A 61 ans, le Dr Raymond Broeders a plaqué les Pays-Bas et son cabinet de groupe pour venir s’installer dans un village de 650 habitants, dans la Nièvre. Fini les consultations à la chaîne, les soins palliatifs, les consultations téléphoniques et les réunions. Fini le burn-out. Avec ses 20 patients par semaine, le Dr Broeders profite d’une vie paisible à la campagne. Pour l’instant, les revenus ne suffisent pas. Mais le généraliste est d’un optimisme à toute épreuve.
 

 

“Je suis arrivé dans le Morvan en octobre dernier, pour préparer mon installation à Ouroux-en-Morvan. J’ai commencé les consultations mi-décembre. Je travaille avec ma femme, qui est ma secrétaire et mon assistante.

Je viens des Pays-Bas. J’ai habité dans une ville de 80 000 habitants et j’ai travaillé dans un cabinet avec 6 collègues. J’avais une patientèle de 2 500 personnes. J’étais débordé. J’ai travaillé comme ça pendant 30 ans. Je suis très heureux d’être médecin généraliste, mais le problème c’est que j’avais de moins en moins de temps pour mes patients et j’avais besoin de plus en plus de temps pour les réunions, l’administration, pour les formations, pour les gardes. Ça veut dire que je travaillais beaucoup. J’avais des consultations toutes les 10 minutes, des consultations téléphoniques… C’était trop. Un jour normal, j’avais 30 consultations par jour. Ça veut dire 150 par semaine, donc 600 par mois. Avec les visites, je n’avais presque pas le temps de déjeuner. En plus, je faisais des soins palliatifs, avec l’euthanasie qui est permise aux Pays-Bas, ça prend du temps et ça occupe les weekends et les nuits. Mes journées étaient complètement saturées.

En 2001, j’ai fait un burn-out. Après, j’ai travaillé encore, mais c’était trop dur.

 

Très heureux ici

Il y a deux ans, j’ai lu un article dans le journal sur des médecins qui s’étaient installés en France. C’était le Dr Gérard Van-Haendel. Il nous a mis en contact avec les villages qui ont des besoins. Nous sommes venus ici, il y a deux ans, assister à une réunion avec des médecins néerlandais qui travaillent déjà dans le Morvan. Et nous avons entendu beaucoup d’histoires très agréables. Le maire et le pharmacien d’Ouroux-en-Morvan avaient besoin d’un second médecin. Il y en a déjà un, mais il a trop de patients. C’est pourquoi ils m’ont demandé de venir ici.

Je suis très heureux. J’ai moins de patients, plus de temps, moins de réunions… C’est pour avoir ce confort que j’ai quitté les Pays-Bas.

Avec les patients, ça se passe bien. J’ai suivi un cours de français médical dans la région. Pendant une semaine, j’ai suivi une sorte de stage. C’était très utile. C’est difficile le français. J’ai commencé il y a un an, et ça reste difficile. Les mots les plus simples en français, sont, pour moi, très compliqués. Mais ça va. Et ici, les gens sont très gentils. Ils savent que je suis Néerlandais et parlent lentement. Ça se passe très bien. Maintenant, je prends 20 ou 30 minutes par patient, donc j’ai le temps demander des explications et de me corriger. La communication, pour les médecins généralistes, c’est le plus important.

 

Des débuts difficiles

En ce moment, je vois 20 patients par semaine. Ce n’est pas assez. Je comprends très bien que les patients ont besoin de temps, pour s’habituer, avoir confiance, c’est normal. Nous avons commencé avec 20 patients par mois, en janvier nous étions à 40 et aujourd’hui à 70 par mois. Dans trois ou quatre mois, nous n’aurons plus de problèmes. Au début, c’était difficile. J’aime mon métier, vraiment, et c’est difficile d’être dans le cabinet toute la journée, avec ma femme, pour voir un seul patient… Ce sont des jours très longs, avec la pluie et le froid… Les débuts n’ont pas été faciles. Mais nous restons toujours positifs. Le cabinet va marcher.

Pour l’instant, ce n’est pas assez pour survivre financièrement. C’est le grand problème. J’ai des réserves aux Pays-Bas. Je suis heureux dans mon travail, mais l’argent part très vite. Les investissements au cabinet sont à ma charge. La mairie ici n’a pas d’argent pour m’aider. Il y a une subvention de l’ARS [Ndlr : Praticien territorial de médecine générale], mais je ne la reçois pas si je n’ai pas 165 consultations par mois. Je ne comprends pas du tout. Maintenant, je n’ai pas assez de patients et j’ai besoin d’argent et on ne m’en donne pas. Quand j’aurai assez de patients, je n’aurai pas besoin de subvention… Je ne comprends pas du tout.

 

Etre à l’équilibre

Je comprends maintenant pourquoi un jeune médecin avec une femme et deux enfants ne vient pas s’installer ici. C’est un gros problème quand on n’a pas de réserves financières.

J’ai fait une demande pour exercer un jour par semaine dans le village voisin d’Anost. J’attends l’autorisation de l’Ordre de Saône-et-Loire. Ourroux restera mon cabinet principal, mais le vendredi on ira à Anost. Parce que le médecin qui s’y est installé juste avant nous est déjà parti. Il n’avait pas assez de patients. Il n’y a donc plus de médecin en ce moment. Nous espérons, avec cette combinaison, avoir un cabinet qui peut exister.

Aujourd’hui, nous avons 2 000 euros de frais par mois. Ça veut dire 80 patients par mois. C’est la base pour être à l’équilibre. Nous y sommes presque. Mais il faut vivre aussi. Ma femme n’a pas de salaire. Avec 160 ou 200 patients par mois on pourra vivre ici formidablement. C’est incroyable le changement entre une grande ville du sud des Pays-Bas et ici, dans une petite ville. Le temps, en ce moment, n’est pas très beau, mais ce n’est pas un gros problème. Ça va changer. Les gens sont gentils. Tout est un peu plus lent. Et pour nous, c’est formidable. Nous sommes très heureux d’être ici.

 

“Ici c’est le paradis sur terre”

La France est un pays de papiers et de chiffres, oui, mais avec moins de patients, ce n’est pas un problème pour moi. En comparaison avec les Pays-Bas, ici, c’est le paradis sur terre. Quand j’ai 10 ou 15 patients par jour ici, je suis heureux. J’ai du temps pour eux, j’ai du temps pour moi-même et je peux faire mon travail comme je veux.

Je comprends les médecins d’ici qui protestent. J’ai peur qu’on aille dans la même direction qu’aux Pays-Bas. Mais là-bas, tout va très vite. Ici, il y a beaucoup de manifestations et les médecins libéraux freinent, alors ça va plus lentement. Je crois vraiment que quand les médecins généralistes ont assez de temps pour les patients, ça coûte moins cher à la santé nationale. J’espère qu’en France, on gardera cette qualité.

C’est une histoire bizarre. J’ai 61 ans, et changer à ce moment-là de ma vie, c’est un peu spécial. C’est un défi. Mais c’est bien, c’est parfait. C’était un besoin pour moi. Je crois que j’ai toujours été un médecin de campagne, mais dans une trop grande ville. C’était mon problème.”

 

Mise à jour le 04/03/2016
Suite à vos nombreux commentaires, le Dr Boeders a tenu à apporter quelques précisions

“Merci pour toutes les réactions sur mon article. Ce n’est pas facile de réagir directement dans un interview téléphonique et dans une langue étrangère c’est encore plus compliqué ! Je voudrais vous expliquer quelques choses en rapport avec vos réactions :

1. Débordé aux Pays-Bas, le pays des tulipes. J’ai travaillé 10 à 11 heures par jour pendant 30 ans. 30-45 minutes de pause. Simplement calculer 30 patients x 10 minutes n’est pas assez. Avec les visites à domicile, avec les consultations téléphoniques, contrôler et marquer le courrier, avec 3 soirs dans une semaine plus le travail ordinaire, avec réunions et formations et avec les gardes… les semaines de 70-80 heures n’étaient pas une exception. Avec un boulot comme ça et un désir de prendre assez de temps pour le patient un burnout ne sera pas une grande surprise. L’âge aussi a joué un rôle. Et c’est pourquoi j’espère travailler pour quelques années à Ouroux, plus calme et avec plus de temps pour le patient.

2. Les discussions et les réactions sont surtout par rapport des revenus. Nous ne sommes pas venu ici pour l’argent. Ma femme et moi savons très bien que tout début peut être difficile et nous l’acceptons. Ma femme m’a donné la possibilité de continuer mon travail pendant 30 ans aux Pays-Bas. A 61 ans je pense ce n’est pas nécessaire pour elle de chercher un travail soi-même pour supporter financièrement !! Elle a fait assez pour moi et en plus , nous n’avons pas besoin de luxe ! Pour moi il était important d’expliquer dans l’article que, pour le moment c’est pour nous financièrement difficile au début mais ça doit être encore beaucoup plus difficile pour un jeune docteur avec une famille. En plus, l’ARS donne une subvention au moment où les plus grands problèmes ont disparu et à mon avis ce n’est pas le meilleur moment pour une telle aide. Quand cette subvention a l’intention de forcer tout les médecins de travailler dans une maison médicale, je le comprends. Mais quand cette subvention a l’intention de soulager les problèmes des déserts médicaux, ce n’est pas un bon choix !

3. Ma femme et moi, nous ne sommes pas du tout pitoyable, comme un des collègues a écrit dans sa réaction. Nous sommes très heureux ici dans le Morvan et voulons seulement travailler normalement comme médecin généraliste à la façon qui marche le mieux pour persévérer longtemps ; ce n’était pas possible aux Pays-Bas. Les discussions là-bas allaient se concentrer autour de plus d’argent et moins de patients ; les mesures forcées par les assurances avec conséquences dans mon cabinet pareil, l’argent. Collègues, gardez votre qualité, soignez plus votre patient et moins votre administration !!!!

Raymond Broeders”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier