Installée depuis 26 ans à Nancy, ce médecin généraliste a déménagé il y a un an dans un cabinet en banlieue. Dans un quartier gangréné par la toxicomanie, elle a connu les insultes, la violence et les menaces de mort. Après un an de souffrances, elle a décidé de plier bagage.

 

« Je suis installée depuis un an dans ce cabinet, dont j’ai racheté la clientèle en janvier 2013 à un médecin qui partait en retraite.

Dans les premiers temps, j’ai vu arriver beaucoup de personnes pour des demandes de toxiques, de produits de substitution, Subutex, Buprénorphine, Méthadone. Ou des dérivés codéinés, des dérivés de morphine. On me demandait des ordonnances couloirs : les patients dans le couloir, appuyés contre le mur parce qu’ils ne tiennent pas debout, attendent que vous signiez au bas d’une ordonnance sans vérifier le dossier, sans examen…

 

“Connasse, on va te faire la peau’’

Il y a dans ce quartier une population toxicomane importante, de petits trafiquants, une population très défavorisée. Ils sont parfois très attachants mais souvent violents, demandant plus des passe-droits que des soins, et des prescriptions anormales de toxiques.

J’ai refusé ces personnes qui essayaient de m’intimider, voire qui se montraient insultantes et violentes. On a arraché quatre fois ma plaque. On a cassé quatre fois ma porte d’entrée. On a cassé ma boîte aux lettres, ma signalisation a été détruite. Et j’ai reçu des menaces, des menaces de mort et des insultes. Des ‘’connasse, on va te faire la peau’’, quand j’arrive c’est ‘‘connasse t’as encore un quart d’heure de retard’’, ou ‘’tu t’es encore trompée sur l’ordonnance’’, parce que j’ai mis des génériques et qu’ils n’en veulent pas. J’ai aussi eu des patients mécontents qui urinent dans la salle d’attente parce qu’ils sont ivres et qu’ils ne se contrôlent plus… Attention, je ne dis pas que tout le monde est comme ça. On va dire qu’il s’agit de 75% de ma clientèle.

Je me suis fait tabasser par un patient une première fois, j’ai dû m’arrêter quinze jours pour un visage tuméfié. Evidemment, c’est financièrement difficile. J’avais ouvert après les heures de consultation à un patient visiblement en manque et qui voulait immédiatement une ordonnance. J’ai refusé parce qu’il n’était pas bien, parce que j’avais peur, parce que je ne voulais pas avoir à faire à quelqu’un de potentiellement violent. Le coup est parti avant que j’aie pu le mettre dehors.

Une autre fois, c’était un monsieur qui était plutôt alcoolisé qu’en manque. C’était nettement moins violent.

 

“Il m’est arrivé m’en aller tant j’avais peur”

En fait mon cabinet est un coupe-gorge. Il se situe au premier étage d’un immeuble plutôt isolé, dans la journée les habitants ne sont pas là. Il y a un dentiste dans la journée, mais il n’est pas toujours là. Donc je suis seule. Seule au fond d’un premier étage, sans autre voie de sortie qu’un escalier par lequel peuvent arriver des personnes dont je ne peux pas surveiller l’entrée. Je suis très exposée. Je ne vois pas qui entre et je n’ai pas moyen de faire barrage. Je ne peux pas couper l’ouverture de la porte aux heures de consultation. C’est extrêmement dangereux.

Je vivais dans la peur. Une peur panique même à certains moments. Il m’est arrivé de partir de mon cabinet, de fermer la porte et de m’en aller tant j’avais peur. Surtout quand j’ai eu des menaces de mort. Menaces qui se faisaient soit par tiers interposé, on m’envoie un copain qui dit ‘’Untel a l’intention de vous faire égorger, de vous faire un sourire kabyle’’. Ca fait évidemment peur. Surtout que la personne est connue pour être violente. Et puis des mots sur le pare-brise, ‘’on va te faire la peau’’ et puis un petit cercueil dans la boîte aux lettres, et des appels anonymes toutes les dix minutes pendant les consultations.

Il faut bien voir que ce sont des patients qui ont été très gâtés. Ce sont des patients rois. Habitués à ce qu’on se dérange pour eux plutôt que de venir en consultation. En visite, certains sont très désagréables. Ils refusent d’éteindre la télé pour être examinés, vous disent à peine bonjour, vous reçoivent mal, sont très vulgaires. Ils n’ouvrent pas la porte si on vient de leur livrer une pizza ou si le feuilleton a commencé. C’est très dur. Certains me demandent de faire les courses de pharmacie, voire de passer chercher leurs courses d’épicerie en même temps. J’ai accepté les premiers temps, parce qu’il fallait bien que je gagne ma vie. J’ai très vite laissé tomber parce que ce n’est pas tenable.

 

“Je pensais faire de la médecine humanitaire”

Evidemment, j’ai eu envie de fermer mais ce n’était financièrement pas possible. J’ai acheté une clientèle, j’ai investi et ça coûte très cher.

Je me suis installée ici dans l’idée de rendre service. C’était vraiment ma démarche. J’allais rencontrer une clientèle défavorisée mais j’allais être utile. Je pensais faire de la médecine humanitaire. Mais je me suis rendue compte qu’on me demandait des ordonnances qui ne correspondaient pas à des soins, mais à un usage excessif de toxiques. J’étais déçue des prescriptions que j’avais à faire et de mon rôle. J’aurai souhaité abandonner cette pratique rapidement, mais je venais d’acheter. Il est évident qu’un médecin doit aussi travailler pour gagner sa vie et je ne pouvais pas abandonner dans l’immédiat. J’ai essayé de poursuivre.

Alors, j’ai limité l’accès aux personnes dépendantes en prenant un secrétariat téléphonique et en mettant sur liste rouge les personnes indésirables que je connaissais. Mais j’avais des consultations libres et sans rendez-vous où tout le monde pouvait accéder.

J’ai été reçue par le bureau d’aide aux victimes à la police. Ils m’ont conseillé d’être accompagnée dans mes consultations par un tiers. En ce moment, c’est le cas mais ça ne pourra pas durer. On ne peut pas demander à une personne bénévole d’accompagner un médecin ad vitam aeternam. La police comme l’Ordre des médecins m’ont dit que si je restais seule, il fallait fermer le cabinet. Moi je veux bien, mais comme pour tout médecin, il y a des charges, des taxes, de gros frais qui continuent à courir sur un cabinet fermé. Et d’autre part, j’ai des patients chroniques qu’il faut suivre régulièrement.

Mais ça y est, je vais pouvoir fermer. Je vais louer un autre local. J’attends que les travaux soient finis, c’est imminent. J’espère d’ici la fin du mois. Je sais que si je m’éloigne de 500 mètres, je n’aurai plus la fréquentation de ces personnes, qui le disent ouvertement : se déplacer de 500 mètres, c’est un problème pour eux parce que leur habitude est de ne pas quitter leur zone. C’est une habitude pour ces personnes agressives d’aller consulter dans leur quartier, où elles se sentent protégées, invulnérables. Il y a une sorte de zone de non-droit.

 

“J’ai l’impression qu’on me prend pour une empoisonneuse”

En m’éloignant de 500 mètres, je sais que je vais garder environ un quart de la clientèle initiale, les patients sympathiques, qui me font confiance et que j’apprécie beaucoup. Et je ne pourrai pas m’en sortir si je n’ai pas un fond de clientèle.

Je voudrais quand même dire que si on fait ce métier, c’est qu’on l’aime vraiment, qu’on a envie de rendre service. Et que fort heureusement, il y a des patients extrêmement agréables qui vous donnent envie de se battre pour eux, de travailler avec conviction et attention. Il est regrettable qu’il y ait une partie de la clientèle qui ne vienne pas pour être soignée.

Etre médecin c’est un beau métier, quand on fait de la médecine. Là je n’ai pas l’impression de faire de la médecine trois fois sur quatre. J’ai l’impression qu’on me prend pour une empoisonneuse, pour entretenir une toxicodépendance. Je ne suis pas là pour ça. »

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier