Primée par la fondation MACSF, la thèse du Dr Anne Sellier de Guis, généraliste à Tomblaine (54) traite de l’impact d’internet dans la relation médecin-patient. Parmi plusieurs résultats surprenants, il ressort que la transparence peut être un allié thérapeutique en équilibrant la relation, sans écorner le pouvoir médical.
Egora.fr : Comment vous est venue l’idée de rédiger une thèse sur l’influence d’Internet, dans la relation médecin-patient ?
Dr Anne Sellier de Guis : J’étais déjà remplaçante au moment de ma thèse, et il arrivait assez souvent que des patients me parlent de ce qu’ils avaient trouvé sur Internet sur leur pathologie. Je me suis demandé si cela changeait quelque chose dans nos rapports et j’ai donc commencé à m’intéresser à la question. J’étais à la fois remplaçante et stagiaire. J’ai noté que les médecins autour de la cinquantaine avaient plutôt un regard dubitatif sur l’utilisation que les patients pouvaient faire de ce nouvel outil. Pour toucher un public de patients le plus large possible, j’ai élaboré avec un informaticien, un questionnaire en ligne que j’ai diffusé à l’ensemble de contacts de ma boîte mail, en leur demandant d’en faire autant auprès de leurs contacts, sans les sélectionner pour avoir le moins de biais possible. J’ai eu 207 réponses.
Considérez-vous que les patients qui vont chercher des informations sur Internet sont plus actifs dans leur prise en charge, ou à l’inverse, plus méfiants vis-à-vis du corps médical ?
Ceux qui vont chercher des informations sont plus actifs. Cela fait partie de la démarche : le fait d’aller sur Internet est une marque d’activité, ce n’est pas comme d’allumer la télévision où l’information vient à nous. Des études ont montré que ce type de recherche sur internet avait un impact positif dans la prise en charge des malades chroniques et dans le sevrage tabagique.
A votre sens, le fait que le patient soit plus informé, qu’il y ait moins d’écarts entre soignés et soignants, rend-il la relation plus égalitaire ?
D’après ma thèse, oui. Les patients qui avaient fait des recherches sur Internet avaient le sentiment de pouvoir mieux discuter avec leur médecin, de mieux comprendre ses explications. Mais là, il aurait fallu pouvoir comparer les résultats avec une population qui n’utilise pas Internet. Ce qui ressort de ma thèse, c’est que la plupart des patients ne parlaient pas avec leur médecin de ce qu’ils ont trouvé sur Internet. L’explication la plus plausible, c’est qu’ils utilisent Internet pour éviter une consultation, ou au détours d’une consultation.
Cela peut être porteur d’effets pervers…
Les deux excès sont possibles : si on tape “bouton” sur Internet, le premier résultat qui apparaît est “cancer de la peau”. Les patients peuvent venir à tort pour pas grand-chose, et à l’inverse, être faussement rassurés par les informations qu’ils auront trouvées et qui ne seront pas forcément les bonnes.
Certains lobbies ont investi la Toile, le lobby anti-vaccin notamment, qui peut ébranler les certitudes de certaines familles. La relation devient plus âpre alors…
Oui, c’est très difficile. Il faut remonter la pente par le dialogue singulier et les explications. Je suis particulièrement vigilante sur les sites pour l’avortement où sous couverts d’information sur l’IVG, militent contre l’ IVG, avec de fausses informations qui effraient les femmes. Je mets souvent les jeunes femmes en garde : une information n’est jamais neutre. Il ne faut pas être dupe des informations que l’on reçoit, il faut recouper, trouver la source, comparer avec des sites dont la validité scientifique est avérée. Cela fait partie de l’éducation thérapeutique du patient. Montrer qu’on est ouvert au débat, permet aussi de lutter contre la théorie du complot, qui peut nuire à la cause en matière de vaccination, d’avortement ou autre chose.
Plus les patients ont confiance en leur médecin, moins ils sont enclins à faire des recherches sur Internet, c’est l’une des conclusions de votre thèse…
C’est conforme avec les derniers sondages qui montrent que les patients accordent une grande confiance à leur médecin, et en particulier à leur médecin traitant. Cela montre que notre système de santé fonctionne encore assez bien.
Y-a-t-il un résultat qui vous a étonné ?
Oui. Il apparaît que si un patient discute du résultat de ses recherches sur Internet avec son médecin, cela renforce la confiance qu’il lui porte. J’aurais plutôt pensé l’inverse, qu’à partir du moment où le médecin n’a pas forcément donné les mêmes informations que ce qui a été trouvé sur Internet, un doute pouvait s’insinuer dans l’esprit du malade. Cela renforce la relation au lieu de lui nuire.
Le pouvoir médical ne serait donc pas écorné par Internet, il ne ferait que changer d’aspect ?
Je le pense. Internet induit une transparence, qui induit de la confiance. Les patients sont plus enclins à nous croire. A l’inverse, l’opacité que les médecins ont souvent opposée au patient, sur le mode “c’est moi qui sait et vous, vous faites”, peut être contreproductive. L’opacité peut être interprétée comme le fait de vouloir cacher des choses.
Que conseilleriez-vous à vos confrères à cet égard ?
Nous utilisons sur Internet, alors il ne faut pas se cacher. On peut conseiller les patients sur les meilleurs sites. A une patiente atteinte d’un cancer du sein, je recommande des sites d’associations de patients, de sociétés savantes. On peut discuter de la manière de chercher des informations, de les recouper, de savoir si elles sont fiables. Pour les préparations de voyages, on regarde ensemble le site de l’Institut Pasteur. C’est un media comme un autre, un support très intéressant si on sait bien l’utiliser. Comme on ouvre un livre d’anatomie pour montrer un organe par exemple.
Internet a-t-il transformé la relation médecin-patient ?
Internet a accompagné l’évolution des mentalités. Je ne sais pas s’il est l’agent principal, mais cet outil était disponible au bon moment. Il y avait un élan depuis les années 80, un besoin de transparence. Internet a simplement accéléré le mouvement et accompagné l’évolution des mentalités.
Cet outil rallonge ou raccourcit-il la consultation ?
Au début, ça la rallonge et lorsque les patients ont l’habitude, cela permet de faire un peu d’éducation thérapeutique ce qui peut aussi nous faire gagner du temps.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne