pas en soi. La seule vraie question est de savoir comment on peut desservir correctement chaque territoire.” Une analyse partagée du côté des libéraux. “Fermer des lits et des services d’urgences qui ne servent à rien est une bonne chose”, abonde Jean-Paul Hamon, président de la FMF.

 

“Un mur entre les secteurs de prise en charge”

D’où viennent alors les craintes de la médecine de ville et le procès en hospitalo-centrisme fait aux GHT ? “Les GHT ne peuvent aboutir à une rationalisation de l’offre hospitalière qu’à la condition que dans le même temps on améliore l’offre ambulatoire et qu’on donne plus de moyens à la médecine de ville, c’est l’enjeu de la négociation conventionnelle actuelle”, rappelle Claude Leicher, président de MG France. Autrement dit, ne pas déshabiller Pierre sans mieux habiller Paul. “L’autre souci majeur est celui de l’organisation de la continuité des soins, poursuit Claude Leicher. Nous avons accepté de réguler l’activité de la permanence des soins, mais les urgences hospitalières ne le sont toujours pas.”

Force est de constater que les GHT ne prévoient pas explicitement non plus de modes de coopération avec la médecine de ville. “À l’heure où la coordination et la coopération entre tous les acteurs sont nécessaires pour renforcer le parcours de soins du patient et relever le défi du virage ambulatoire, l’État préfère créer un mur entre les secteurs de prise en charge dans un système organisé de plus en plus en tuyaux d’orgue”, dénonce la Csmf.

La constitution des GHT préoccupe également l’hospitalisation privée, qui voit en face d’elle sa concurrence s’organiser de manière inédite. La FHP aurait voulu que les établissements privés soient systématiquement consultés lors de la définition des projets médicaux des GHT. “Nous allons avoir un système hospitalocentré public qui va mailler le territoire à partir des hôpitaux locaux, craint Jean-Paul Ortiz, le président de la Csmf. Ce sera un système aspirant qui va shunter la médecine de ville. La FHF a d’ailleurs déjà dit qu’elle était prête à faire de la médecine de premier recours dans les zones déficitaires, elle pourra le faire facilement dans les hôpitaux locaux en y envoyant des médecins salariés. De plus, les petits hôpitaux des GHT vont aussi faire du recrutement pour le CHU et ainsi shunter la médecine spécialisée libérale et les cliniques.”

 

Occasion manquée

Une vision très pessimiste du point de vue de la médecine de ville et une analyse qui n’est pas partagée par les médecins hospitaliers.”Je ne vois pas en quoi les GHT favoriseraient l’hospitalocentrisme si on fait le constat qu’il y en aurait un, relativise Nicole Smolski, présidente de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH). La qualité du lien entre la ville et l’hôpital va dépendre des territoires et de ce qui existe déjà.” Manque néanmoins une instance de concertation formelle entre les deux mondes. “Dans son schéma initial, le projet de loi prévoyait une ébauche de coopération structurée entre la ville et l’hôpital au travers du service territorial public de santé, qui a été abandonné en cours de route, rappelle néanmoins Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syncass-Cfdt, qui représente les directeurs et les cadres des établissements sanitaires. Les acteurs de la médecine de ville n’en ont pas voulu de peur d’être phagocytés par l’hôpital. C’est peut être une occasion manquée.” Il est vrai que la contestation des syndicats de médecins libéraux s’était surtout portée sur d’autres aspects de la loi Touraine, au risque de ne pas avoir eu le temps d’épuiser la discussion sur tous les sujets, dont les GHT.

 

« Il a toujours fallu se battre pour faire reconnaître notre statut »

Christian de Gaye est président de l’Association nationale des médecins généralistes des hôpitaux locaux (Aghl). Les GHT peuvent être un moyen de garder des médecins, face à la désertification.

Egora.fr : Est-ce que la mise en place des GHT vous inquiète ?

Christian de Gaye : Oui, en tant que généralistes exerçant dans les hôpitaux locaux, nous sommes un peu inquiets car nous craignons d’être un peu moins entendus quand nos établissements de proximité vont être intégrés dans un grand ensemble avec les gros centres hospitaliers et les CHU. Dans le même temps, je pense que ce sera fonction de l’attitude des directeurs de centre hospitalier et des médecins qui veulent créer un projet médical de territoire. Cependant, pour l’instant, rien n’est prévu pour la participation des généralistes aux différentes instances et commissions médicales d’établissements.

Est-ce que vous pensez que les hôpitaux locaux, dans leur forme actuelle, pourraient disparaître avec les GHT ?

En tout cas, le discours du ministère de la Santé et de la Direction générale de l’offre de soins va aujourd’hui dans le sens d’une revitalisation des hôpitaux de proximité. En effet, face à la désertification médicale, ils sont un moyen de garder des médecins. Un décret sur les hôpitaux de proximité est attendu dans les prochains jours. Mais il a toujours fallu se battre pour faire reconnaître notre statut. Et une des inquiétudes que font naître les GHT est que nos hôpitaux perdent leurs lits de médecine. C’est le genre d’avenir que nous refusons.

Les GHT ont-ils néanmoins des avantages ?

Oui, car ils prévoient notamment un développement de la télémédecine et, de manière générale, les hôpitaux de proximité ont besoin de coopération avec les établissements qui ont des moyens techniques plus importants. La mise en commun de certaines fonctions supports, notamment les achats, peut également être pertinente. En revanche, la mise en place de système informatique commun à chaque GHT va prendre du temps car chaque établissement a choisi un système en fonction de ses besoins propres.

Faut-il craindre une accentuation de l’hospitalocentrisme ?

Tout dépend de la manière de travailler ensemble. Si le projet médical du GHT s’écrit uniquement sous forme de filières (en oncologie, en chirurgie, en gériatrie…), on va accroître l’hospitalocentrisme. En revanche, si on raisonne en termes de parcours de soins, on pourra améliorer la liaison entre la ville et l’hôpital. Les praticiens hospitaliers ne connaissent pas toujours bien l’activité des hôpitaux locaux. C’est pourquoi il est important de faire connaître aujourd’hui notre originalité et notre mode de fonctionnement. À cet égard, la constitution des GHT en est même l’occasion.

Groupements hospitaliers de territoire : mode d’emploi

Plusieurs étapes sont prévues pour la mise en place des GHT. Mais dès le 1er juillet ils devront être constitués. Environ deux cents GHT pourraient voir le jour, regroupant entre deux et treize établissements et couvrant des bassins de population de 140 000 à 1 million d’habitants. L’idée est que les établissements ne soient pas éloignés de plus de trois quarts d’heure de trajet, pour permettre notamment l’exercice des médecins sur plusieurs sites. La loi prévoit que dans chaque GHT un établissement support assure un certain nombre de missions dont la convergence des systèmes informatiques, la gestion du département d’information médicale, qui devient unique, la fonction achats et la coordination des écoles de formation. Deux activités sont mises en commun obligatoirement : l’imagerie diagnostique et interventionnelle et la biologie. Le projet médical propre à chaque GHT devra décrire l’organisation des soins dans le GHT. À noter que la certification par la HAS sera commune. En revanche, chaque établissement garde son propre budget. Mais lorsque les ARS examineront leur budget, elles le feront dans une vision globale du GHT.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Véronique Hunsinger