Le mercredi 1er juillet, le tiers payant généralisé pour les bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS) a été officiellement lancé, deux ans avant sa généralisation, sous les appels au boycott des syndicats médicaux. Depuis toujours partisans du tiers payant généralisé, les patients regardent passer les balles…
On dit bien, tiers payant généralisé officiellement lancé, car dans les faits, cette date symbolique ne devrait pas changer grand-chose au quotidien des médecins libéraux. Seuls, les assurés qui auront souscrit le nouveau contrat éligible à l’ACS, entrant lui aussi en vigueur au 1er juillet, pourront profiter en théorie du tiers payant intégral à partir de cette date, et bénéficier en bonus, de la suppression de la franchise. Les autres devront attendre le renouvellement de leurs contrats pour y accéder. La communication victorieuse et intensive du ministère de la Santé n’a pas trop insisté sur ce point…
L’assurance maladie fera l’avance d’argent pour régler la part complémentaire
Mais pour cette première étape, tout a été fait pour séduire. Un appel d’offre national a été lancé où 11 organismes de protection complémentaires offrant de bonnes conditions de qualité/prix ont été retenus par le gouvernement (alors que l’on compte plus de 400 organismes différents qui se partagent le marché de la complémentaire santé en France). Du fait des économies d’échelle ainsi réalisées, les contrats complémentaires nouvellement souscrits seront d’un coût jusqu’à 36 % inférieurs aux contrats ACS actuels.
Cerise sur le gâteau en direction des médecins de terrain cette fois qui exigent fiabilité et simplicité d’usage pour s’approprier le mécanisme : l’assurance maladie fera l’avance d’argent pour régler au médecin la part complémentaire, et se chargera ensuite d’obtenir le remboursement auprès des mutuelles, assurances, ou sociétés de prévoyance. Mais le directeur de la CNAM, Nicolas Revel, l’a bien dit : cela ne pourra pas se poursuivre lorsque le TPG sera étendu à toute la population active, en 2017, du fait des centaines de mutuelles et assurances que l’on compte dans l’hexagone.
Bien difficile encore d’organiser le flux unique voulu par les médecins, assurance maladie et organismes complémentaires, les deux payeurs, voulant avoir chacun la maîtrise de leurs flux pour pouvoir exploiter indépendamment leurs données de santé.
Et de cela, de ce temps perdu en manœuvres et vérifications, les syndicats médicaux ne veulent pas entendre parler. D’une même voix, ils exigent une opération unique : un simple “clic” pour organiser l’opération, sur une carte unique, la carte Vitale du patient. On en est très loin. D’ici là, c’est un appel au boycott ou à la désobéissance civile qui a été lancé pour tout ce qui ne relève pas du tiers payant social, CMU ou AME. Si l’on inclue le coût des impayés dans le prix de revient de la gestion du tiers payant, celui-ci saute (en centre de santé) de 4,35 euros par acte à 4,5 euros, vient de calculer le Dr Richard Bouton, l’ancien président de MG France à la tête de RB consultants… Impensable.
“Désobéissance civile”
“A la Réunion, le tiers payant est utilisé depuis une dizaine d’années, et il n’y a que 11 organismes de protection santé complémentaire, explique le Dr Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Les médecins qui ont tous une secrétaire pour faire le suivi, estiment qu’ils ont environ 15 % d’impayés.” Le syndicat a lancé un testing des mutuelles auprès des adhérents de l’île : il n’y en a que deux qui tirent leur épingle du jeu (délai de remboursements, pointage clair, fiablité) : Santé Créole et CRP. Le testing commence à être diffusé France entière par le syndicat qui n’hésitera pas à publier le classement des mutuelles et assurances privées par les médecins de terrain.
Et si un patient titulaire de l’ACS se présente aujourd’hui face au médecin en demandant le tiers payant intégral ? A condition qu’il ait des papiers à jour et n’ait pas oublié sa carte Vitale, “il en bénéficiera pour la part obligatoire, mais pas pour la part complémentaire”, précise le Dr Hamon.
Tout comme l’UNOF-CSMF, qui appelle à la “désobéissance civile” vis-à-vis du TPG, MG France ne décolère pas contre le mécanisme qui se met aujourd’hui en place “sans garanties”. En pratique, a-t-il estimé récemment, le généraliste va devoir vérifier la carte vitale du patient, son attestation de tiers payant, le type de contrat et sa validité, ou encore décider si le tiers payant sera total ou pas. Encore faut-il que le patient n’ait pas changé de médecin traitant. Puis vérifier que le règlement a bien été effectué, part obligatoire et complémentaire. Pour le syndicat, aucun généraliste n’acceptera “de consacrer son temps professionnel à gérer ce dispositif ubuesque en dehors des consultations pour lesquelles ce service est nécessaire au patient. Le tiers payant annoncé est bien une injonction politique, sans garanties ni moyens, en pratique irréalisable par les professionnels de santé”. Fermez le ban. Pour un syndicat qui, par le passé, avait clairement promu le tiers payant intégral pour les médecins généralistes, notamment dans le cadre du médecin référent, il s’agit d’un sacré virage sur l’aile…
“Un collier étrangleur qui nous lie à la Sécu”
Le Dr Patrick Guénebaud, de Tarbes et membre (très actif) de la FMF, explique sa réticence, même si aucun titulaire de l’ACS ne lui a encore demandé à bénéficier du TPG : “Le système n’est pas opérationnel, pour nous c’est le statu quo car derrière les ACS, les malades en ALD sont programmés, et puis ce sera la généralisation. Et nous n’en voulons pas dans ces conditions-là.” La généralisation, “c’est un collier étrangleur qui nous lie à la Sécu”, ajoute Jean-Paul Hamon.
La loi de santé prévoyant des “testings” pour refus de soins, les médecins ne risquent-ils pas des ennuis à jouer à ce jeu-là ? “Un peu partout en France, les médecins ont signé des Chartes de solidarité, où ils s’engagent à s’unir et défendre un confrère attaqué par les caisses ou l’ARS. Ils peuvent aller jusqu’au déconventionnement massif”, rappelle le président de la FMF. Déconventionnement, alors que la convention se termine en 2016, “ce n’est peut- être pas une parole en l’air”, fait-il remarquer.
Dans ce climat curieux, les représentants des patients apparaissent fatalistes. Après avoir salué l’objectif du tiers payant généralisé et sa mise en place par paliers, le CISS apparaissent attentiste devant le mot d’ordre de boycott des praticiens, se contentant de regarder passer les balles. “On n’y peut pas grand-chose”, commente Christian Saout, le secrétaire général délégué et ancien président du CISS qui ressent un peu de lassitude devant cette situation.
“Nous aussi, les patients, on est de mauvaise humeur”
Pour lui, “les médecins tentent d’instrumentaliser les patients pour régler le conflit qui les oppose à l’administration publique. Ils veulent que les malades soient en colère contre Marisol Touraine”. Christian Saout espère que les consignes syndicales ne seront pas suivies sur le terrain “comme si ce que disent les centrales avaient une valeur”, lâche-t-il, ironique. Mais le mouvement semble échapper aux centrales pour se répandre en France profonde…”Mais toute la France est de mauvaise humeur, comme les taxis”, répond-il. Nous aussi, les patients, on est de mauvaise humeur, personne ne se parle, mais on ne prend pas des 15 tonnes pour bloquer Paris.”
En tout état de cause, reçus par Manuel Valls mercredi après midi pour recevoir une information sur le déroulement de la future conférence nationale de santé, en janvier prochain, l’UNOF-CSMF, la FMF et le SML ont clairement expliqué au Premier ministre, qu’ils n’y participeraient pas… L’hôte de Matignon se retrouve avec MG France et les syndicats d’internes et jeunes médecins pour animer les ateliers de la conférence dont l’un des buts est d’installer le tiers-payant généralisé. Il serait furieux, commente l’un des partipants. On le serait à moins.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne