Généraliste dans 20ème arrondissement parisien, le Dr Mady Denantes est une fervente militante du tiers payant, qu’elle applique depuis 30 ans. Ce qui lui vaut d’ailleurs une bonne collection de lettres de la CPAM rappelant, qu’il n’y a pas si longtemps, le tiers payant n’était pas autorisé aux généralistes. Malgré les nombreux paiements refusés qui émaillent ses comptes, elle continue de croire que les médecins ont tout intérêt à le pratiquer.

 

Egora.fr : Dans la revue Les tribunes de la santé, vous publiez un texte qui rappelle que le tiers payant n’était pas autorisé il y a encore quelques années. C’était important de faire ce rappel historique maintenant ?

Dr Denantes : On parle énormément du tiers payant, mais c’est un vieux sujet pour moi. Depuis que je me suis installée, il y a 30 ans, je veux le pratiquer. Mais c’est une histoire lourde. Avant 2011, le tiers payant n’était pas autorisé. C’est quelque chose qu’on entend peu dans le débat actuel. Et il sera obligatoire en 2017… Ça va trop vite.

Beaucoup de confrères de province l’utilisaient sans soucis, mais à Paris non. J’ai encore un gros dossier de lettres de refus de la CPAM. Et pour moi, le grand scandale du tiers payant, c’était ça. D’autant qu’il était autorisé à tous les acteurs de premier recours, à l’exception du médecin généraliste.

Et maintenant, on est face à un autre extrême, c’est qu’il devient obligatoire en 2017 et surtout de manière intégrale. J’ai voulu rappeler l’histoire, parce qu’il y a beaucoup de passion dans ce débat sur le tiers payant.

Pour rendre le système plus simple, vous proposez l’exonération du ticket modérateur pour les généralistes.

Oui, c’est une belle idée. Que le premier maillon de la chaîne du système de soin soit pris en charge à 100%, ce serait super. Il faudrait que nos responsables y réfléchissent. L’autre idée, qui est très belle aussi, c’est de pouvoir choisir l’assurance maladie comme assurance complémentaire. Et c’est faisable, puisque ça existe chez nos concitoyens d’Alsace et de Moselle. Cette complémentaire Sécu aurait beaucoup moins de frais de gestion et de dossier puisqu’elle me connaît déjà. Mais je pense que les mutuelles, assurances et société de prévoyances verraient ça d’un mauvais œil. Ce serait compliqué pour elles, puisque je pense que beaucoup d’entre nous choisiraient cette assurance complémentaire.

Quid de la surconsommation de soins et de la déresponsabilisation des patients ?

Des études ont été faites sur la consommation de soins pour les personnes qui bénéficient du tiers payant intégral. Et non, il n’y a pas de surconsommation. Ce n’est pas moi qui le dis.

Concernant la responsabilité, il me semble qu’il y a une personne qui doit être responsable, c’est le soignant. Quand quelqu’un vient me voir pour une IRM parce qu’il a mal au dos, il le droit de me faire la demande, quelle que soit sa situation. Après, il a affaire à un soignant qui a le devoir de dire non quand ça n’est pas nécessaire. L’acte de refuser un soin, c’est aussi de notre compétence. Ce n’est pas toujours facile de dire non, ça prend du temps, mais c’est notre boulot.

Vous tenez au tiers payant. Vous dites qu’il bénéficie aux patients, mais aussi aux médecins. Pourquoi ?

Pour les médecins, le tiers payant est un bénéfice évident. Le premier exemple, c’est la visite à domicile chez des personnes âgées. Heureusement, que sur des patients complexes, nous ne devons pas gérer le chéquier en fin de consultation ! Notre temps est précieux. Quel bonheur ne de pas avoir besoin de demander à la personne âgée de faire un chèque. Le deuxième avantage, c’est de ne pas avoir plein de liquide en fin de journée. On travaille tard le soir, heureusement que je n’ai pas un tiroir rempli de billets en fin de journée. Et puis la remise de chèques, j’ai toujours trouvé que c’était un exercice fastidieux. Après avoir fait 10 ans d’études et 30 ans de formation continue, j’aimerais bien faire autre chose qu’aller déposer des chèques à la banque.

Mais c’est exactement la critique que font beaucoup de médecins contre le tiers payant… Ils n’ont pas fait 10 ans d’étude pour faire de la paperasse et récupérer les impayés.

C’est un gain de temps, si le tiers payant est simple et garanti ! Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut absolument proposer un outil fonctionnel aux soignants. Il faut bien sûr un seul payeur ! Ça existe déjà, et je veux le rappeler. Ça existe pour les patients bénéficiaires de la CMU-C. C’est une formule simple. Si les gens qui organisent toutes ces choses ont pu le faire pour la CMU-C, on doit pouvoir le refaire.

Aujourd’hui, vous avez beaucoup d’impayés ? Ça représente quelle part de votre trésorerie ?

Je ne l’ai jamais calculé. Je devrais. Je n’applique le tiers payant que sur la part AMO. Aujourd’hui, quand je regarde mes 100 dernières consultations, j’ai cinq à dix points rouges pour les refus de paiement. C’est-à-dire 5 à 10% de mes revenus. C’est beaucoup. Et encore je ne pratique pas le tiers payant sur la part complémentaire. Pour un praticien qui a fait son travail correctement, c’est tout à fait insupportable. Ça c’est une manière de créer un front anti tiers payant. On pousse les soignants à être contre le tiers payant. Dès que le système refuse de payer, il devrait immédiatement y avoir un être humain qui regarde et qui se demande pourquoi.

C’est le problème majeur du tiers payant généralisé tel qu’il est prévu par la loi aujourd’hui ?

Oui, mais je reste optimiste. On a des gens compétents qui dirigent toutes ces instances, donc j’espère qu’ils vont trouver le système simple.

Par contre, ce qui m’inquiète, c’est l’idée de mettre le terme obligatoire derrière. Quel intérêt ? Pourquoi braquer les médecins en ajoutant le terme obligatoire ? Il n’y a pas besoin de rendre les choses obligatoires quand elles marchent, qu’elles sont simples et qu’elles arrangent tout le monde. De fait, elles deviennent systématiques.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier