Alors que la question de l’euthanasie fait actuellement la une de l’actualité, certaines structures sont actuellement mises en place pour améliorer la gestion des soins palliatifs pratiqués en ville. Au départ médecin généraliste en milieu rural, le Dr Godefroy Hirsch dirige depuis 2001 l’équipe d’appui départementale de soins palliatifs du Loir-et-Cher. Avec Marie-Claude Daydé, infirmière, il a rédigé en 2014 un ouvrage destiné aux praticiens sur les soins palliatifs à domicile*. Il livre son expérience de ces soins en médecine de ville.

 

Egora.fr : Comment fonctionne votre équipe ?

Dr Godefroy Hirsch : Notre structure, qui existe aussi dans les autres départements de la région Centre, a pour but principal d’appuyer la mise en oeuvre, par les médecins généralistes et les infirmières libérales, des soins palliatifs destinés aux patients du Loir-et-Cher. Les malades vivent principalement chez eux ou en maison de retraite, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [Ehpad]. Mais nous intervenons aussi dans les structures de réadaptation et quelques établissements hospitaliers locaux dépourvus de structures de soins palliatifs. Les financements proviennent de l’agence régionale de santé [ARS]. Notre équipe comporte un médecin praticien hospitalier (moi-même), deux infirmières, une psychologue et une secrétaire. Depuis deux ans, nous recevons aussi des internes de médecine générale car il est essentiel que les structures de soins palliatifs participent à la formation des omnipraticiens. En 2014, nous avons aidé à prendre en charge plus de 400 patients (alors que le nombre requis est de 200 pour les équipes mobiles de soins palliatifs hospitalières).

Nous intervenons en réponse à des demandes, en général téléphoniques, qui dans plus de 80 % des cas proviennent des professionnels de santé, majoritairement des médecins, dont la moitié de généralistes. Dans 10 % des cas, ce sont les patients ou leur famille qui nous sollicitent.

Quelles interventions proposez-vous ?

Nos modalités d’intervention sont très variables, certains cas étant simples, d’autres très compliqués. Mais comme toujours en soins palliatifs, nous réalisons d’abord une évaluation globale avant de proposer des mesures ou des ajustements. En premier lieu, nous fournissons bien sûr des conseils sur la mise en place des traitements antalgiques (médicaments, pompe d’analgésie contrôlée) ou la gestion de symptômes d’inconfort, comme les vomissements. Lorsque cela est possible, nous voyons le malade avec le médecin traitant car ceci montre au patient et à sa famille que nous travaillons ensemble. Ce qui est bénéfique. Rien n’est mis en oeuvre sans l’accord du médecin généraliste. Cependant, les soins palliatifs ne se résument pas à la prise en charge de la douleur ou de l’inconfort des patients. Un de nos rôles est d’apporter soutien et accompagnement aux malades et à leurs proches, qui sont en première ligne à domicile. Notre travail a une dimension technique, mais ce n’est pas la plus importante. Nous pouvons être amenés à voir à plusieurs reprises le patient, par exemple lorsqu’il émet une parole autour du souhait de mourir et traverse un moment difficile.

Lorsqu’un praticien nous appelle, car il s’inquiète pour l’un de ses malades sur le plan psychologique, notre psychologue peut rencontrer le patient avec l’un de nos infirmiers pour un bilan et même, éventuellement, pour mettre en place un accompagnement psychologique si le patient ne peut avoir accès à des professionnels locaux. En ce moment, notre psychologue suit ainsi deux patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA). Nous disposons aussi d’un local au sein duquel nous pouvons recevoir les malades, lorsqu’ils peuvent se déplacer, ainsi que leurs proches, car il est parfois bon pour eux de s’éloigner un peu de la maison. Dans d’autres cas, nous entrons en contact avec des travailleurs sociaux pour résoudre des problèmes concernant les conditions de vie.

Quel rôle ont les infirmières dans ce type d’équipe mobile ?

Nos infirmières assistent aux visites avec le médecin et, parfois, les infirmières libérales du patient. En dehors de leur mission essentielle de soutien au malade et à sa famille, ces professionnels interviennent autour de problématiques plus spécifiques à leur métier comme les difficultés à réaliser la toilette en raison de la survenue de douleurs, les soins d’escarres… Une de nos infirmières propose aussi des séances de relaxation. En fait, une part importante de leur activité consiste à être en lien étroit, par téléphone ou lors de rencontres, avec les professionnels de santé intervenant en première ligne.

Quel est le profil des malades pris en charge ?

Le pourcentage de patients atteints de cancer, 60 à 65 %, est moins important que pour beaucoup d’équipes de soins palliatifs : souvent plus de 85 %. Nous voyons de nombreux malades avec des affections neurologiques : SLA, maladie de Parkinson, démence avancée… Même s’il y a encore trop de situations où nous sommes appelés tardivement, nous intervenons de plus en plus en amont de la phase finale. Les médecins requièrent notre avis quant au choix des prises en charge, pour déterminer comment soutenir le malade et sa famille, lorsque cela va moins bien et pas forcément en toute fin de vie. On nous demande aussi de plus en plus, notamment en Ehpad, d’accompagner les souhaits des patients et de leurs proches : est-il légitime ou non de mettre en place une nutrition artificielle, une assistance ventilatoire, faut-il lever le malade alors qu’il est douloureux ?

Y a-t-il des circonstances où il faut tout de même hospitaliser les patients pour entreprendre des soins palliatifs ?

Tout peut se voir, et il n’est pas obligatoire qu’une personne décède à domicile. Il faut, dans la mesure du possible, respecter ses souhaits, être attentif à sa famille. Par ailleurs, il peut être préférable d’hospitaliser des patients avec des douleurs rebelles, dues par exemple à des localisations cancéreuses métastatiques multiples, présentant des syndromes occlusifs que l’on ne parvient pas à soulager, des dyspnées importantes dues à des cancers bronchiques. Ou encore des angoisses fortes.

Mais rester à la maison est souvent possible si on est vigilant quant à la qualité de vie du patient et que l’on anticipe les possibles situations d’urgence. À domicile, il est ainsi indispensable de prévoir les relais pour le week-end, de rédiger des prescriptions anticipées, d’élaborer des fiches de signalement pour le Samu. Un de nos projets est d’identifier les situations d’urgence potentielles chez les patients des Ehpad du nord du Loir-et-Cher, de façon à mettre en place plus systématiquement des prescriptions anticipées.

Comment expliquez-vous le retard français en matière de soins palliatifs à domicile ?

La France est effectivement très en retard par rapport aux autres pays européens en matière de soins palliatifs à domicile et continue d’être l’un des pays où l’on meurt le plus à l’hôpital. Les explications sont multiples. Mais le cloisonnement persistant entre médecine hospitalière et de ville n’a certainement pas arrangé les choses. Des tentatives assez innovantes ont eu lieu autour des réseaux de soins, mais elles n’ont pas été suffisamment soutenues par de véritables choix de santé publique. La formation aux soins palliatifs demeure également insuffisamment développée.

Que pensez-vous de la loi qui permet de proposer une sédation terminale ?

Je souscris à la partie de la loi qui demande aux médecins de prendre davantage en compte la parole des patients quant aux directives anticipées. Si ces directives anticipées ne sont, en effet, pas un but en soi, elles sont une bonne occasion de discuter avec le malade pour voir ce qui est important pour lui en cas de situation difficile. S’agissant de la sédation, je suis plus interrogatif. Elle est actuellement indiquée dans de rares situations à domicile : risque de détresse respiratoire, d’hémorragie… Ce qui ne pose pas de difficulté majeure. Mais sédater un malade à sa demande en arrêtant dans le même temps tous les dispositifs de maintien de la vie est très différent. Je n’ai pas de position de principe, mais je m’interroge sur le sens que cela pourra revêtir dans certaines situations. Rester au domicile en fin de vie répond souvent à un désir de maintenir une relation avec l’entourage ; ce qui va disparaître en cas de sédation. Il faut, à mon avis, ne pas attendre trop de la sédation et continuer d’accueillir la parole du patient et de ses proches concernant la mort, ses souhaits… C’est notre rôle d’écouter en tant que médecin généraliste et de tenter de respecter, autant que possible, la singularité de chaque histoire.

Les spécialistes hospitaliers de soins palliatifs disent que les véritables demandes d’euthanasie sont rares lorsque les patients sont soulagés de leurs douleurs morales et physiques. Avez-vous le même ressenti en médecine de ville ?

Je rejoins mes collègues des centres de soins palliatifs. Il y a des paroles autour du mourir, comme par exemple “je n’en peux plus, j’en ai assez”, mais ce sont d’abord des appels à des soins adaptés et à un accompagnement. Les demandes d’euthanasie persistant après la mise en oeuvre des soins palliatifs sont rares.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Corinne Tutin

 

* Soins palliatifs à domicile. Repères pour la pratique. Godefroy Hirsch et Marie-Claude Daydé. Éd. Le Coudrier, coll. Partage d’expériences. juin 2014. 206 pages. 29,50 euros. www.edition-lecoudrier.fr