Une proposition de loi adoptée à l’unanimité par le Sénat et l’Assemblée nationale, instaure une protection des professionnels de santé procédant à un signalement de maltraitance sur mineur, dont la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire ne pourra plus être engagée. Un pas en avant, jugé encore insuffisant pour les partisans d’une obligation de signalement, jugée plus protectrice contre les poursuites.

 

Jusqu’à aujourd’hui, les situations de maltraitance à enfant ne sont que rarement signalées. La Haute autorité de santé estime ainsi, que 90 % d’entre elles passent entre les gouttes et les médecins – pourtant relevés du secret médical lorsqu’ils sont confrontés à ce type de situation – ne s’empressent pas de prévenir le procureur. Il n’y aurait que 5 % des signalements qui proviennent du corps médical, le tiers des services sociaux, un sur cinq de l’éducation nationale ou de l’entourage et 15 % environ, de la famille elle-même.

 

Les médecins redoutent d’être les victimes colatérales

C’est pour remédier à cette situation insupportable – l’Ordre estime que 700 à 800 mineurs décèdent chaque année des coups de membres de leurs familles – qu’une sénatrice Les Républicains, Colette Giudicelli, a déposé en mai dernier une proposition de loi visant à multiplier les signalements de la part des professionnels de santé. Car les médecins redoutent d’être les victimes colatérales en subissant un retour de bâton qui peut les conduire à leur tour, devant la justice, ce qui est une réalité. Selon le Jim, on estime à deux cents entre 1997 et 2001, le nombre de médecins ayant fait l’objet de plaintes devant le Conseil de l’Ordre et ont été menacés ou sanctionnés car suspectés de signalement injustifiés, notamment en cas d’inceste.

La très courte proposition de loi de la sénatrice posait le principe d’une obligation de signalement lorsqu’un médecin se trouve confronté à une suspicion de maltraitance. Par le jeu de la navette parlementaire, la “proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé” ne comporte plus d’obligation mais accorde une protection au “professionnel de santé”.

La loi pose que “le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article, ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi”. Le signalement peut être effectué auprès du procureur de la République, mais aussi auprès de la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP). Corollaire de cette disposition, le Sénat a introduit l’obligation de former les médecins à la procédure de signalement.

 

“Les parents déposent une plainte contre le médecin pour dénonciation calomnieuse”

La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des deux chambres, ce dont se réjouit Colette Giudicelli, son auteur, bien que le texte voté ait peu à voir avec son texte initial. “J’ai rencontré beaucoup de médecins, l’Ordre, relate-t-elle. Certains étaient pour une obligation de déclaration, mais les médecins voulaient surtout être protégés des procédures pénales, sinon, ils traînaient un peu des pieds”. Dans le cas d’un soupçon et à défaut de preuves, le médecin ne pouvait qu’appeler le procureur. “Et il est arrivé que les parents déposent une plainte contre le médecin pour dénonciation calomnieuse. Certains ont été condamnés à six mois d’interdiction d’exercice”, rappelle-t-elle. Voilà donc le médecin a priori à l’abri de poursuites en cas de soupçons de maltraitantes. Situation qui ne plaît pas à certaines familles.

Tel est le cas à la Ligue de défense des droits de l’enfant, qui regroupe des familles d’enfants handicapés. Dans une lettre adressée aux sénateurs, ils viennent de dénoncer ce texte qui “déresponsabilise totalement le corps médical (…) A la faveur d’un tel texte, les parents et les enfants seront tous à la merci des médecins et des professionnels de l’enfance, les moins intègres et les moins scrupuleux”, écrivent-ils en rappelant ces erreurs de diagnostic (autisme, maladie de os de verre) ayant conduit à des signalements ou des placements abusifs alors que les sanctions sont extrêmement rares à l’encontre des médecins, même lorsque la preuve de l’erreur est apportée, font-ils valoir. Objection, coupe Colette Giudicelli : la proposition de loi spécifie bien que les professionnels de santé sont protégés “sauf si leur mauvaise foi est avérée”.

Refusant le “tout ou rien”, la sénatrice des Alpes-Maritimes espère que ce texte “rassurera et protègera les médecins”. Son ambition est que “cela fonctionne très bien. La suppression de l’obligation va de pair avec une information pour mieux savoir détecter les violences et connaître les règles du signalement. Les médecins doivent savoir qu’ils sont protégés, mais il faut en retour que le mécanisme soit efficace”. Un point est prévu dans un an avec la Haute autorité de santé et “s’il n’y a pas d’amélioration, on ira jusqu’au bout”.

Aller jusqu’au bout, voilà ce qu’espère depuis 1999 le Dr Catherine Bonnet, psychiatre d’enfants, qui a fait sept tentatives auprès de parlementaires, pour qu’ils imposent l’obligation de signalement et modifient en ce sens la loi de 2004 sur l’accueil et la protection de l’enfance.

 

“Nous défendons l’idée que l’obligation de signaler un soupçon protège le médecin”

Avec Eric de Montgolfier, procureur général honoraire et le Dr Jean-Louis Chabernaud, pédiatre hospitalier et président du SNPEH (syndicat national des pédiatres des établissements hospitaliers), cette praticienne qui a fait l’objet de 6 plaintes disciplinaires et 2 plaintes pénales en sept ans, a rédigé une lettre à destination des parlementaires, où ils exposent leurs arguments. “Nous avons rédigé cette lettre ouverte car nous n’avons pas été auditionnés. Nous ne comprenons pas pourquoi. Nous défendons l’idée que l’obligation de signaler un soupçon protège le médecin. Il appartient ensuite au procureur de faire l’enquête”. Il est ainsi défendu, dans la lettre ouverte, l’idée que “tant que le médecin aura la faculté de choisir entre s’abstenir ou signaler, il restera exposé plus facilement à la contestation de son initiative”. Pour ces spécialistes, le choix expose davantage la responsabilité que l’obligation :”il n’est pas de nature à dissuader les plaintes, mais au contraire à les encourager sans que le praticien puise exciper de l’ordre de la loi”.

En outre, l’obligation peut empêcher la récidive et le risque de violences intrafamiliales. Elle est en vigueur aux USA, au Canada et dans 12 pays d’Europe. “La France est très en retard, constate le Dr Bonnet. Il n’y a pas de démocratie pour les enfants. Malgré les recommandations de la HAS en 2011, les poursuites contre les professionnels continuent. Les formations ne suffisent pas. Il faut aller jusqu’au bout”. Les signataires de cette lettre ouverte demandent la tenue d’un débat, réunissant tous les partis politiques, un travail conjoint.

Soutenue à l’unanimité par l’Assemblée et le Sénat, la proposition de loi Giudicelli doit être signée d’ici 8 à 15 jours par le président de la République pour devenir une loi. Elle sera applicable dès le lendemain de sa publication au journal officiel.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne