Ils sont près de 20 000 médecins à avoir quitté leur pays pour exercer en France. Mais avant de pouvoir pratiquer, ils ont dû se confronter à un obstacle de taille : apprendre la langue française. Si l’entretien devant le conseil de l’Ordre est facilement surmontable avec un peu de préparation, les premières confrontations avec les patients sont, elles, un peu plus délicates.

 

Le docteur Gérard Van-Haendel s’est installé en octobre 2010 dans la petite commune d’Epinac, dans le Morvan. Il avait alors 37 ans, exerçait comme généraliste à Rotterdam, et ne parlait pas le moindre mot de français. “Avec mon épouse, qui est généraliste aussi, nous avions déjà travaillé en Australie notamment. Après la naissance de notre premier enfant nous avons eu envie de repartir à l’étranger. C’est un chasseur de tête d’une agence française qui nous a contactés pour qu’on s’installe à Epinac.”

Le temps de préparer son arrivée dans le Morvan, le docteur Van-Haendel a pris trois mois de cours de français aux Pays-Bas. “Ça ne m’a pas beaucoup aidé, ce n’était pas suffisant, alors en arrivant en France, j’ai suivi un stage intensif.”

 

Un apprentissage express très difficile

Au bout de quelques semaines de bachotage, il passe un entretien devant le conseil départemental de l’Ordre, qui lui offre un sursis de trois mois pour se perfectionner, et pouvoir enfin recevoir ses patients. Un apprentissage express qui a été très difficile pour le médecin. “C’était très compliqué. Et puis comme ma formation était centrée sur le vocabulaire médical, je m’en sortais au cabinet, mais dans la vie quotidienne, quand j’étais invité à un anniversaire par exemple, j’avais beaucoup de mal à comprendre.”

Ils sont de plus en plus de médecins étrangers à vouloir exercer en France, et à se confronter aux difficultés de l’apprentissage de la langue française. Et beaucoup optent pour des stages spécialisés comme ceux que propose Maarten Stroes, professeur de français langue étrangère originaire des Pays-Bas. Il y a quatre ans, alors qu’il n’avait aucune connaissance médicale, il a “appris sur le tas” et a créé son institut de français médical dans lequel il forme des praticiens néerlandais, belges, roumains et bientôt des espagnols et des polonais.

“L’apprentissage du français médical est très difficile. Et beaucoup d’étrangers qui veulent venir en France ne se rendent pas compte à quel point”, explique ce professeur. Il met régulièrement en garde des candidats à l’expatriation : il est illusoire de croire qu’on peut exercer la médecine en France après seulement 3 semaines de cours si on n’a aucune base de français.”Certains réussissent à assimiler la langue très vite, mais j’ai eu des stagiaires, notamment des personnes un peu plus âgées pour qui c’était vraiment très laborieux. Et chez certains, on se rend vite compte que même dans deux ou trois ans, ils ne seront jamais réellement à l’aise.” En quatre ans de cours, deux médecins ont renoncé à leur installation en France à cause des difficultés de la langue.

 

Des formations ultra-intensives d’une à trois semaines

S’il ne promet pas de miracles, Maarten Stroes assure quand même des formations ultra-intensives et efficaces d’une à trois semaines. Au programme, des cours personnalisés, des jeux de rôles, beaucoup d’oral et un apprentissage du vocabulaire médical adapté à chaque spécialité. Il faut compter dans les 2000 euros la semaine, hébergement compris. Maarten Stroes propose aussi d’accompagner ses élèves après le stage, via Internet.

Après la formation, les élèves ont toutes les clés pour commencer à exercer. Surtout, ils sont fin prêts pour affronter l’entretien avec le conseil départemental de l’Ordre, qui doit valider leur niveau de français et leur donner l’autorisation de pratiquer en France. Une épreuve déterminante qui varie fortement d’un département à l’autre. “Parfois, mais c’est de plus en plus rare, il s’agit juste d’une petite conversation, sur le parcours du médecin, sur la région. J’ai connu des médecins qui étaient frustrés d’avoir autant travaillé juste pour ça, raconte Maarten Stroes. Mais de plus en plus, il s’agit d’entretiens plus poussés avec de vraies notions de vocabulaire médical.”

 

“Les règles du jeu changent”

Dans les faits, rares sont les étrangers qui se voient refuser d’exercer par l’Ordre. Le plus souvent, on leur accorde un délai d’apprentissage avec une recommandation de faire un stage. Mais les choses pourraient changer. Pour clarifier le processus, et conformément aux directives européennes, le Conseil national de l’Ordre a modifié, en 2013, les textes sur le contrôle de la maitrise de la langue pour les praticiens étrangers. “Les règles du jeu changent. Avant, notre mission était de vérifier la pratique de la langue. Désormais, il s’agit de contrôler, explique le docteur Patrick Romestaing, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Nous devons maintenant déterminer les moyens de contrôle. A la place cet entretien, qui était informel, nous aurons quelque chose de plus organisé.” Cela pourra passer par un entretien oral, voire un test à base de QCM, explique l’Ordre, qui est en pleine réflexion sur le sujet.

Reste qu’après l’entretien de contrôle, il faudra se confronter aux patients. Ce qui n’est pas une mince affaire. “Entre l’autorisation d’exercer et l’installation, il se passe toujours quelques mois pendant lesquels le médecin a encore l’occasion d’apprendre”, remarque Maarten Stroes.

Le docteur Van Haendel, lui, reconnait que ses consultations ont été compliquées pendant plusieurs mois. “Au début je ne prenais que des patients qui souffraient de pathologies que j’étais certain de bien comprendre. Je mettais du temps pour remplir les ordonnances, je faisais répéter mes patients très souvent. En fait, ce sont eux ont été obligés de s’adapter à mon niveau.” Quatre ans après son arrivée à Epinac, il s’exprime dans un français parfait. “Je fais encore des fautes, concède-t-il.Il m’arrive encore de demander à des patients de préciser quelque chose que je n’ai pas compris. J’apprends tous les jours.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu