L’ex-urgentiste Nicolas Bonnemaison, jugé en appel à Angers pour sept “empoisonnements” de patients en toute fin de vie, a été condamné samedi à deux ans de prison avec sursis par la Cour d’assises du Maine-et-Loire. Acquitté en 2014 par les jurés de la Cour d’assises à Pau en première instance, Nicolas Bonnemaison, a été reconnu coupable d’avoir délibérément donné la mort à une patiente, Françoise Iramuno, avec la circonstance aggravante de connaître sa particulière vulnérabilité. Mais il a été acquitté pour les six autres patients pour lesquels il était jugé. Généraliste retraité et membre de l’Association pour le Droit à mourir dans la dignité (ADMD), le Dr Bernard Senet a réagi pour Egora à cette condamnation.

 

Egora.fr : Comment réagissez-vous à la peine de deux avec sursis prononcée à l’encontre du Dr Nicolas Bonnemaison ?

Dr Bernard Senet : Mal. Je pense que Nicolas Bonnemaison a fait son travail de médecin en accompagnant des gens qui étaient en agonie terminale, donc promis à mourir dans les heures qui venaient. Il les a aidés à partir, ce que font énormément de réanimateurs, d’anesthésistes, de généralistes ou encore de cancérologues. Je crois que l’acquittement qui avait eu lieu en première instance était un bon acquittement et il était justifié. Cet homme n’est pas un assassin. Ou alors si la justice avait vraiment considéré qu’il était en tort, il n’aurait pas fallu le condamner à deux avec sursis mais à beaucoup plus…

Vous estimez que la justice a été incohérente ?

Il y a eu une sorte de jugement de Salomon qui n’est pas clair du tout. C’est vrai que cela a été décidé par des jurés et non par un juge, mais ils sont tout de même sous la responsabilité d’un président de cour.

Il a été reproché au Dr Bonnemaison d’avoir agi seul…

Nous sommes d’accord. Mais est-ce que dans les circonstances où il était, c’était faisable de faire autrement, je n’en suis pas certain. Il aurait effectivement pu être plus communicatif mais dans l’équipe j’ai compris avec les témoignages des infirmières que l’atmosphère était tendue.

Même s’il avait demandé l’avis de son équipe, je pense qu’elle aurait partagé sa manière de voir les choses. Dans ces moments-là, sur des patients agonisants et en phase terminale, je ne vois pas qui peut ne pas être sensible à leurs souffrances. C’est vrai que c’est difficile d’apprécier la souffrance de patients dans le coma, mais je crois qu’il a fait son travail correctement.

En ce qui concerne l’acte médical, je ne considère pas qu’il s’agisse d’un assassinat. Et d’ailleurs, pourquoi n’a-t-il été condamné que pour une seule personne et pas pour les six autres ? Quand la procureur général a fait appel de l’acquittement en première instance, son but, sous pression du ministère de la justice, voire de l’Elysée, était de faire condamner un médecin et de rappeler à tous les autres que la loi Leonetti est suffisante et qu’il n’est pas question d’aller plus loin.

La nouvelle loi sur la fin de vie, instaurant une sédation profonde et continue a été votée, est-ce suffisant ?

Cela ne ressemble à rien du tout puisque c’est ce que l’on fait déjà officiellement depuis 2002, date à laquelle l’Ordre des médecins a jugé que cela était autorisé. La sédation continue en phase terminale est expliquée dans n’importe quel livre de soins palliatifs. On fait des sédations terminales depuis des années et je considère que c’est de la bonne médecine. Mais pourquoi les députés sont-ils obligés d’aller dire dans une loi ce qu’il faut faire ? A ce moment-là, il faudrait passer tous les protocoles médicaux devant la chambre des députés… Leonetti a défendu la sédation terminale pour ne pas parler de l’euthanasie.

Si les patients ne souffrent plus, pourquoi aller jusqu’à l’euthanasie ?

Ce que nous demandons, ça n’est pas une euthanasie systématique. Nous demandons que l’euthanasie ne soit pratiquée qu’à la demande répétée du patient ou de sa personne de confiance. C’est sur ce point que le Dr Bonnemaison n’a pas très bien fait son travail. Il est hors de question pour un médecin d’aider quelqu’un à partir alors qu’il ne l’a pas demandé, écrit, anticipé ou demandé à quelqu’un de le dire à sa place. Pour le Dr Bonnemaison, c’est un peu différent puisqu’il s’agissait de phases agoniques et que les patients allaient mourir dans les heures qui venaient.

Le suicide assisté vient d’être légalisé en Californie. L’idée a été rejetée à l’Assemblée. La France n’est-elle pas prête ?

Les Français sont prêts. Toutes les enquêtes d’opinion le montrent.

Il y a un débat sur les enquêtes d’opinion. La plupart sont commandées par l’ADMD…

Si l’on prend celle du Pelerin qui date d’il y a deux ans, elle dit la même chose. Certaines enquêtes ont été financées par l’ADMD mais pas toutes. Toutes montrent qu’une grande majorité de Français est favorable au fait que l’on ait le droit de décider de l’heure de sa mort. On fait bien des testaments pour décider à qui on va donner sa maison, on a tout de même le droit de disposer de son corps. C’est le minimum de la République.

Il y a deux grandes résistances à la loi. Les intégrismes religieux d’une part, mais ils ne représentent pas grand monde. D’autant que l’on n’obligera personne à le faire. L’autre résistance, qui cette fois est beaucoup plus grave est le pouvoir médical. Leonetti en est le représentant caricatural. Les médecins estiment qu’ils sont les seuls à décider, sans prendre en compte l’avis des patients. Il y a quelque chose de patriarcal là-dedans. Les lois Leonetti ont toujours été des lois en faveur du pouvoir médical. On a rajouté, pour faire bien l’accord de l’équipe, mais en oubliant l’accord de l’entourage.

Il y a tout de même beaucoup de médecins contre l’euthanasie…

Ils doivent être 30% environ. Il y a un formatage médical lié à notre formation. Les pays latins sont formatés de manière paternaliste pour décider à la place des gens. En allant dans les pays du nord ou la loi est passée (Danemark, Pays-Bas, Belgique), les médecins ont des bonnes formations techniques et on ne leur a pas inculqué l’idée qu’ils peuvent prendre des décisions à la place des gens. Le principe qu’un patient puisse négocier son traitement, refuser une chimiothérapie, n’est pas encore entrée dans la formation médicale.

Quand le patient n’a pas écrit de directives anticipée et que la famille est opposée, comme dans le cas de Vincent Lambert, que faire ?

Vincent Lambert est la caricature de ce qu’il aurait dû faire. Tout le monde doit écrire ses directives anticipées. J’encourage tout le monde à le faire. D’ailleurs ceux qui écrivent leurs directives anticipées vivent plus longtemps.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin