A la fin du XIXème siècle, la jeune Madeleine Gibelin aspire à devenir médecin. Mais à cette époque, les facultés de médecine sont inaccessibles aux femmes, encore plus à une petite provinciale, fille de charron comme Madeleine. Mais à force de détermination et avec quelques soutiens, elle réussira à forcer toutes les portes et à devenir, en 1875, la première femme médecin française.

 

Madeleine Gibelin est née le 26 novembre 1842 dans le Gard, à Bouillargues. Son père, charron et maréchal ferrant est régulièrement appelé à Nîmes pour réparer les voitures de l’hôpital. Madeleine, qui n’a même pas dix ans l’accompagne à chaque fois. Elle est fascinée par l’hôpital. Elle adore se promener dans les couloirs, discuter avec les patients et elle observe avec admiration le travail des médecins et des infirmières.

Une religieuse de l’hôpital prend sous son aile cette enfant vive d’esprit et très curieuse. Elle lui apprend les rudiments du métier d’aide-soignante. Madeleine, qui a tout juste une dizaine d’années, commence donc à approcher les malades, leur apporte les repas et des boissons et parfois change même quelques pansements. Pour cette enfant, c’est une révélation : elle deviendra médecin. Mieux, elle se consacrera à soigner les femmes et les enfants.

 

Elle prépare le bac en candidate libre

Mais le couple Gibelin a d’autres projets pour la petite fille. A quinze ans, ils la marient à Adrien Brès, un conducteur d’omnibus originaire de Lozère. Le couple s’installe à Paris et Madeleine se résigne à endosser le rôle d’épouse et de mère de famille. A 24 ans, elle a donné naissance à trois enfants. Mais la jeune femme, qui sait parfaitement lire et écrire s’ennuie à la maison et n’a toujours pas abandonné l’idée de devenir médecin.

Elle décide alors de tenter le tout pour le tout et va frapper à la porte de Charles-Adolphe Wurtz, doyen de la faculté de médecine de Paris. Ce dernier, séduit par l’audace de la jeune femme, accepte d’écouter sa requête. Mais il ne peut rien faire tant qu’elle n’a pas son baccalauréat. Le bac, qui vient tout juste d’être ouvert aux femmes n’est dans les faits accessible qu’aux filles de grandes familles. Mais il en faut plus pour arrêter Madeleine Brès. Comme aucun établissement n’accepte de l’inscrire, elle prépare l’examen seule et se présente en candidate libre avec l’accord de son époux, condition juridique sine-qua-non pour obtenir le diplôme.

Trois ans plus tard, en 1868, un bac scientifique en poche, elle revient auprès du doyen Wurtz. Ce dernier aimerait bien l’aider, mais à cette époque les universités de médecine sont fermement interdites aux femmes. Et les opinions des médecins sur le sujet ne vont pas vraiment dans le sens d’une ouverture. Comment une femme, donc particulièrement sensible, pourrait-elle tenir le choc devant des blessés découpés et ensanglantés ? Comment pourrait-elle supporter de voir des enfants souffrir ? Et après-tout pourquoi ne se contente-t-elle pas de vouloir devenir infirmière ou sage-femme ?

 

Casser les préjugés

Quelques-uns des plus grands médecins de l’époque se sont exprimés contre l’accès des femmes à la profession. Dans l’Union médicale, le docteur Richelot, vice-président de la Société de médecine de Paris estime que l’arrivée des femmes constituera une “déplorable tendance […], une maladie de notre époque”. Dans son ouvrage La Femme-médecin, il écrit : “Pour être médecin, il faut avoir une intelligence ouverte et prompte, une instruction solide et variée, un caractère sérieux et ferme, un grand sang-froid, un mélange de bonté et d’énergie, un empire complet sur toutes ses sensations, une vigueur morale et au besoin, une force musculaire. Ne sont-elles pas au contraire de la nature féminine.” En 1888, le professeur Jean-Martin Charcot estime lui que “les prétentions des femmes sont exorbitantes, car elles sont contraires à la nature même des choses et à l’esthétique”. En 1900, la revue La médecine moderne souligne que “la femme ne peut être qu’une thérapeute médiocre, […] qu’elle est de ces herbes folles qui ont envahi la flore de la société, […] qu’elle ne sera jamais qu’une excellente garde-malade”.

Madeleine, elle, veut casser tous ces préjugés. Elle adresse une pétition au ministre de l’Instruction publique Victor Duruy. Elle peut aussi compter sur le soutien de Charles-Adolphe Wurtz, qui plaide en sa faveur au ministère… Et la question est mise à l’ordre du jour du conseil des ministres. Et, hasard du calendrier, c’est l’impératrice Eugénie qui préside le conseil ce jour-là. Ainsi, à la surprise générale, les ministres autorisent l’accès des femmes aux études de médecine. “J’espère que ces jeunes femmes trouveront des imitatrices, maintenant que la voie est ouverte”, a conclu l’impératrice.

 

Thèse intitulée “Mamelle et allaitement”

Toujours avec l’autorisation officielle de son mari, Madeleine Brès s’inscrit donc à la fac de médecine de Paris où elle suit assidument les cours. Le problème, c’est que, selon la loi, une femme ne peut toujours pas exercer comme externe ou interne au sein des hôpitaux de Paris. Madeleine a alors la chance de rencontrer un nouveau soutien de poids, le professeur Paul Broca qui la prend comme “élève stagiaire”. Quelque temps plus tard, son mentor, le doyen Charles-Adolphe Wurst écrira : “Par son ardeur au travail, par son zèle dans le service hospitalier, nous nous plaisons à reconnaître que Mme Brès a, par sa tenue parfaite, justifié l’ouverture de nos cours aux élèves du sexe féminin et obtenu le respect de tous les étudiants avec lesquels elle s’est trouvée forcément en rapport.”

Encore une fois, c’est un hasard politique qui permettra de changer le destin de Madeleine Brès. En 1870, la France entre en guerre contre la Prusse. Les jeunes hommes sont envoyés au combat et les internes manquent dans les hôpitaux. C’est ainsi que Madeleine obtient, de fait, le statut d’interne à la Pitié Salpêtrière. Sept ans après son entrée en faculté de médecine, Madeleine Brès présente sa thèse intitulée “Mamelle et allaitement”. Et elle reçoit, enfin, le titre de docteur en médecine le 3 juin 1875.

La jeune médecin s’installe dans un cabinet à Paris où elle soigne exclusivement les femmes et les enfants. Dans ses mémoires, elle écrit d’ailleurs : “Je persiste à croire, pour mon compte, que [les femmes médecins] doivent s’en tenir à la spécialité des femmes et des enfants. Personnellement, je n’ai jamais donné de consultation à un homme. Je me suis tout entière consacrée à la médecine d’enfants.” Madeleine Brès se spécialise ainsi dans la puériculture, donne des conférences sur l’hygiène des enfants et dirige des missions pour la création de crèches. Elle consacrera 50 ans de sa vie à soigner les femmes, les mères et les enfants avant de décéder, seule, en 1921, à l’âge de 71 ans.

Très vite d’autres femmes suivent l’exemple de Madeleine Brès. La deuxième femme médecin de France est diplômée en 1879. Entre 1870 et 1900, sur 14 529 reçus en médecine, 229 sont des femmes, en très grande majorité des étrangères venues étudier dans un des rares pays qui permettait aux femmes d’étudier la médecine.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

D’après racontemoilhistoire.com et Le travail des femmes d’autrefois de Roger Colombier