Un interne s’est suicidé à Marseille en ce début d’année. Bouleversé, un ami et interne a écrit une lettre aux externes, “pour que l’histoire ne se répète pas.” “Apprenez à perdre : faites de la boxe et faites-vous tabasser, faites de l’escalade et tombez, passez les ECN et ratez-les. Et surtout n’ayez pas peur.”

 

“Lettre aux externes

Marie*, Je voudrais que tu lises cette lettre aux externes. Si tu n’as pas envie, je comprendrais, fais comme bien te semble mais je voudrais qu’ils sachent tous pourquoi je ne suis pas là aujourd’hui : je suis aux funérailles d’un de mes meilleurs amis.

(…) Il était interne comme nous et lundi il s’est jeté du haut d’une falaise. Si je vous raconte ça, ce n’est pas pour que vous ayez peur ou pitié mais pour que l’histoire ne se répète pas.

Il avait 27 ans. Il (…) a eu son Bac Mention Très Bien, a terminé 27ème en P1 et 104ème aux ECN, a couru le Marseille-Cassis en moins d’1h30, faisait du kitesurf, du wakeboard, du surf, des backflips en ski, avait tout un tas d’amis (…)

Il avait tout.

Jamais je n’aurais imaginé que ce genre de situation puisse me toucher de près ou de loin et pourtant…

Cette année, il s’est lancé dans un M2 et une année de recherche, en plus de l’hôpital, des gardes et de la vie autour. Il a fait tout ça parce qu’on lui a demandé, et que tout le monde le fait, et tout le monde y arrive. Il était brillant, ambitieux et bosseur. Il s’est laissé emporter par le tourbillon de la médecine et de ses exigences, il a comme d’habitude voulu tout mener de front, sans aide. Il a eu du mal. Pour la première fois de sa vie, il n’y est pas arrivé. Mais en chirurgie personne ne lâche. Ou plutôt, le premier qui lâche perd.

Il n’a pas supporté la vision d’un échec et a donc préféré s’en aller. Je crois qu’au fond la seule chose qu’il ne savait pas faire, c’était perdre.

Alors apprenez à perdre : faites de la boxe et faites-vous tabasser, faites de l’escalade et tombez, passez les ECN et ratez-les. Et surtout n’ayez pas peur.

Je vais vous dire comment c’est d’être interne, quoi que vous fassiez comme spécialité, c’est génial. C’est ingrat, c’est fatiguant, c’est mal payé, ça vous apportera de grands moments de joie et de tristesse, vos plus grands moments de solitude, de doute, de peur même, mais ça vous apprendra à vous dépasser, à donner le meilleur de vous, à en vouloir plus, toujours plus. Et c’est là que le bât blesse.

Donnez le meilleur de vous pour vous, pour l’amour de l’apprentissage, du savoir, de la science et non pas par fierté. Faites le sans jamais rien avoir en retour, avec toute l’humilité de quelqu’un qui pense. Faites-le pour les patients, pour leur famille.

Ayez une vie en dehors de l’hôpital, mariez-vous, ayez des enfants, voyagez, arrêtez médecine et recommencez, devenez boulanger, jardinier, barman à partir du moment que ça vous rend heureux.

Choisissez de faire ce qu’il vous plait.

Prenez du recul. Parlez.

Et racontez cette histoire autour de vous. Qu’elle vous laisse perplexe, qu’elle vous fasse réfléchir. J’espère vous avoir mis mal à l’aise en étant si personnel, parce que je sais que grâce à ça vous allez en discuter entre vous, avec vos amis, votre famille, avec nous, et c’est ça le plus important.

Alors lundi, quand on se reverra, rien n’aura changé, mais quelqu’un vous aura un jour dit que vous avez le choix et que rien n’est jamais fixé.

Une dernière chose, si j’ai écrit tout ça, c’est parce que je n’arrive pas à en parler de vive voix, alors soyez sympa, quand on se verra lundi, faites comme si de rien n’était. Merci. “

*Le prénom a été changé. Certains détails personnels ont été supprimés.

 

“La souffrance psychique chez l’interne en médecine est assez taboue”

La souffrance psychique est taboue, et particulièrement chez les étudiants en médecine. Constamment sous pression, ils doivent être les meilleurs et estiment ne pas avoir le droit de faillir. Leslie Grichy, interne en psychiatrie et vice-présidente du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris (SIHP), a mis en place un dispositif d’aide. 95% des étudiants qui l’appellent ont des difficultés liées à leur milieu professionnel.

Egora.fr : Pourquoi est-il si difficile pour un étudiant en médecine d’accepter un échec ?

Leslie Grichy : Un échec est vécu très difficilement par les étudiants en médecine. Ce sont des choses que l’on retrouve dans les études : les étudiants en médecine sont particulièrement sensibles aux épisodes dépressifs. Une étude, parue dans le Jama début décembre, montrait que les étudiants en médecine étaient 28,8% à souffrir d’un épisode dépressif. Je pense que c’est dû à plein de choses. Au fait qu’ils aient des difficultés à accepter le fait de ne pas réussir, probablement à d’autres raisons aussi, comme les conditions de travail.

Pourquoi ces difficultés sont-elles particulières en médecine ?

En médecine, comme dans toutes les autres études prestigieuses, il y a une pression particulière qui fait qu’on nous demande d’être les meilleurs. On a deux concours. On doit être dans les meilleurs pour pouvoir choisir médecine en première année, on doit être dans les meilleurs en sixième année pour pouvoir choisir notre spécialité et notre ville. On a une pression particulière. C’est vécu douloureusement. On a aussi toute une façon de penser, où on ne doit surtout pas se plaindre. La souffrance psychique chez l’interne en médecine est assez taboue, on en parle le moins possible. C’est assez étouffé. Et ça peut mener à des situations dramatiques, comme ce qui s’est passé à Marseille.

Mais il faut dire que la souffrance psychique est taboue partout en France. On n’a jamais vu un seul spot sur la prévention du risque suicidaire, alors que ça fait des milliers de morts chaque année. On n’en parle pas. Je pense que la maladie psychique est très taboue en elle-même.

En plus, on est médecins. Donc on pense qu’on n’a pas à être faillible, qu’on n’a pas à se plaindre quand on ne va pas bien. Alors même qu’on est une population particulièrement à risque. Et pourtant, on ne doit surtout pas en parler. Est-ce que c’est parce qu’on n’en parle pas qu’on est une population à risque ? Je pense qu’il doit y avoir un lien. Le fait que les choses soient taboues, ça n’aide pas. Finalement, le gens ne consultent que très tardivement. S’ils consultent.

N’y-a-t’il pas un manque à ce niveau dans la formation médicale ?

Oui, ça manque sûrement à la formation des médecins. On n’entend pas du tout parler du fait qu’on est une population particulièrement à risque. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, où certaines facultés ont pris le problème en main. Ils donnent des cours sur les signes à reconnaître quand on ne va pas bien, les signes quand on est en manque de sommeil, on leur donne des informations sur les dispositifs qui existent. Parfois, il y a même des gens qui sont présents dans les facultés, qui sont présents pour conseiller les étudiants et les orienter si besoin. Ça commence à exister en France. A Paris 6, ils ont mis en place le BIPE (Bureau Interface Professeurs Etudiants). L’idée c’est de mettre en relation les étudiants et les professeurs, pouvoir les conseiller en cas de problèmes d’orientation ou quand ils ont des questions… C’est une des solutions.

Quelles sont les autres solutions ?

Nous, au SIHP, on a mis en place un dispositif qui s’appelle “SOS SIHP”, pour apporter une solution à ces internes qui sont en souffrance. Le dispositif s’appuie sur deux internes de psychiatrie, un interne de médecine du travail, puisque la plupart du temps les situations sont liées au milieu professionnel, et un membre du syndicat local.

C’est une adresse email (sossihp@gmail.com), que les internes peuvent contacter. Ensuite, un membre du bureau, qui est généralement interne en psychiatrie, le recontacte, peut l’écouter, le conseille et peut le rediriger vers un psychiatre qui le reçoit de manière rapide, gratuite et anonymisée. Ce qui permet aux internes d’avoir un premier accès aux soins. C’est plus facile d’aller vers des pairs que vers des professeurs ou des gens de la hiérarchie. Beaucoup d’étudiants en médecine ont peur d’aller vers la hiérarchie, parce qu’ils ont peur des conséquences professionnelles futures. Si un supérieur hiérarchique est au courant de leurs difficultés, ils ont peur que par la suite, ça puisse les bloquer dans leur carrière professionnelle. Je pense aussi qu’on a l’impression d’être mieux compris par ses pairs, des gens qui traversent les mêmes difficultés que soi.

Qui sont les gens qui vous appellent ? Quelles sont leurs difficultés ?

Pour 95% des internes qui nous appellent, leurs problèmes sont liés aux études et aux conditions de travail. On a des internes de toutes les spécialités, aussi bien médicales, que chirurgicales … Ils sont tous représentés. De tous les semestres, du premier au 9ème.

Les situations sont toutes très différentes. Ça peut être un interne qui travaille plus de 100 heures par semaine et qui est à bout, qui ne dort pas depuis plusieurs jours et qui ne peut pas prendre d’arrêt de travail. Ça peut être dangereux pour leur vie. Ils vont traverser la route sans regarder s’il y a des voitures, par exemple. Ça peut être l’interne qui vient de faire une erreur médicale et qui est très culpabilisé. Ça peut être un interne qui doute de son choix de spécialité, avec toute la souffrance que ça peut engendrer après 10 années d’étude.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier