Trouver un médecin généraliste en secteur 1 dans Paris relève de plus en plus du parcours du combattant. La désertification touche aussi la capitale. Pour le Dr Bernard Jomier, généraliste et adjoint à la santé, la Mairie de Paris doit soutenir financièrement l’exercice regroupé pour inciter à l’installation. Il annonce d’ailleurs l’ouverture une vingtaine de cabinets de groupe et de maisons de santé dans les mois prochains.
 

 

Egora.fr : Vous avez lancé cette semaine les Assises parisiennes de la santé. Quel est le but de cette démarche ?

Dr Bernard Jomier : Le but, c’est de donner la parole aux Parisiens. Elles s’adressent bien sûr aux professionnels de santé, mais au-delà, à l’ensemble des Parisiens pour leur demander leur avis sur ce qui ne va pas et surtout sur les actions à mettre en place pour améliorer leur état de santé.

Elles concernent bien sûr les questions d’accès aux soins, mais plus largement tout ce qui peut influer sur l’état de santé. Quand on leur demande leur avis, les Parisiens parlent spontanément de l’accès aux soins. Ils ont des préoccupations liées à la possibilité de trouver un médecin traitant, à la question des dépassements d’honoraires… Mais ils parlent aussi du bruit, de l’alimentation, de la pollution de l’air… Collectivement, il faut une meilleure appropriation de ces questions de santé pour qu’on ne considère plus la santé comme une variable d’ajustement de nos politiques. C’est ça, au fond, l’objectif des Assises.

Comment va la démographie médicale des généralistes en secteur 1 sur Paris ? Peut-on déjà faire un bilan de votre plan Paris Med ?

L’offre de soins à Paris est assez abondante globalement, du fait de l’offre hospitalière et d’une offre en ville de spécialistes très majoritairement en secteur 2. Donc, il y a un trou, c’est l’offre de soins de premier recours en secteur 1. C’est une plainte récurrente des Parisiens. C’est difficile de trouver un médecin traitant à Paris, en secteur 1, dans certains quartiers. Et bientôt, ce sera difficile de trouver un médecin traitant, tout court. Or on sollicite sans arrêt le médecin généraliste au fur et à mesure que montent les préoccupations liées à la baisse d’autonomie de la population et à des considérations médico-sociales. On doit agir.

On a effectivement mis en place Paris Med. Il est trop tôt pour en faire un premier bilan, mais les projets sont en cours. Un certain nombre de cabinets vont ouvrir en 2016. Le processus est un peu long, parce qu’il s’agit d’une mise à disposition de locaux de bailleurs sociaux à un tarif peu élevé. En général, ces locaux nécessitent des travaux pour être adaptés à l’exercice médical, accessibles… Ces travaux sont donc en cours. Les premières ouvertures vont avoir lieu dans les mois à venir. Actuellement, il y a une dizaine de lieux d’installations en cours de finalisation. C’est-à-dire quelques dizaines de professionnels. Il y en aura probablement plus en 2017.

Ça ne suffira pas. Je le dis très clairement. On est confrontés à Paris, comme dans toutes les autres villes et petites communes, au fait que les jeunes ne choisissent plus le mode d’installation en libéral. Et c’est une question qui nous dépasse en tant qu’élus. On peut lever le frein du coût du foncier, ce qu’on fait, mais pour un ensemble de raisons, les jeunes sont réticents à choisir l’exercice libéral. J’espère que ces installations qui vont reprendre à Paris, puisque le flot s’était quasiment tari, vont montrer que c’est possible et que les jeunes sont soutenus, que c’est viable économiquement, et que travailler en ville en libéral, c’est un très beau métier pour un généraliste.

J’espère notamment que la convention en cours de négociation va être l’occasion d’identifier et de lever d’autres freins. Il faut faire en sorte que l’exercice libéral ne soit pas vécu comme une somme de contraintes qui vont grever la qualité de vie du jeune médecin, alors que l’exercice salarial n’a pas ces contraintes. Et ce n’est pas qu’une question de niveau de rémunération, puisque les jeunes choisissent le salariat, même s’il a une rémunération plus faible qu’en libéral. Se pose aussi la question de la qualité de vie et de la lourdeur administrative et de la gestion en libéral.

Quelles sont les autres pistes sur lesquelles vous pouvez jouer pour favoriser l’accès aux soins dans Paris ?

Dans le soutien à l’offre de soins à Paris, on actionne trois leviers. Paris Med, dont on vient de parler. Il y a aussi le soutien financier à la création de maisons de santé pluriprofessionnelles. On a 11 projets de MSP dans les tuyaux. Et on apporte de l’investissement à la création de ces MSP. Deux vont ouvrir incessamment et à moyen terme dans le 14ème et le 13ème arrondissement. Après, les MSP doivent trouver leur équilibre, leur modèle économique de fonctionnement. A la Mairie, on ne finance pas le fonctionnement des MSP. Et il y a l’offre de soins vers les centres de santé. On ne crée pas de nouveaux centres de santé municipaux, mais on a déjà arrêté d’en fermer. On fait un travail d’augmentation de l’offre sur chaque centre : les centres de santé municipaux à Paris ne ferment plus à 16h 30, mais à 19h. On élargira vers l’ouverture le samedi matin, dès 2018, on augmente sur chacun de ces centres l’offre de consultation. Et il y a le travail que l’on fait avec l’ensemble des centres de santé, puisqu’à Paris il y en a une centaine. J’ai mis en place une coordination des centres de santé, pour essayer de résoudre des problèmes communs. La CPAM et l’ARS sont partie prenante de cette coordination.

Le futur de l’exercice libéral passe-t-il forcément par le regroupement ?

Il est clair que l’exercice isolé n’est pas bon pour la qualité de vie des médecins, et n’est pas souhaitable pour des raisons tenant à la qualité des soins. On n’est pas un mauvais médecin quand on est installé tout seul dans son coin, mais les nécessités, les contraintes de prise en charge qui nécessitent un travail en réseau, font qu’il est plus simple de travailler en étant regroupé pour partager les approches professionnelles et les contraintes techniques. Nous ne soutenons pas l’installation de professionnels seuls. Mais, très sincèrement, les jeunes n’ont pas très envie de s’installer tout seul. Il faut prendre en compte l’usure professionnelle, et la question du burn-out n’est pas un petit sujet. Et puis les situations sont devenues plus complexes pour les généralistes. On leur demande d’avoir un rôle dans un contexte médico-social ou lié à la perte d’autonomie, qui fait que les consultations sont plus longues, plus difficiles et nécessitent un environnement mieux structuré. La relation thérapeutique en colloque singulier reste un fondement important du médecin traitant, mais elle n’en est plus qu’une part. Pour les autres parts, c’est très difficile d’y répondre en étant tout seul.

Il y a aussi une nécessité de recentrer sur la ville et sur l’ambulatoire un certain nombre de prises en charge. Le virage ambulatoire de l’hôpital, qui est en cours avec beaucoup de retard, ne peut se dérouler dans de bonnes conditions que si l’aval de l’hôpital est repensé. Si on continue le virage ambulatoire sans toucher à l’aval, on va droit à la catastrophe. Je pèse bien mes mots. Le virage ambulatoire rend impérative la redéfinition entre la ville et l’hôpital. On va en débattre lors de ces Assises de la santé. Les enquêtes à jour donné de l’AP-HP indiquent qu’il y a au minimum 25% des personnes qui ne devraient pas être dans un lit à l’hôpital. L’articulation entre la ville et l’hôpital est en enjeu essentiel. Il y a eu les tentatives de réseau ville-hôpital, les tentatives comme le PAERPA, mais on doit avoir un modèle non pas expérimental mais systématisé où la décision de localisation du patient n’est pas du seul ressort de l’hôpital.

Quelle est la place de la télémédecine ? On voit des cabines de télémédecine s’ouvrir dans des centres de mutuelles étudiantes à Paris. Qu’en pensez-vous ?

La e-santé est un champ qui contient des applications qui n’ont probablement aucun intérêt, et une part qui permet une meilleure gestion de la santé sur des questions préventives, de suivi des maladies chroniques… Tout l’enjeu est de faire la part des choses et de développer ces applications qui ont un bénéfice réel. Mais il faut aussi mettre en garde contre l’illusion d’une médecine purement technologique. La médecine doit savoir capter toutes les évolutions technologiques lorsqu’elles constituent des progrès, mais il n’y a pas de médecine sans contact direct, sans échange, sans examen clinique, sans interrogatoire, sans verbalisation…

J’ai vu qu’on développait des cabines de télémédecine pour les étudiants, qui sont particulièrement sensibles aux évolutions technologiques. C’est très bien si ces cabines peuvent amener à un dépistage, à une prise de conscience. Mais elles ne sont qu’un élément de ce parcours de santé. Le soignant restera incontournable.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier