Chirurgien dentiste en exercice et docteur en Droit public, responsable de la section juridique à la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), le Dr Marc Sabek évoque l’affaire Dentexia, cette chaîne de centres de santé dentaires low-cost, qui a fait faillite en laissant des milliers de patients sans soins ou mal soignés, malgré des devis réglés. Il incrimine l’Etat et la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) d’avoir créé sciemment une brèche réglementaire où se sont engouffrés des affairistes sans éthique.

 

Egora.fr : Vous estimez que le scandale Dentaxia et une première, tant pour ce qui concerne l’ampleur de l’affaire, que sa complexité et sa perversité. Pourquoi ?

Dr Marc Sabek : Il s’agit d’une affaire qui concerne un ensemble de centres de low-cost, mis en place par une structure dont la façade est une association loi 1901. La loi ne permet pas à des sociétés médicales de gérer des cabinets médicaux ou des centres de santé, mais il le permet à des sociétés à but non lucratif, type loi 1901. Donc, derrière cet écran où l’on identifie trois personnes, se trouve une multitude de sociétés commerciales qui par des contrats de gestion, de prestations de service au bénéfice de l’association, pompent toutes les ressources financières. La spécificité de Dentexia, c’est son montage financier : on a fait signer aux patients, des crédits qui ont été portés aux créances de l’association, qui les a distribués aux sociétés. Depuis le début, Dentexia est en faillite – les gestionnaires ont toujours pris soin qu’elle le soit pour qu’il n’y ait aucun recours possible. Elle est aujourd’hui en liquidation judiciaire et les patients se retrouvent sans aucun recours financier ni médical.

C’est un système qui aurait pu durer plus longtemps. A quand remonte le début de la fin ?

Je pense qu’il s’est produit lorsque les créanciers se sont aperçus que l’association vivait au-dessus de ses moyens, payait trop cher ses prestataires de service et réglait avec retard ses fournisseurs. La CNSD a mis en place un observatoire sur le low-cost, et de ce fait, nous avons vu passer dans des cours d’appel, des condamnations de Dentexia à des sommes assez monstrueuses. Nous nous attendions à l’éclatement du scandale, nous n’avons pas été surpris par cette issue, et ce n’est pas faute d’avoir alerté les pouvoirs publics.

Dentexia s’est mis en place en 2008-2009, dans le cadre de la loi Hôpital, patients, santé et territoire, (HPST), qui a considérablement allégé les formalités nécessaires à l’ouverture d’un centre de santé puisqu’il a supprimé l’agrément et n’impose plus qu’une simple déclaration à l’ARS. La première note que nous avons fait passer aux pouvoirs publics à ce sujet date d’août 2012, nous avions décelé les intentions commerciales agressives derrière cette société qui est l’émanation des sociétés Adentis et Dentexia, qui se sont disputé avant de se partager territorialement le nord et le sud de la France. Ce qui laisse songeur pour des associations non lucratives d’aide à l’accès aux soins.

Les créateurs de Dentexia viennent de France ?

Notre observatoire du low-cost nous permet de constater qu’il y a de tout. Nous avons répertorié 65 associations diverses en activité. J’ai des turcs, des prothésistes à la retraite, des dentistes. Un type marié à une assistante dentaire a décidé qu’il allait faire coach. Il faisait des conférences pour rabattre des clients, nous l’avons dénoncé. Les Français sont aussi pervers que d’autres, cela n’a rien à voir avec l’Europe, ni avec la déontologie, mais avec le lucre.

Les organismes de protection complémentaire sont-ils concernés par cette affaire…

Attention. Ce qui est tout de même important à dire c’est que certaines plateformes qui font du détournement de patientèle, sont systématiquement des prestataires de ces low-cost et notamment des cabinets Dentexia dans la région Rhônes-Alpes. Lorsqu’un patient envoie un devis à sa mutuelle pour savoir où aller pour être le mieux remboursé, on lui dit d’aller plutôt vers Dentexia, avec qui la plateforme a passé un accord. Il y a eu une sorte de connivence. Je ne dis pas qu’elles sont malhonnêtes, car cela leur retomberait sur la tête, mais c’est d’une telle légèreté ! Déjà, la liberté du patient est mise à mal par ces plateformes, mais par la force des choses, elles ont fourni de la chair à abattre pour ces cabinets low-cost.

L’Ordre des chirurgiens-dentistes recueille des plaintes et poursuit certains praticiens, un collectif des victimes garde l’espoir de monter une “class action” à la française, la Confédération nationale des syndicats dentaires vient également en aide aux patients escroqués… L’ARS veut mettre en place des numéros verts, le gouvernement est embêté…. Tout cela manque d’unité.

En tant que syndicat qui défend l’idée que l’intérêt des chirurgiens-dentistes converge toujours vers celui des patients, nous avons mis en place un dispositif d’aide bien lisible. Un confrère, ancien président d’URPS Rhônes Alpes, le Dr Philippe Albania, dispose d’une adresse mail dédiée qui permet de centraliser toute l’aide technique de manière très précise. Mais il est vrai que les initiatives que nous avons prises n’aboutissent pas faute de moyens alloués par l’ARS pour aider les victimes à faire une sorte d’état des lieux de leurs dommages. Lorsqu’un patient a besoin d’un soin d’urgence, nous demandons aux confrères d’assumer l’urgence quoi qu’il arrive. Il en va de la protection de notre statut : si on n’est pas au service des autres, cela ne sert à rien de défendre l’exercice libéral. Nous sommes également clairs sur la manière de traiter les victimes. On ne peut pas considérer qu’il s’agit d’un troupeau, nous aidons les patients à choisir. Mais on ne peut transférer sur un confrère, la charge de réparer quelque chose qui n’a pas obtenu de réponses de la part des pouvoirs publics. Nous n’avons pas les fonds, ne serait-ce que pour effectuer un bilan de l’état dentaire des patients abandonnés.

Le collectif, qui estime entre 2 et 3 000 le nombre de patients lésés, demande au gouvernement la mise en place d’un fonds exceptionnel d’avance de frais. Est-ce, selon vous, une juste requête ?

Le problème c’est qu’il faut bien un responsable. On nous répond que si le gouvernement met en place un fonds d’aide, c’est la porte ouverte à la prise en charge par l’Etat de dommages créés par des acteurs privés. Mais je suis désolé, c’est l’Etat qui a ouvert la porte ! Nous sommes intervenus un nombre important de fois pour leur demander de mettre en place des gardes fous à la loi HPST. Moi demain, avec ma femme et mon cousin, je peux ouvrir un centre de santé puisqu’une simple déclaration à l’ARS suffit désormais. Et je pourrais faire bien plus de choses dans ce centre que dans mon cabinet, où je suis tenu par le code de déontologie, de la publicité par exemple !

Nous avons essayé avec l’Ordre de nous faire entendre lorsque la loi Fourcade (qui a renégocié certains éléments de la loi Bachelot. Ndlr), a été débattue au Parlement, puis à chaque budget de l’assurance maladie et lors des débats autour de la loi de Santé, mais nous n’avons jamais été entendus. L’Etat considère que les centres low-cost coutent moins cher, et donc, que c’est favorable à l’accès aux soins. Quelle erreur ! Là, on voit que ça coute beaucoup plus cher.

On peut considérer que certains appétits mercantiles ont été aiguisés par un secteur où le désengagement de l’assurance maladie des remboursements prothétiques depuis des années est patent. Redoutez-vous que de tels montages puissent se mettre en place en médecine ?

Pour les médecins, cela n’arrivera pas de manière aussi flagrante, même dans les secteurs les plus concernés par l’aspect financier, je pense à la chirurgie esthétique notamment. Mais il faut bien avoir en tête que depuis 1988, alors que je n’avais pas encore commencé à exercer, il n’y a pas eu de changement dans la prise en charge par l’assurance maladie, alors que les charges d’un cabinet ont considérablement augmenté. Par exemple, je viens de subir deux contrôles pour mes appareillages radiologiques exigés par l’Autorité de sureté nucléaire, qui m’ont coûté 1 400 euros, juste pour pouvoir travailler, c’est énorme ce que coute aujourd’hui un cabinet dentaire. Or, plus personne ne pourra rattraper le retard qui a été pris dans les niveaux de remboursement, l’assurance maladie n’est pas prête à consacrer 4 milliards à cela. Alors, elle laisse des solutions alternatives, même vouées à l’échec, mais qui masquent la réalité.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne