Sur le site de PSA de Metz, le médecin du travail s’appelle Isabelle Kryvenac. Mais depuis quelques mois, elle est plus connue sous le surnom de Dr Courage. Parce qu’elle croit à l’indépendance et à la nécessité de son travail, elle a tenu tête à la direction. Elle a parlé des risques et des problèmes, elle a refusé de présenter des documents censurés, elle s’est battue pour envoyer des accidentés aux urgences. Surtout, elle a refusé de présenter sa démission quand on le lui a demandé. Sous le coup d’une procédure, elle en connaîtra l’issue en février.
“J’ai commencé à travailler en janvier sur le site de Metz. Avant mon arrivée, deux médecins sont partis. L’un était en cumul emploi retraite, et il était fatigué parce qu’on lui demandait d’être sur deux sites à la fois. Et une autre était très intéressée par son poste mais souhaitait réduire son temps de travail à 50%. On lui a demandé de partir.
Le DRH, qui est parti en novembre dernier, souhaitait que tous les documents médicaux que je pouvais présenter en réunion soient relus par lui. En juin, alors que je devais rendre un rapport sur les risques psychosociaux au CHSCT, j’ai senti une réticence. On m’a tout de suite dit que c’était beaucoup trop négatif, qu’il y avait des points que je devais atténuer. Je me suis alors dit que j’allais trop vite, c’est vrai qu’en entreprise, il faut parfois y aller doucement.
Je ne suis pas le porte-parole de la direction
J’ai réduit mon diaporama, j’ai rajouté des facteurs de satisfaction, pour atténuer un peu les difficultés des autres, et j’ai présenté ça en réunion une première fois au CHSCT. Mais de nouveau, on m’a dit que c’était beaucoup trop long, qu’il fallait encore réduire. La veille de la réunion du comité de direction où je devais intervenir à nouveau, on m’a renvoyé mon diaporama. Sur les 18 diapos, il n’en restait que 5, qui, associées, n’avaient vraiment aucun sens et qu’on me demandait de présenter en 10 minutes maximum.
Sachant que chaque salarié met au moins 15 minutes pour répondre au questionnaire, et que c’est un sujet très important puisque les salariés sont assez âgés, qu’ils souffrent beaucoup de troubles musculo-squelettiques, qu’ils sont inquiets pour leur avenir car l’usine réduit ses effectifs… Je me suis dit que par honnêteté, je ne pouvais pas faire un rapport en 10 minutes, avec des diapos qui n’avaient plus aucun sens. Je ne suis pas le porte-parole de la direction. Je suis là pour le bien être des salariés et c’est un sujet trop important pour que je le brade. Je ne suis pas allée à cette réunion.
Quelques jours après, le DRH est venu dans mon bureau pour me demander de démissionner.
Il m’a dit que si je ne démissionnais pas, il serait obligé de faire appel à l’inspection du travail. Il m’a dit que j’avais évoqué des choses devant le CHSCT qui ne lui convenaient pas du tout, et qu’il y avait nécessité de rompre ma période d’essai. Cette demande m’a choqué. Ce n’était pas correct. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à faire appel à l’inspection du travail, et que je défendrais mes positions.
Les bénéficiaires de la médecine du travail, pour moi, ce sont les salariés
Le DRH a eu une mauvaise perception de mon indépendance. Je pense qu’il n’acceptait pas que je ne sois pas dans le modèle qu’il espérait. Je pense qu’il espérait quelqu’un de beaucoup plus subordonné. On m’avait aussi demandé de faire une convention avec un service de radiologie plutôt que d’envoyer les accidentés à l’hôpital. Non. Un accidenté du travail, je l’envoie directement sur les urgences.
Il y a aussi un certain nombre de salariés qui reviennent travailler durant leur arrêt, parce qu’on leur demande. Mais ils aimeraient bien avoir un arrêt comme tout le monde parce que travailler avec une fracture, ce n’est pas toujours évident, et ce n’est pas garanti que ce soit sans séquelles après. J’ai donc rencontré quelques difficultés à aider les salariés à pouvoir bénéficier de leurs droits. Je comprends bien que, dans une entreprise, les arrêts de travail coûtent cher, mais mon souhait, c’est une guérison la plus rapide possible et une prise en charge qui soit la meilleure possible. Je préfère envoyer un patient vers l’hôpital que vers un service de radiologie.
Je ne suis pas du tout dans leur profil. Les bénéficiaires de la médecine du travail, pour moi, ce sont les salariés avant tout. Je sais que je suis subordonnée à l’employeur sur le plan administratif, mais j’estime qu’un médecin doit absolument avoir une indépendance technique dans son travail. S’il est subordonné à l’employeur, les salariés n’auront pas confiance et ça n’aura aucun intérêt pour eux. Cette indépendance, je la défends avec beaucoup de vigueur, elle est pour moi essentielle. Sinon, je ne vois pas l’intérêt de mon travail.
Les gens qui sont dans un état de bien être sont plus motivés dans le travail, ils ont aussi moins d’accidents quand ils dorment bien. Quand on travaille à l’usine, le temps de sommeil est raccourci du fait des rythmes, on travaille dans le bruit… Ce ne sont pas des conditions faciles. S’il y a en plus des risques psycho-sociaux, des troubles musculo-squelettiques renforcés par le stress, les gens sont fatigués, et peuvent être contraints de s’arrêter.
Une pétition dans l’usine a recueilli plus de 750 signatures
Sur le plan personnel, j’ai traversé ces épreuves avec du stress, bien sûr. Mais il y a une telle demande des salariés pour qu’on essaie de les maintenir au travail, pour qu’on adapte leurs postes que ça m’a encouragé. J’ai aussi été très touchée par la gentillesse des gens. Ils m’ont beaucoup soutenue tout au long de ces mois. Et je pense que ça témoigne vraiment d’un besoin des gens d’avoir une médecine du travail. Il y a eu très rapidement une pétition dans l’usine, qui a recueilli plus de 750 signatures, d’ouvriers, mais aussi de techniciens, de cadres… A qui la direction a d’ailleurs parfois demandé pourquoi ils avaient signé. C’est surveillé. Mais, tout ça m’a porté. On pourrait penser qu’en tant que médecin, je suis d’un secteur social avantagé par rapport à beaucoup de gens de l’usine. Et que ce soit eux qui me soutiennent, c’est extraordinaire.
Je viens enfin d’avoir une copie du recours de la direction à l’inspection, qui m’a été transmise par la direction générale du travail. PSA a formé un recours le 23 octobre. Le ministère a donc jusqu’à fin février pour enquêter et donner son avis sur la rupture de mon contrat. Le DRH en question est parti le 20 novembre. Il n’a pas été remplacé. On en attend un nouveau pour janvier. Pour moi, c’était difficile de travailler avec l’ancien mais tous les DRH n’ont pas le même profil. J’espère que nous pourrons établir de nouvelles bases de travail. “
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier