Les patients pourront ouvrir leurs premiers DMP (sécu) fin 2016, sans forcément passer par leur médecin traitant et le remplissage du dossier personnel pourra être un indicateur de la ROSP. Tandis que la loi de santé confie à l’assurance maladie la tâche d’assurer la montée en charge du DMP, les premières orientations viennent d’être dévoilées par son responsable, lors d’une conférence sur la santé, connectée, organisée par Les Echos. Avec un changement de cible puisque c’est le patient qui est visé, avant le médecin généraliste.

 

Le DMP ? Il n’est pas rare que les médecins pouffent à l’énoncé de ce sigle. Un beau symbole de catastrophe industrielle à la française, de celles qu’adore le Cour des compte qui en a fait ses choux gras. Une saga émaillée d’erreurs stratégiques de l’Etat et de l’ASIP santé, l’agence chargée de sa montée en charge. Des années de guerres de lobbys (dossier partagé ou personnel, droit au masquage), d’interdits posés par la CNIL, de gestion politique et d’effets d’annonces (le DMP devait mailler tous les patients et le système de santé en 2007)…

 

Un demi-milliard pour 418 000 dossiers créés quasiment vides pour la plupart

Le résultat : une dépense de 500 millions d’euros depuis sa naissance en 2004. Mesure phare de la loi Douste-Blazy, le DMP conçu obligatoire, était censé rapporter près de 3,5 milliards d’économies annuelles à l’assurance maladie, en organisant la coordination de soins entre la ville et l’hôpital, et zappant les actes redondants. Il a coûté un demi-milliard pour 418 000 dossiers créés, quasiment vides pour la plupart.

La tentative parlementaire de créer un DMP sur clef USB, réservé aux patients en ALD il y a deux ans, n’a pas résisté à la réalité des faits. D’une mauvaise ergonomie, chronophage sans contrepartie de rémunération, inutile… les médecins ne voulaient plus entendre parler du dossier conçu par l’ASIP. Et c’est forte de ce constat qu’après avoir hésité à jeter le DMP au feu, avec tous les millions qu’il a coûtés, Marisol Touraine a décidé de le repêcher en confiant à la CNAM, la maîtrise d’œuvre d’un chantier entièrement repensé.

Il était temps. Alors que le décloisonnement et la coordination des soins ainsi que le parcours de soins coordonné deviennent les ‘gimmicks’ de la politique de maîtrise des dépenses, “le corps médical français n’a pas d’outil de partage de données digne de ce nom” s’est ainsi insurgé à Hyères, lors de l’université d’été de la CSMF, Pascal Roché, le directeur de la Générale de Santé. Ses 115 hôpitaux, constitués en 22 pôles régionaux, en sont pourtant dotés. “Tous les secteurs industriels ont un système de partage de données, à commencer par les assurances, ou les banques”, a-t-il ajouté. Une carence qui fait en effet un peu désordre à l’heure de la flambée des appétits sur la santé, qu’ils émanent des grands groupes sur internet, tel Google, des mutuelles avec les réseaux de soins, ou des assureurs privés qui attendent leur heure.

 

Un dossier médical qui n’est plus partagé… mais personnel

La loi de santé confie donc à l’Assurance maladie la tâche de remettre en selle et organiser le dossier médical personnel et non plus partagé. Noter la nuance sémantique, apportée à demande du CISS (collectif interassociatif sur la santé) qui exige que le patient soit maître de son dossier. D’une part, il sera personnel car c’est désormais au patient, en non plus au médecin traitant ou au service hospitalier, qu’il appartiendra d’ouvrir le DMP (mais les médecins peuvent continuer à le faire, le cas échéant). Pour y parvenir, l’assurance maladie proposera systématiquement à l’assuré d’ouvrir un DMP. Sous réserve que ce dernier signe un consentement, l’opération sera réalisable à partir de l’espace personnel du patient sur Ameli.fr, ou auprès des bornes multiservices dans les accueils des CPAM. D’autre part, l’autorisation de consulter le DMP fonctionnera par défaut. C’est-à-dire que l’ensemble des professionnels de santé sera autorisé à consulter le dossier sauf si le patient a indiqué qu’il ne veut pas qu’un professionnel le fasse. Le fait que le patient soit doté d’un DMP figurera sur sa carte Vitale. Pourront y être notés, sa position vis-à-vis du don d’organe ou ses directives anticipées.

