L’expérimentation ambitieuse de prise en charge harmonieuse des personnes âgées en perte d’autonomie sur 9 régions, ne concernera pour des raisons budgétaires, que 20 % de la cible, à l’exclusion des patients en EHPAD. La profession s’insurge.

 

C’est ce qu’on appelle de la bonne communication gouvernementale : vendredi prochain, 14 février, se tiendra au ministère de la Santé un colloque ouvert à la presse, destiné à faire un “point d’étape sur le lancement des projets sur le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie” (PAERPA). Autrement dit l’une des pièces maîtresses de la stratégie nationale de santé présentée par le Premier ministre et Marisol Touraine, la ministre de la Santé.

L’idée : face au vieillissement de la population, la nécessité de modifier le mode de prise en charge des patients âgés porteurs de poly pathologies s’est faite jour, de manière à fluidifier et optimiser le parcours de soins entre les professionnels de santé libéraux, le secteur médico-social et l’hôpital. L’idée a été développée par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), qui l’envisageait comme un prototype, et non une expérimentation. Destiné à encourager le travail en équipe, le PAERPA est basé sur un plan de soins personnalisé de la personne âgée (PPS) établi pour cinq ans, doté d’une rémunération forfaitaire de 100 euros, à se répartir entre le médecin traitant (60 % du forfait) et un professionnel de santé au moins, infirmière, kinésithérapeute et parfois pharmacien d’officine.

 

Le dispositif ne concernera que 20% de la cible

Initiées par les lois de financement de la sécurité sociale 2012 et 2013, les premières expérimentations dans les 9 régions pilotes* auraient dû, pour les 5 premières d’entre elles, être déjà opérationnelles. Mais, comme toujours, on a pris du retard et les réunions préparatoires sont encore en cours à Paris entre le secrétaire général des ministres de la Santé et des Affaires sociales, Pierre-Louis Bras, ceux de la direction générale de la santé et de la sécurité sociale, et les représentants des professions de santé.

“Le PAERPA était vraiment une bonne idée, mais ils sont en train de le vider de son sens, pour des raisons financières”, s’insurge le Dr Luc Duquesnel, le président de l’UNOF (CSMF), et représentant de l’une des régions expérimentales, les Pays-de-la-Loire. C’est en travaillant sur le sujet avec son ARS, qu’il a appris que toutes les personnes en EHPAD seraient exclues du dispositif, ainsi que 80 % des plus de 75 ans. Au résultat, le dispositif ne concernera que 20 % de la cible ! Pour rappel, l’idée du PAERPA, telle que définie par le HCAAM, était de toucher 230 000 personnes de plus de 75 ans, permettant ainsi de faciliter la coordination de près de 7 000 professionnels de santé des territoires concernés, selon les propres mots du ministère.

Deuxième bémol, de taille celui-là : l’administration demande qu’une évaluation des patients éligibles au PAERPA, soit réalisée en amont du dispositif, pour laquelle aucun financement n’est prévu, au-delà du forfait de 100 euros annuels, à se partager. “Le financement de ces pré-bilans ? Il se fera à la discrétion de chaque ARS. Or, il est bien plus compliqué et long à réaliser qu’une consultation classique”, tempête le Dr Duquesnel.

 

“On en a marre de cette protocolisation forcenée”

Troisième hic, le dispositif de communication sur lequel devait reposer le PAERPA n’est pas encore opérationnel, faute de décret ad hoc, promis par Marisol Touraine depuis le mois de juin. Or, ce décret est un sésame, car il doit permettre le partage d’informations via une messagerie sécurisée entre les professionnels de santé et autoriser l’accès aux données personnelles, tout en filtrant l’accès de non professionnels “sous des conditions très strictes” de confidentialité et de sécurité. Originellement, les documents médicaux avaient été imaginés pour être déposés sur le DMP 2, probablement et ultérieurement piloté par la CNAM, mais toujours pas opérationnel. D’ici à imaginer qu’il sera bientôt dépassé techniquement…

Le résultat est que, sur le terrain, on en est encore à mettre en place la gouvernance territoriale, et dispenser les formations pluridisciplinaires indispensables pour s’emparer d’un mécanisme beaucoup vanté, mais encore inexistant. “On en a marre de cette protocolisation forcenée, 100 euros à se partager, pour établir un protocole de soins pour cinq ans sur les personnes très âgées, autant acheter une boule de cristal, ironise le Dr Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. On ne peut mobiliser personne sur un tel projet, les gens vont penser qu’on est fous !”.

La réaction est de même nature du côté de Claude Bronner, le président d’Union généraliste. “Ils veulent nous faire la même chose que pour les infirmières qui doivent remplir un Dossier de soins infirmiers (DSI), une paperasse démente pour simplement pouvoir travailler. Cent euros à se partager à plusieurs, pour rédiger un plan de soins que les médecins conseils seront incapables d’apprécier, assorti de contraintes délirantes, c’est une somme à mettre en rapport avec les 40 euros annuels du dossier du protocole ALD. L’idée était bonne, mais la manière de faire est délirante. Ce n’est pas avec des protocoles que les professionnels de santé se parleront entre eux !”

Le Président de MG France, Claude Leicher, abonde dans ce sens lui aussi, en critiquant la lourdeur d’un projet conçu comme un “dispositif descendant, alors qu’il aurait dû à l’inverse, s’inspirer des choses qui marchent car elles ont été crées à l’initiative des médecins de terrain, avec un esprit pratique avant tout, basé sur l’analyse de ce qu’ils ont l’habitude de faire”.

En première ligne pour négocier le dossier tant en national qu’en région, le Dr Luc Duquesnel ne tente pas de cacher sa déception devant ce manque de moyens et d’ambition. “Ce n’est pas avec une expérimentation tronquée comme celle-là, que les médecins seront tentés de modifier leur mode d’organisation pour se regrouper en maisons et pôles de santé, organisation qui ne représente actuellement que 10 % des libéraux”.

 

Une “absence de coordination” sur le terrain

Pour lui, le modèle PAERPA est “impossible à vendre” sur le terrain. “Ce qu’on voit sur le terrain, c’est une absence de coordination, pas d’implication réelle des professionnels de santé libéraux au sein des EHPAD. C’est un véritable problème lorsque les patients sont hospitalisés”, fait-il valoir en regrettant que le bilan dressé à l’entrée du patient en EHPAD, ne soit pas suivi au-delà. Pour Claude Leicher, l’impact de cette expérimentation PAERPA peut être sans lendemain, fait déjà douter les acteurs de proximité sur l’après. “Il n’y aura peut-être rien, alors les médecins sont vraiment interrogatifs et ils auront probablement du mal à se saisir de l’expérimentation”.

Une prochaine réunion du comité de pilotage doit avoir lieu demain mercredi au ministère où ce problème de cible et de moyens sera mis sur la table. Lorsque la phase expérimentale sera passée, les textes prévoient que les modalités de rémunération et la coordination des équipes pluri-professionnelles qui interviendront autour du patient dans le cadre du PAERPA, et au-delà ensuite, soient déterminées par un accord conventionnel interprofessionnel, pris en application de l’accord-cadre interprofessionnel (ACIP) négocié entre l’UNPS (Union nationale des professions de santé) et l’assurance maladie. Mais on n’en est pas encore là, et d’ailleurs, MG France dénie à l’UNPS, présidée par le Dr. Jean-François Rey, le président de l’UMESPE (CSMF), la légitimité pour négocier cet accord au nom de la médecine de proximité…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

 

* Ile-de-France, Pays-de-la-Loire, Midi-Pyrenées, Lorraine, Centre puis Nord-Pas-de-Calais, Aquitaine, Limousin et Bourgogne.