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Et si l’Ordre était moins has-been ?

Réactionnaires, notables, retraités, à mille lieues de la réalité… Les clichés sur l’Ordre collent à la peau de l’institution. Pourtant, depuis l’arrivée du Dr Patrick Bouet à la tête du Conseil national, l’image de l’Ordre est en train de changer. Moins caricaturée, l’institution semble se rapprocher des médecins. Est-ce simplement dû à une meilleure communication ou l’institution fait-elle son entrée dans la modernité ?

 

27 juin 2013. C’est une petite révolution. Pour la première fois, un médecin généraliste de moins de 60 ans, et encore en activité, prend la présidence du Conseil national de l’Ordre des médecins, après avoir été élu dès le premier tour. “Nous allons moderniser l’institution et la placer au coeur du débat de la santé. Nous allons l’externaliser, c’est-à- dire la porter au coeur de la société de façon à ce que l’on nous connaisse mieux. […] L’objectif est que les médecins reprennent totalement leur rôle dans cette société qui s’interroge. Les patients doivent également reprendre confiance à la fois dans les médecins et dans tous les acteurs du monde de la santé”, confiait à Egora.fr le Dr Bouet fraîchement élu.

 

“Comité stratégique”

Deux ans et demi plus tard, si au sein des bureaux cossus du boulevard Haussmann à Paris rien ne semble avoir changé, un vent de modernité souffle sur l’institution. Les conférences de presse attirent de plus en plus de journalistes, et l’Ordre est devenu un interlocuteur incontournable du monde de la santé. “Notre challenge était vraiment de faire entrer l’institution dans le XXIe siècle. Nous voulions faire de l’institution ordinale un acteur central du débat dans le mécanisme d’organisation du système de soins en France. Tout cela en étant un garant de l’exercice des professionnels et des valeurs fondamentales de cet exercice. J’ai le sentiment que l’on a tenté de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour que ces objectifs soient atteints et qu’ils sont plutôt bien tracés”, se réjouit le président du Conseil national de l’Ordre des médecins.

Mais à y regarder de plus près, les costumes sombres et cheveux grisonnants, très représentatifs de l’Ordre, n’ont pas changé. Et si un président en a remplacé un autre, les conseillers ordinaux restent les mêmes. Les Drs Walter Vorhauer et Patrick Romestaing qui affrontaient le Dr Bouet pour la présidence de l’Ordre en 2013 sont aujourd’hui respectivement secrétaire général et vice-président de l’institution. Et ils font partie du “comité stratégique” mis en place par Patrick Bouet à son arrivée à la tête de l’Ordre. “Contrairement à ses prédécesseurs, le Dr Bouet est un président qui se place au coeur d’une équipe. C’est une nouveauté fondamentale. C’est le comité stratégique qui détermine la stratégie institutionnelle de l’Ordre, et le président se plie aux décisions prises”, s’enthousiasme Patrick Romestaing. À l’unanimité, les conseillers ordinaux louent l’approche collective du Dr Bouet. Ce dernier justifie notamment son mode de gouvernance par son expérience de médecin généraliste. “Je suis par nature formé à la coordination et au travail d’équipe. Le fait d’être généraliste m’a peut-être permis d’être un point rassembleur. Et puis j’ai beaucoup de défauts, mais une qualité ne me manque pas, c’est celle d’être à l’écoute. J’écoute beaucoup avant d’agir, comme tout médecin généraliste je raisonne et je n’agis jamais seul. Le fait d’être généraliste m’a donc probablement permis d’être dans une capacité de partage, d’écoute et d’action commune que peut-être d’autres avant moi n’avaient pas de la même façon”, analyse-t-il.

 

“Faire déplacer le président et le Premier ministre aux congrès n’aura débouché sur rien”

Ferait-il référence à la présidence du Dr Michel Legmann ? Ce dernier, président du Cnom de 2007 à 2013, avait en effet un exercice plutôt solitaire. “Le style entre les deux présidents est très différent. Le Dr Legmann avait envie de bien faire, mais il se préoccupait moins du caractère collégial”, estime avec tact le Dr Lucas, vice-président de l’Ordre. De son côté, le Dr Pierre Haehnel, secrétaire général de l’Ordre pendant la présidence du Pr Bernard Glorion (1993-2001), est moins diplomate. “Entre 2002 et l’arrivée du Dr Bouet, l’Ordre s’est contenté d’expédier les affaires courantes. Le président Bouet a donné une nouvelle impulsion à l’Ordre. Il a remis le médecin au centre des débats”, constate-t-il.

Des propos qui agacent profondément le Dr Legmann. “J’ai fait énormément de réformes de structure, de l’insuffisance professionnelle au mode électoral en passant par le nombre de conseillers ordinaux, liste le radiologue, avant d’ajouter : j’ai déclenché l’implication du Cnom dans un tas de domaines, à tel point que j’ai été critiqué par les syndicats. J’ai livré à mon successeur un Conseil national distant d’un océan par rapport à ce que j’avais moi-même reçu en héritage”, réplique-t-il.

L’ancien président du Cnom reconnaît toutefois n’avoir peut-être pas assez communiqué sur l’action de l’Ordre. “En termes de communication, la grande consultation lancée par Patrick Bouet est une belle réussite, salue le Dr Legmann. Patrick Bouet est plus jeune que moi, il a une façon différente de voir les choses, constate-t-il. Moi j’ai peu communiqué, mais j’ai fait beaucoup de réformes. Aujourd’hui, il y a beaucoup de communication mais rien sur le plan des réformes, tacle-t-il, avant de poursuivre : “Faire déplacer le président de la République, puis le Premier ministre aux deux congrès de l’Ordre n’aura débouché sur rien.”

Très critiqué en interne pour sa proximité avec Nicolas Sarkozy, Michel Legmann admet que son amitié avec l’ancien président de la République et maire de Neuilly-sur- Seine lui a permis de “faire passer des réformes” que ses prédécesseurs “n’avaient jamais faites”. De ce point de vue, l’approche du Dr Bouet est diamétralement opposée. Le nouveau président de l’Ordre tient à garder une neutralité politique, bien qu’il soit vu par tous comme “un homme de gauche”. “D’un radiologue de Neuilly, on est passé à un généraliste de Seine-Saint- Denis. On a changé de monde”, s’amuse le Dr Romestaing. Ce dernier qui craignait à l’élection du Dr Bouet une nouvelle proximité avec le pouvoir socialiste en place a vite été rassuré. “Il a une indépendance totale vis-à-vis du pouvoir politique en place. Il défend les missions de l’Ordre”, se réjouit le conseiller ordinal.

 

“L’Ordre est gangréné par une lutte intestine de syndicats”

“L’Ordre est indépendant. Son indépendance est garantie par la cotisation des médecins. Nous n’avons pas à courber la tête devant le pouvoir, qu’il soit économique, politique ou syndical. C’est cette garantie d’indépendance qui nous a permis d’avoir le président de la République à notre premier congrès, d’avoir le Premier ministre au deuxième, ou encore de pouvoir écrire une lettre ouverte à Marisol Touraine lors des voeux de l’année 2015. Nous disons clairement que l’Ordre n’est pas une institution au service du pouvoir politique”, résume le Dr Bouet.

Si la nouvelle indépendance politique de l’institution semble évidente, l’indépendance de l’Ordre vis-à-vis des syndicats l’est moins. “L’Ordre est gangréné par une lutte intestine de syndicats”, indique sous couvert d’anonymat un conseiller départemental. “En 1993, quand le président Glorion est arrivé à la tête de l’Ordre, ne siégeaient au conseil national que des gens qui avaient une activité syndicale”, se souvient le Dr Haehnel. Le passage par le monde syndical est très souvent le parcours type d’un conseiller ordinal. “On a commencé à faire du syndicalisme, puis on a bifurqué”, explique le Dr Vorhauer. “Au sein de l’Ordre, il n’y a théoriquement pas de place pour les syndicats. Après, qu’il y ait des élus qui appartiennent à des syndicats et qu’ils soient conseillers ordinaux, c’est autre chose. Il y a une liberté de candidature. On peut être un candidat issu du monde syndical, mais une fois arrivé à l’Ordre il n’y a plus de représentation syndicale. J’ai été moi-même il y a plus de trente ans président d’un syndicat départemental départemental de la FMF, puis j’ai fait un choix ordinal. Les convictions syndicales font partie de notre histoire personnelle”, résume le Dr Bouet.

Des convictions qui ont forgé la personnalité du nouveau président. “J’ai toujours été un agitateur. C’est pour cela que je ne rejette pas aujourd’hui les agitateurs d’idées. Ce sont eux qui font avancer l’institution. L’Ordre doit bouger et prendre des risques sans avoir peur des conséquences”, estime le président du Cnom.

L’opposition frontale contre la loi de santé en est un exemple. “2015 aura été une année difficile pour la profession, une année de très forte contestation, que l’on peut imputer autant au contenu de la loi de santé qu’à la manière utilisée pour la faire adopter. 2015 restera l’année noire d’un débat manqué, et la loi de santé restera avant tout une occasion manquée, disait- il lors de ces voeux pour 2016. Nous ferons entendre notre voix et nos exigences lors de la définition des décrets d’application et des ordonnances de la loi pour garantir aux médecins et aux patients des textes acceptables et applicables”, avertissait le Dr Bouet.

 

“L’Ordre a toujours été réactionnaire”

Replacer les médecins au centre du débat aura été la priorité du généraliste. Spot de promotion, grande consultation, l’Ordre s’est littéralement positionné en porte-voix de la profession. Si la forme est convaincante, certains médecins déplorent que le fond reste toujours le même. “L’Ordre a toujours été réactionnaire. Il y a quarante ans, ils étaient contre l’IVG. En 2015, ils sont contre le Dr Bonnemaison. Ils ont toujours été un frein aux évolutions professionnelles”, estime le Dr Paul Le Meut, membre de l’association Contrordre. “Si être conservateur c’est défendre une vision professionnelle sur la base de valeurs fondamentales, alors oui je suis conservateur”, rétorque le Dr Bouet.

Quoi qu’il en soit, depuis l’arrivée du Dr Bouet, l’Ordre semble moins détesté par l’ensemble du corps médical. Tout doucement, les jeunes et les femmes investissent les conseils ordinaux. Mais le généraliste est conscient qu’il reste encore du chemin à parcourir avant que l’institution ne soit totalement en phase avec son temps. “La société va de plus en plus vite. Elle pousse l’institution à se réformer. En élisant un généraliste réformateur à la tête de l’Ordre, on a passé la deuxième. La loi sur la parité qui entrera en application en 2019 devrait donner un nouveau coup de fouet et on passera la troisième”, anticipe le Dr Vorhauer. En attendant, le Dr Patrick Bouet sera très probablement réélu pour un second mandat en 2016.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin