Il y a quelques jours, Sergio Canavero, un neurochirurgien italien a annoncé avoir réussi à greffer une tête de singe. Dans la foulée, il fait une prédiction étonnante : cette greffe sera bientôt possible sur l’homme. S’il réussit ce pari fou, l’Italien réaliserait alors le fantasme de nombreux scientifiques : greffer une tête sur un corps entier. Plusieurs expériences de ce genre ont été menées sur des animaux depuis le début du siècle. Plongée dans l’histoire (terrifiante) des greffes de têtes.
 

 

“C’est une vraie victoire pour l’humanité.” En ce tout début d’année 2016, le neurochirurgien Sergio Canavero est enthousiaste. Il vient, avec son co-chercheur le chinois Xiao Ping Ren, de réussir à greffer une tête de singe sur le corps d’un autre singe. Une étape cruciale dans le projet sur lequel il travaille depuis plus de trois ans : le protocole Heaven. Concrètement, il s’agit dans un premier temps de séparer les têtes des corps, puis de faire fusionner la moelle épinière du corps du donneur avec celle de la tête du receveur. Objectif, permettre à des tétraplégiques, par exemple, de remarcher en leur offrant un tout nouveau corps…

 

Le secret de l’immortalité

Plusieurs expériences, pas toujours réussies, ont été menées auparavant avec plus ou moins de considérations éthiques. Parmi les plus marquants précurseurs de Canavero, on peut citer Sergei Bryukhonenko. Dans les années 20, ce Russe a mené toute une série d’expériences sur des chiens. Son objectif était de réussir à maintenir en vie des têtes sans corps. Et le chercheur a réussi. En 1928, il expose une de ses têtes vivantes devant les scientifiques du monde entier lors du 3ème congrès de psychologie d’Union soviétique. Le chien décapité reste en vie pendant 3 heures, et montre encore d’incroyables réactions. Les spectateurs voient ainsi la tête du chien réagir face à un bruit, contracter les pupilles face à une très forte luminosité et se lécher les babines. Ce chien a même avalé un morceau de fromage… qui est ressorti sous la gorge. Dans la communauté scientifique de l’époque, cette découverte a fait l’effet d’une bombe. Beaucoup ont considéré que Bryukhonenko détenait le secret de l’immortalité. Le dramaturge Georges Bernad Shaw a suggéré qu’on utilise cette technique pour maintenir en vie des hommes de lettres avant qu’ils ne meurent. Mais personne n’a voulu se prêter à l’expérience…

Film d’époque sur les expériences de Bryukhonenko (19min en anglais)

 

Les deux têtes conservaient des comportements bien distincts

Près de 30 ans après Bryukhonenko, c’est un autre soviétique qui a soulevé la polémique, toujours avec une expérimentation sur les chiens. Vladimir Demikhov a greffé tout le haut du corps d’un chiot, sur le cou d’un autre chien. Il a donc créé une sorte de cerbère à 2 têtes et 6 pattes. Nous sommes dans les années 50 et cette expérience menée par ce grand chirurgien, pionnier des transplantations, est une vraie prouesse. Demikhov a réussi à connecter les vaisseaux sanguins des deux animaux créant un être vivant qui a réussi à vivre plusieurs jours, à bouger, à respirer… Apparemment, les deux têtes conservaient des comportements bien distincts. Elles ne dormaient par exemple pas en même temps. La tête greffée buvait du lait qui, là encore, ressortait par l’œsophage.

Au total, le chercheur a réalisé 20 transplantations de ce type dont le record de survie a été de 29 jours. Les autres animaux sont décédés prématurément d’infections post-opératoires. Là encore, la presse s’est délectée à suivre les naissances de ces drôles d’hybrides, les qualifiant de “spoutnik chirurgicaux” qui n’avaient été créés que dans le seul but de faire un beau coup de pub au chirurgien. Mais Demikhov s’en est toujours défendu, insistant sur l’intérêt scientifique de son projet. L’objectif était selon lui, à terme, de réussir des greffes d’organes vitaux, notamment du cœur. Et quelques années plus tard, en 1967, quand le Dr Christiaan Barnard a réussi la première transplantation cardiaque, il n’a pas manqué de saluer le travail de Demikhov.

 

Il voit, mord, mais reste tétraplégique

Mais celui qui a le plus inspiré Sergio Canavero est un américain du nom de Robert J. White. 45 ans avant le neurochirurgien italien, ce chirurgien né le 21 janvier 1925, soit le jour anniversaire de la décapitation de Louis XVI, avait déjà réussi une greffe de tête sur un singe. La première étape de ses travaux date de 1962. A 36 ans, le jeune homme déborde d’ambition et est fasciné par les travaux de Demikhov. Mais, en pleine Guerre froide, l’Américain veut aller plus loin que son homologue soviétique. Greffer une deuxième tête sur un corps, ce n’est pas une vraie greffe de tête, assure-t-il. Il commence alors une série d’expériences.

Tout d’abord, White extrait le cerveau d’un singe et parvient à le garder actif pendant quelques heures, grâce à un circuit sanguin artificiel. Deux ans plus tard, il transplante le cerveau d’un chien dans le cou d’un autre. Problème, il n’y a aucun moyen de prouver que le cerveau est toujours conscient. White continue donc ses expériences… En 1970, il réussit, enfin, à greffer la tête d’un singe sur le corps d’un autre singe. Le nouvel animal est bien vivant, il voit, mord mais reste tétraplégique. White n’a pas trouvé le moyen de reconnecter la moelle épinière.

Reportage sur Robert White (14 min en anglais)

S’il a réussi une première scientifique, cette dernière ne s’est pas soldée par le succès qu’il escomptait. L’opinion a été scandalisée de cette expérience et des horreurs commises sur ces animaux cobayes. Qu’importe, l’homme, décédé en 2010, a toujours assumé ses recherches. Il a toujours affirmé qu’une greffe de tête serait possible sur l’homme dès le XXIème siècle… A condition qu’on découvre comment reconnecter la moelle épinière. Un obstacle déjà franchi par Canavero et Ren.

Les deux chercheurs révéleront dans quelques mois les détails de leur greffe de tête de singe dans plusieurs revues scientifiques. En attendant, en Chine, où ils mènent leurs travaux, des expérimentations seraient déjà en cours sur des cadavres humains. Et, déjà, un jeune Russe souffrant d’une maladie dégénérative s’est porté volontaire pour voir sa tête greffée sur un autre corps. Les chercheurs lui ont donné rendez-vous pour 2017.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A. B.

 

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