Dans son intervention lors de la 5ème conférence santé connectée organisée par Les Echos, Yvon Merlière, le directeur du projet DMP à la CNAM a également souligné avoir bien noté les remarques des acteurs de terrain qu’il a consulté depuis son entrée en fonction, en décembre 2014. “Tout le monde dit avoir un besoin indispensable du partage de l’information médicale dans sa pratique professionnelle”, a-t-il relevé avec satisfaction selon les propos rapportés par Hospimedia.fr.

En revanche, les médecins ont tous insisté auprès de lui sur le principal problème et frein à l’utilisation du DMP : l’aspect chronophage et gratuit de la création du dossier, acte non rémunéré. Et là, l’Assurance maladie tire un lapin de son chapeau en envisageant de classer l’alimentation du DMP, parmi les critères de la ROSP (Rémunération sur objectif de santé publique).

En outre, un travail est engagé avec les éditeurs pour qu’ils intègrent au mieux le DMP dans les logiciels métiers, le but étant, pour Yvon Merlière, de privilégier “la fluidité, la simplicité et la convivialité entre les outils informatiques”. Un petit air de déjà entendu, au sujet du tiers payant généralisé…

 

“La profession n’a pas de messagerie sécurisée, et choisit Apicrypt”

Par ailleurs, l’assurance maladie travaille avec l’ASIP santé sur la mise en point d’une messagerie sécurisée de santé (MSSanté), pour que les échanges hôpital-médecins de ville se fassent par l’intermédiaire du DMP. Or, près de 40 000 médecins utilisent la messagerie sécurisée Apicrypt, conçue par des médecins et pour des médecins, simple et très peu couteuse, promue notamment par les hôpitaux et la FMF. Et ils ne sont pas prêts de la laisser tomber pour un DMP au si lourd passé…

Une faille relevée par le député (PS) Gérard Bapt, qui n’a pas de mots assez durs pour descendre en flamme la triste histoire du DMP. “Le maître mot de la stratégie nationale de santé, a-t-il déclaré lors de l’université d’été de la CSMF, c’est le décloisonnement, entre la ville et l’hôpital, le public et le privé, le médical et le médico-social. Or, cette stratégie a été freinée par l’échec de l’ASIP santé à gérer le DMP”. Deuxième échec, a-t-il relevé, “la profession n’a pas de messagerie sécurisée, et choisit Apicrypt. Il faut unifier les systèmes. La loi peu réparer ce qui a échoué…”

Interrogée par l’AFP, la direction de la CNAM n’a pas commenté les propos d’Yvon Merlière. Mais en avril dernier, devant la commission des Affaires sociales du Sénat, le directeur de la CNAM avait précisé ses intentions. “Je souhaite déployer, dans un délai bref de deux ans, un DMP efficace en lien avec les professionnels qui doivent avoir envie de l’utiliser.” Nicolas Revel a assuré partir “de l’attente des professionnels”. Il a également exprimé une vision simple de l’outil : “Il doit, pour cela [NDLR : pour que les médecins l’utilisent], être intégré dans le logiciel du médecin, qui ne veut pas aller chercher ailleurs des éléments qui prenaient la forme d’un empilement de documents PDF sans moteur de recherche. C’est pourquoi nous construirons avec les professionnels un cahier des charges qui aille dans ce sens.” Le patron de la CNAM en a aussi profité pour souligner que le DMP “ne sera pas une source d’information pour l’assurance maladie, qui n’y aura pas accès”.

 

Premiers tests dans des régions pilote au printemps 2016

Mais à la conférence des Echos, Yvon Merlière n’a pas caché que la mise en œuvre concrète était encore à l’étude. Pour atteindre la masse critique indispensable à l’évaluation du bon fonctionnement du dossier médical personnel, les compétences des CPAM et des groupements de coopération sanitaire régionaux dédiés à l’e-santé seront mobilisés.

Là encore, le calendrier est volontariste : mise en route du DMP en 2016, premiers tests dans des régions pilote au printemps. Déploiement à la mi-novembre. Premiers dossiers créés par les assurés sociaux, fin 2016. Quasiment avec le TPG, l’année de la présidentielle. Chiche ?

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne