L’annonce du suicide du Pr Megnien en décembre dernier à l’hôpital Pompidou, a dévasté le Dr Blandeau* parce qu’il l’a renvoyée à sa propre histoire. Urgentiste, elle vit depuis trois ans le même drame que celui du cardiologue parisien. Harcelée, placardisée, anéantie… elle a ressenti le besoin de dire que le cas du Pr Megnien est loin d’être isolé.

 

“Je suis urgentiste depuis 30 ans, et j’ai été nommée chef de service en 2007. Jamais personne n’a rien eu à me reprocher sur le plan professionnel. J’ai toujours bien fait mon boulot. On avait construit une bonne équipe, on était le meilleur service des urgences de la région.

J’ai été très remuée par le suicide du cardiologue de l’hôpital Pompidou en décembre. Ça m’a complètement renvoyé à mon histoire. J’ai tout lu sur lui. Nous avons le même profil. J’ai retrouvé un mécanisme qui est exactement celui que j’ai vécu. Je me suis identifiée à cet homme. Ses phrases auraient pu être les miennes. Cet homme a été très courageux. C’est très symbolique de passer à l’acte sur son lieu de travail. Je ne sais pas si j’aurai son courage.

 

Sa politique, c’était d’éliminer tous les directeurs

Tout a commencé mi 2013. Même si ça faisait quelques temps que ça n’allait plus très bien. La politique d’établissement commençait à ne plus me convenir. J’ai été chef de service des urgences de 2007 à 2010. J’avais monté le service. C’était familial. Je connaissais la vie de famille de tout le monde, j’amenais le petit-dej le week-end… J’ai monté un secteur de tri. Ça marchait très bien. Aujourd’hui, tout ça est cassé. Je me suis investie dans ce service, mais avoir mon nom en haut, ça m’était égal. En 2010, je suis devenue chef de pôle. Je l’ai fait pour permettre à un collègue de postuler à la présidence de la CME. Mais petit à petit, il s’est maqué avec le nouveau directeur. Ils mangeaient chaque semaine ensemble dans le bureau du directeur. Il a vendu son âme au diable, il a laissé tomber la petite médecine pour aller dans les hautes sphères.

Quand le directeur est arrivé fin 2010, ça se passait bien. Il était plutôt enthousiaste. Mais petit à petit, tout était fait en secret. Il prenait les décisions, et en directoire on ne faisait qu’approuver. Il n’allait pas dans les services, il ne connaissait personne. Aux urgences, les gens n’ont vu sa tête qu’au bout de trois ans, lors de mon affaire. Dans le même temps, il était très familier avec les chefs de pôles. Il avait un langage très jeune. Il disait “à donf”. Sa politique, c’était d’éliminer tous les directeurs. Il n’y avait plus que des adjoints. Il plaçait ses pions. Ils lui mangeaient dans la main. Il fallait vendre des chambres particulières aux patients, pour remonter le déficit. Il a fermé des tas de lits. C’était une vraie usine à gaz. Il a repris les chirurgiens d’une clinique voisine, qui travaillaient dans le service privé de l’hôpital.

Moi, ça allait de moins en moins. Le personnel n’était pas remplacé. Les relations devenaient difficiles avec le président de la CME, alors que j’avais fait campagne pour lui. Mais il était cul et chemise avec le directeur. Et moi je n’étais plus au courant de rien. Ça devenait dur.

 

Descente aux enfers

Et un jour, le directeur m’a convoquée. J’y suis allée en toute confiance, pensant que c’était pour parler du service. Et là, il me dit qu’il veut me mettre au DIM (département d’information médicale. Ndlr). Son grand copain, directeur de l’Offre de soins à l’ARS qui arrosait régulièrement l’hôpital à coups de millions, quittait ses fonctions. Il fallait donc trouver d’autres rentrées d’argent. Il voulait donc que ça passe par le DIM, qui peut rapporter beaucoup d’argent si on sait bien coder. Il m’a clairement dit qu’il avait besoin de 800 000 euros. Il voulait m’y envoyer moi. J’ai dit non. Et là, il a changé de ton. La suite, ça a été la descente aux enfers. Il a prétendu que des cadres avaient écrit contre moi, et qu’il valait mieux que je m’en aille plutôt que ce soient les cadres. L’instant d’après il disait qu’il n’avait rien à me reprocher, que j’étais son meilleur chef de pôle. Il me proposait donc de rester chef de pôle, mais m’ordonnait de quitter les urgences, de ne plus voir de patients, et de passer au DIM. Et surtout, il fallait que je ne dise rien. Moi, j’étais le bon pion. Je travaillais tous les jours. Même en vacances, je consultais mes mails. J’arrivais toujours à mes fins, j’étais respectueuse de la hiérarchie…

Je suis repartie effondrée. Je me suis mise en arrêt une première fois pendant 15 jours. J’ai écrit une lettre recommandée pour refuser. Je suis quelqu’un réputé pour avoir du caractère, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Mes collègues ont protesté. A tel point qu’il a renoncé. J’étais de retour sur les plannings. Mais j’ai compris qu’il voulait reprendre en main les urgences comme il l’entendait. C’était un monde à part, que j’avais construit, et il voulait y rentrer pour les gérer à sa manière. Moi, j’allais toujours dans le sens du personnel. Et ça, ça ne lui plaisait pas.

Bon, j’étais de retour comme chef de pôle aux urgences. Sans pour autant qu’il me l’ait annoncé clairement. Et au directoire suivant, j’apprends que mon pôle va fusionner avec le pôle gériatrie. Ca sortait de son chapeau, je n’en avais jamais entendu parler. J’ai tout de suite compris que c’était sa manière de m’éliminer. Le chef de ce nouveau pôle, ça n’allait pas être moi.

Et au même moment, j’apprends que je reçois l’Ordre national du Mérite, pour ma carrière. C’était très drôle. J’ai dit au préfet : ’Vous m’annoncez ça alors qu’on est en train de me virer’. Je ne savais plus où j’en étais. Je voulais quitter l’hôpital.

 

Patrick Pelloux m’appelle pour me proposer de m’aider et d’en parler à Marisol Touraine

Puis j’apprends que le préfet ouvre une enquête, que l’ARS est au courant de mes problèmes. Patrick Pelloux m’appelle pour me proposer de m’aider et d’en parler à Marisol Touraine, au Premier ministre. Chaque jour, il m’envoyait un mail pour me dire de ne pas m’en faire, que le directeur allait être muté… Je passais vraiment par des hauts et des bas. Et avec tout ça, mon histoire est passée par le ministère, le Centre national de gestion. Et a fini par m’échapper. Moi, je voulais résoudre ça localement, que le président de la CME réunisse les chefs de pôles et qu’on règle ça en directoire. Sauf qu’il ne m’a jamais entendue, ne nous a jamais réunis. Je ne voulais pas que ça prenne de telles proportions. J’ai été utilisée. On m’a vu en fille droite dans ses bottes, qui ne laisse pas passer les injustices. Une sorte de Jeanne d’Arc. Sauf qu’elle a fini brûlée.

A la fin de l’année 2013, l’ARS me convoque. Je pensais qu’on allait me comprendre. Mais ça a été la douche froide. Le responsable m’a accusée d’avoir monté cette histoire en épingle, en disant que c’était honteux. Et il m’annonce une médiation.

Les médiateurs sont arrivés fin janvier 2014. La situation était déjà très anxiogène, mais là ça a été pire que tout. Ça a été à charge tout de suite. Ils avaient déjà vu directeur. Lors du premier entretien, ils m’ont tenu trois heures dans une grande pièce où ils tournaient autour de moi. Ils m’accusaient d’avoir menti, d’interpréter les faits, d’en vouloir au directeur… Le deuxième rendez-vous a duré six heures ! Sans boire, sans manger, sans aller aux toilettes. Moi je me sentais très mal, je pleurais. Quand j’ai abordé la question du suicide, j’ai reçu des menaces. Ils alternaient le chaud et le froid. Me disant que j’étais très bonne, que je ne devrais pas foutre tout ça en l’air et puis que je travaillais trop, qu’il me fallait du repos. Il faut tenir 6 heures à ce rythme. En sortant, j’étais une larve. Une serpillère. J’ai pensé que j’allais foutre ma voiture dans un arbre.

Dans le service, c’était une atmosphère délétère. Quand certains ont voulu lancer une pétition, le chef de service et président de la CME leur a interdit de faire quoi que ce soit pour moi. Certains ont commencé à supposer que j’avais tué quelqu’un, que j’avais fait des choses interdites… Ça prenait une ampleur délirante.

 

Je prenais des antidépresseurs comme des bonbons

Quelques mois plus tard, les médiateurs ont remis leurs conclusions à l’ARS. Je devais quitter les urgences, je ne serais plus chef de pôle, et un poste allait m’être proposé “à la hauteur de mes compétences”. Donc ils ont commencé à me proposer des missions. La première, c’était “coordinatrice de personnes âgées”. J’ai cru qu’ils se foutaient de moi. C’était des missions à la con. Personne n’a rien à me reprocher, je n’ai rien demandé, je ne vais pas accepter ces missions. J’ai dit non. Là, j’étais dans une phase remontée. On passe par des phases d’abattement, de colère…

C’est à ce moment que j’ai été arrêtée pour la deuxième fois. Un psy venait à la maison. Je prenais des antidépresseurs comme des bonbons. Je voulais déconnecter complètement. J’avais toujours des idées suicidaires. 30 ans de ma vie s’écroulaient.

Quand je suis retournée au travail, on m’a mis à la régulation. Du jour au lendemain, on m’a retiré les plannings. Ça, ça a été la plus grande humiliation. Je les faisais depuis des années. Je pense que c’était le pire. Je n’étais plus rien. Je me retrouvais à répondre au téléphone dans un service, dirigé par un chef de service et président de la CME qui m’avait trahie et par une chef de pôle qui avait pris ma place. Et 48 heures par semaine à attendre un coup de téléphone, quand vous avez 30 ans d’expérience aux urgences. Avant j’étais débordée. Maintenant je m’ennuie.

Aujourd’hui, je vivote. Je ne crois plus en rien. Je n’ai plus d’avenir. Je ne me projette plus. Finalement, que je me suicide ou pas, ce n’est pas très grave. Si je me suis décidée à parler, c’est dans l’espoir d’aider quelqu’un. Parce que le cas du cardiologue de Pompidou n’est pas isolé. Mon cas n’est pas isolé.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

 

* Le nom a été modifié.