L’idée d’acheter son cabinet pour démarrer une activité attire de moins en moins les jeunes généralistes, inquiets pour l’avenir de leur métier. Pour ceux qui hésitent encore, maître Eric Bonin, avocat fiscaliste, fait le point sur ce qu’il faut savoir. Quels avantages à être collaborateur ? Quel est le statut le plus protecteur ? Et surtout, il met en garde contre le piège du crédit-bail, séduisant sur le papier, mais qui peut s’avérer très coûteux.
 

 

Egora : Quelles questions doivent se poser les jeunes généralistes avant de s’installer ?

Me Éric Bonin : Il faut prendre en compte tous les paramètres qui entourent l’installation, au-delà du choix du local, et anticiper tout ce qu’il y aura à financer. Chaque cas est particulier. Dans l’idéal, il faut donc établir un prévisionnel de financement avec l’aide d’un professionnel (association de gestion agréée, expert-comptable, etc…). Ce prévisionnel a notamment pour objet de calculer d’un côté les charges fixes, et de l’autre les charges variables. Que les médecins achètent ou louent, ils doivent s’assurer que leurs locaux puissent être utilisés à des fins professionnelles. S’il s’agit d’un local d’habitation et qu’il n’a pas toutes les autorisations, le médecin peut être expulsé et/ou devoir payer des taxes de transformation qui peuvent être importantes. Dans certains immeubles, des règlements de copropriété imposent des contraintes à l’exercice d’une profession libérale. Il faut donc également se renseigner.

 

Que conseillez-vous à ceux qui hésitent entre achat ou location ?

La plupart du temps, je conseille aux jeunes médecins de louer plutôt que d’acheter tout de suite leurs locaux. Lorsque l’on est un jeune médecin, il n’est pas évident d’investir une forte somme dès le départ. Car avec un emprunt classique, la plupart des banques demandent un apport personnel d’au moins 30% du prix d’achat du bien, auxquels s’ajoutent des frais de notaire, voire parfois les honoraires de l’agent immobilier. La part de risque prise est donc importante, surtout si la valeur de l’immobilier baisse dans les années qui suivent l’achat, car le jeune médecin ne sait pas encore comment va démarrer son activité. On constate également de plus en plus de regroupements. Il arrive souvent que les médecins, après s’être installés seuls, décident d’exercer en groupe, ce qui peut poser des problèmes pour les propriétaires qui doivent impérativement trouver rapidement un locataire ou un acquéreur alors que le médecin qui a choisi d’être locataire peut quitter facilement son local professionnel à l’issue d’un préavis d’un délai fixé en principe de 6 mois.

À partir du moment où le praticien acquiert de bons revenus et a une certaine visibilité, il devient opportun d’acheter. Louer d’abord permet de fidéliser la patientèle avant l’achat. Un médecin qui s’installe doit avoir en tête qu’il crée une entreprise. Lors de l’achat, il faut absolument s’assurer que le prix n’est pas trop élevé et qu’il correspond à sa valeur réelle de marché. Le médecin pourra alors demander un prêt bancaire sur une durée assez longue car les intérêts sont actuellement d’un niveau assez bas et sont au surplus déductibles sur le plan fiscal : les échéances mensuelles seront grâce à cela proches du montant du loyer payé en tant que locataire. Lorsque le médecin aura fini de rembourser le crédit à sa banque, il détiendra un capital immobilier qui lui permettra de compléter sa retraite et de compenser le risque de plus en plus fréquent de ne pas trouver un médecin prêt à payer pour reprendre la patientèle du médecin partant à la retraite.

 

Que pensez-vous du financement en crédit-bail ?

Le crédit-bail est une formule qui permet de réduire voire d’annuler l’apport demandé par la banque, qui finance 100% du prix d’achat. Cela facilite donc l’acquisition car il existe des avantages fiscaux pendant la période de remboursement. Il est en effet possible de déduire la quasi-totalité des mensualités versées. Malgré ces avantages, je conseille d’être très prudent, voire dans pas mal de cas de refuser d’acheter en crédit-bail.

Contrairement à un crédit classique, l’acquéreur avec un crédit- bail n’est pas propriétaire du bien tant qu’il n’a pas payé la dernière échéance, soit près de quinze à vingt ans plus tard. Or s’il y a eu le moindre souci lors d’une échéance, même à la quatorzième année, le bien restera la propriété de l’établissement financier. Et en dépit de cela, l’acquéreur pourra être obligé de payer les échéances jusqu’à la fin. Il pourra aussi avoir des pénalités. La revente avant la fin de l’échéance est également très compliquée. Dans la plupart des cas, il n’est pas possible de revendre avant un minimum de sept ans, et l’acquéreur sera le plus souvent contraint d acheter, non pas le bien immobilier, mais le contrat de crédit-bail qu’il devra poursuivre jusqu’à son terme. Dans ce type de crédit, il faut être très vigilant sur toutes les clauses derrière lesquelles peuvent se cacher des pièges. Il y a énormément de contraintes et de risques juridiques et fiscaux dans le crédit-bail. Si la fiscalité est intéressante pendant la période de remboursement, lors de la levée de l’option d’achat à la fin du contrat de crédit-bail, puis lors de la revente ultérieure du bien immobilier, elle devient plus lourde qu’avec un crédit classique.

 

Que pensez-vous du statut de collaborateur ?

C’est une formule assez attrayante qui permet d’entrer dans un cabinet déjà existant. Le collaborateur devra alors payer soit une redevance fixe, soit un pourcentage de son chiffre d’affaires au titulaire. Si ce statut est intéressant pendant un temps, il n’est pas une finalité en soi. Il doit amener à une association ou à un rachat de patientèle du titulaire. Si aucune de ces deux options n’aboutit, cela peut engendrer des conflits.

 

Quel statut est le plus protecteur pour les médecins qui s’installent ?

Un nouveau statut nommé entreprise individuelle à responsabilité limitée (Eirl) a été créé. Le fait de choisir ce statut permet aux médecins de protéger leur patrimoine privé sans avoir la contrainte, notamment financière, de devoir créer une société. Leurs dettes professionnelles ne peuvent donc pas être saisies sur leurs biens privés.

Pour ceux qui ne choisissent pas l’Eirl, je conseille de faire devant un notaire une déclaration d’insaisissabilité de leur patrimoine privé. C’est un document à remplir qui coûte quelques centaines d’euros et qui permet de protéger son patrimoine immobilier.

Il est surtout important de choisir le meilleur schéma juridique, fiscal et patrimonial. Dans certains cas, Il peut par exemple être envisagé de mettre en place une société civile immobilière (SCI) dans laquelle peuvent être associés le (ou la) conjoint(e) et/ou les enfants. C’est une façon d’organiser et de préparer la transmission de son patrimoine à sa famille.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi