“Mascarade”, “propagande”, “marionnette”… Dans un rapport au vitriol, un cadre du ministère étrille Marisol Touraine et son manque de considération pour la démocratie sanitaire. Malgré les apparences, elle contrôle, censure et fulmine, assure Thomas Dietrich, qui a tenté de faire vivre la Conférence nationale de santé pendant un an. Aujourd’hui, il démissionne et balance.

 

“La démocratie en santé n’est qu’une vaste mascarade pour faire croire à une certaine horizontalité de la décision publique en santé – alors qu’elle n’a jamais été aussi verticale.” Pendant près d’un an, Thomas Dietrich, 26 ans, a occupé les fonctions de Secrétaire général de la Conférence nationale de santé. Il vient d’en claquer la porte avec fracas.

Créé en 2004, cet organisme a officiellement pour mission de favoriser la concertation sur les questions de santé, de formuler des avis sur la politique du gouvernement et d’organiser des débats sur les questions de santé publique. A ne pas confondre, donc, avec la Grande conférence de santé organisée par Manuel Valls. Rattachée par le biais de son Secrétariat général au Ministère de la santé, les textes prévoient néanmoins que la Conférence nationale de santé soit indépendante, comme les 120 membres qui la composent.

 

“Les dés sont pipés”

Voilà pour la théorie. Dans un document qui accompagne sa démission, Thomas Dietrich dénonce en fait la mainmise du Ministère de la santé sur cette Conférence nationale de santé (CNS). “L’illusion de liberté est savamment entretenue par le Ministère. A part quelques initiés au fait du scandaleux jeu de dupes qui se trame en coulisses, la grande majorité des membres de la CNS ignore que les dés sont pipés”, écrit le jeune fonctionnaire.

Mais cette démission fracassante n’est pas la première au sein de la Conférence nationale de santé. En septembre 2012, Thierry Daël, président de la Commission spécialisée des droits des usagers au sein de la CNS claquait lui aussi la porte. “Je reste persuadé que nos travaux ne sont pas diffusés, et tout simplement non lus. (…) La démocratie sanitaire n’a pas pris le bon chemin, c’est un oriflamme en berne faute d’écoute et de respect des services ministériels”, écrivait à l’époque Thierry Daël. “Nos politiques font preuve d’un cynisme à toute épreuve, souligne-t-il aujourd’hui. La CNS ne sert à rien, c’est un amuse-gueule. Et plus particulièrement avec Marisol Touraine. Ni les usagers ni les médecins ne sont écoutés. On est dans le règne du cynisme. La démocratie sanitaire existe quand on la fait vivre, aujourd’hui la situation est désastreuse. J’ai connu le système que dénonce Thomas Dietrich. Il dit juste, et on peut le regretter.”

 

“La Ministre rentra dans une colère noire”

Dans sa note de 28 pages, Thomas Dietrich révèle ainsi que Marisol Touraine et son cabinet ont, à plusieurs reprises, court-circuité le travail et l’indépendance de la Conférence nationale de santé. “Il faut dire qu’elle avait déjà été passablement échaudée par l’avis de la CNS sur le projet de loi de modernisation du système de santé”, écrit Thomas Dietrich. Dans une note précédente, la Conférence nationale de santé écrivait à propos de la loi de santé : “La CNS s’interroge sur la lisibilité de l’ensemble du texte. (…) Il y a surtout un manque de fil directeur pour donner sens à l’ensemble qui fait craindre que ce texte ne vienne encore à complexifier notre système de santé. Or complexité et inégalité de santé vont de pair.”

A en croire le désormais ex-Secrétaire générale de la Conférence nationale de santé, c’est un avis rendu sur la loi sur la fin de vie qui aurait mis le feu aux poudres. Il suggérait notamment de renforcer l’accès aux soins palliatifs et de mieux encadrer la sédation profonde et continue. “La Ministre rentra dans une colère noire à l’encontre de la CNS. (…) Très vite, il fut exigé que je fasse relire les avis ou contributions de la CNS par le cabinet de la Ministre, préalablement à leur publication. Ainsi, le cabinet pourra expurger tous les passages qui lui sembleraient trop contestataires.”

Mais le point d’orgue de cette “mascarade”, qui semble avoir convaincu Thomas Dietrich de précipiter son départ, aura été le débat promis sur l’obligation vaccinale. Les membres de la Conférence nationale de santé étaient convaincus que l’organisation de ce débat leur serait confiée, puisqu’il s’agit de l’une de leurs missions. “Sauf que tel n’était pas le projet de la Ministre et de ses sbires de l’administration centrale. Comprenant que la CNS ne serait pas le prestataire de service manipulable à souhait qu’ils escomptaient pour cette grande farce (…) ils déléguèrent le débat à un organisme sous tutelle de l’Etat.” C’est donc l’Agence nationale de santé publique, qui regroupe l’INPES, l’InVS et l’Eprus, qui sera chargée d’organiser le débat public. “En fait de débat public, c’est une véritable opération de propagande qui est menée pour inciter les Français à se vacciner. Machiavel en sortira sans doute grandi, mais non la démocratie en santé.”

 

Marisol Touraine a voulu faire taire un organisme trop indépendant

Enfin, Thomas Dietrich dénonce la diminution constante des moyens accordés à l’organisme chargé de faire vivre la démocratie en santé. En 2012, la part du budget servant à indemniser les 120 membres de la CNS était de 80 000 euros. “En 2015, il n’était plus de de 59 640 euros pour un nombre de membres qui demeure le même.” Dans le même temps, souligne le fonctionnaire, le Directeur général de la santé bénéficiait de 100 000 euros pour ses propres frais de représentation.

Thomas Dietrich dénonce que, sous couvert d’économies, Marisol Touraine ait voulu faire taire un organisme trop indépendant. “Il lui fallait s’assurer que désormais, la démocratie en santé serait à sa botte et agirait selon son bon vouloir. (…) Elle devait se chercher une autre marionnette.” C’est ainsi qu’en mai 2015, naissait l’Institut pour la démocratie en santé, avec pour mission de “donner un nouvel élan à la démocratie en santé”. “Notre objectif, soulignait la déléguée générale de l’Institut, Mélanie Heard, lors de son lancement, est que chacun perçoive que ses pratiques quotidiennes ont tout à gagner à mieux prendre en compte la participation citoyenne et à la favoriser.” Et pour mener à bien cet objectif, 400 000 euros ont été débloqués en 2015.

 

Rappel à l’ordre du ministère

Au passage, Thomas Dietrich ne manque pas de rappeler que Mélanie Heard a auparavant été conseillère auprès de Marisol Touraine, en charge du projet de loi santé. Tous les ingrédients pour faire de l’IPDS une “farce centralisatrice et inféodée au politique”.

Après la diffusion de ce texte acerbe, le jeune fonctionnaire a reçu un sévère rappel à l’ordre du ministère. “Dans ce document, (…) vous faites part de critiques extrêmement virulentes (…) Je me dois de vous rappeler que vous êtes tenu au devoir de réserve”. “Ne contestant même pas des propos qu’ils savent exacts, le Ministère m’enjoint de me taire. Peine perdue !”, a rétorqué Thomas Dietrich en publiant la mise en garde.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier