Alors que les parties signataires n’arrivaient toujours pas à trouver une règle du jeu acceptable par tous pour continuer les négociations conventionnelles, l’assurance maladie prenait le parti de prendre l’opinion à témoin du problème des dépassements d’honoraires en publiant une étude sur l’inflation du secteur 2 depuis sa mise en place par la convention 1980. « L’assurance maladie veut tirer la sonnette d’alarme. Le système dérive tant en taux de dépassement moyen qu’en termes géographiques. Il nous faut mettre en place une réforme structurelle », a ainsi déclaré Frédéric Van Roekeghem, face à la presse. Le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a présenté un document retraçant l’évolution du secteur à honoraires libres, mis en place par la convention 1980, et qui, depuis la convention 1990, n’est réservé qu’aux seuls médecins spécialistes, sur titres.
Aujourd’hui, le secteur 2 concerne un médecin sur quatre, mais seulement 11 % des omnipraticiens, contre 22 % en 1980. En médecine générale, le secteur 2 concerne 7 % des généralistes sans mode d’exercice particulier, soit 3 400 praticiens sur 53 000. Et il y a également 2 600 MEP. C’est, de fait et parmi les médecins de famille, un secteur en voie d’extinction.
En revanche, la situation des spécialistes mobilise la Cnam puisque 41 % d’entre eux exercent aujourd’hui en secteur 2 contre 37 % en 2000. Pour certaines spécialités, les honoraires libres sont même majoritaires : il en va ainsi de la chirurgie (85 % de secteur 2), de la  gynécologie chirurgicale et de l’obstétrique (66 %), de l’ophtalmologie (53 %) ou de l’ORL (56 %). A l’inverse, certaines spécialités exercent quasiment majoritairement en secteur 1, comme la néphrologie (98 %), la radiologie (87 %), la cardiologie ou la pneumologie (80 %). Problème : les jeunes ont été 6 sur 10 à choisir le secteur 2 en 2010, soit une proportion sensiblement supérieure à celle (41 %) des médecins spécialistes en exercice. Le phénomène touche particulièrement certaines spécialités : les anesthésistes sont en moyenne 35 % à exercer en  secteur 2, mais il a été choisi par 66 % des nouvelles installations de 2010. Cette même année, les ORL et les gynécologues, médicaux, chirurgicaux et obstétricaux confondus, enregistraient un taux d’installation en secteur 2 de 84 et 82 %…
Autre sujet de préoccupation : le taux de dépassements, car il a plus que doublé entre 1990 et 2010. Par rapport au tarif opposable, le dépassement facturé moyen était de 23 % en 1985, 29 % en 1995, 37 % en 2000, 49 % en 2005 et s’élève à 54 % en 2010. Les taux les plus élevés (83 %) ont été observés parmi les gynécologues chirurgicaux et obstétriciens, les pédiatres (64 %), les ophtalmologues (60 %) et les chirurgiens (56 %).
Alors qu’ils représentaient 900 millions d’euros en 1990, les dépassements représentent en 2010, 2,5 milliards d’euros, dont 350 millions pour les généralistes et 2,1 milliards pour les spécialistes.
Enfin, note la Cnam, entre 1985 et 2010, « les honoraires remboursables ont évolué parallèlement au PIB par habitant », mais les dépassements, eux, se sont envolés.
Troisième élément dans cet état des lieux : la concentration géographique des praticiens du secteur 2. Pour les chirurgiens, par exemple, le secteur 2 concerne moins de 50 % des praticiens dans un quart des départements, mais plus de 90 % dans une dizaine, dont la région parisienne, les Alpes-Maritimes, le Rhône, l’Isère, la Gironde, etc. Il en va de même pour les taux de dépassements, qui peuvent atteindre 150 % à Paris et dans les Hauts de Seine, 110 % dans le Rhône, près de 90 % en Alsace ou 80 % dans les Alpes Maritimes. A l’inverse, près d’une vingtaine de départements connaissent des taux de dépassement inférieurs à 25 % du tarif opposable.
Face à cette situation, jugée « préoccupante pour l’accès aux soins », l’assurance maladie a un remède, le secteur optionnel. Toujours en panne, la création de ce troisième secteur conventionnel figure pourtant dans la loi de réforme de l’assurance maladie de 2004, la convention 2005 et le protocole d’accord du 15 octobre 2009. La Csmf et le SML promeuvent également avec force ce nouveau secteur, qui pourrait à leurs yeux, résoudre l’équation infernale des dépassements d’honoraires. Mais les trois parties : assurance maladie, union nationale des organismes de protection complémentaire (Unocam) et syndicats médicaux n’arrivent pas encore à trouver un accord acceptable par la tutelle.
Le secteur optionnel figure de nouveau au programme des négociations conventionnelles, mais dans un cadre très strict, dessiné par le conseil de l’Uncam (Union nationale des caisses d’assurance maladie). Un cadre que la Csmf et le SML considèrent d’ores et déjà bien trop contraignant et qu’ils vont tenter d’élargir vers d’autres spécialités médicales.
Le mandat de négociation du directeur est clair : mis en place pour une durée de trois ans, le secteur optionnel ne s’adresserait qu’aux chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs et gynécologues obstétriciens de secteur 2 ou titulaires du DP (droit permanent à dépassement) « ayant une activité technique prépondérante ». Ces derniers s’engageraient à réaliser 30 % ou plus de leurs actes au tarif opposable, à facturer pour les autres actes un complément d’honoraires inférieur ou égal à 50 %, et à s’inscrire dans une démarche de transparence des tarifs et de qualité des pratiques professionnelles. Une feuille de route « non discutable » affirme Frédéric Van Roekeghem. Les dépassements encadrés seraient solvabilisés par les organismes de protection complémentaire. En contrepartie, espérant ainsi « vider » progressivement le secteur 2, l’assurance maladie s’engage à prendre en charge une partie des cotisations sociales des praticiens, sur la part d’activité réalisée en premier secteur. Elle pourrait même envisager de « majorer certains tarifs trop bas »,  a laissé entendre le directeur. Néanmoins, a-t-il reconnu, le mécanisme ne règlerait pas certains problèmes, comme « les taux de dépassement de certains spécialistes, qui sont 3,5 fois supérieurs aux tarifs de la sécurité sociale ». Il souhaiterait aussi que les cliniques privées soient inclues dans le dispositif.
 « C’est la dernière fois que l’on se réunit sur le sujet du secteur optionnel », devait-il commenter, passablement irrité. « Il faut que les organismes de protection complémentaire et les syndicats médicaux se décident enfin, acceptent cette régulation négociée. Il n’est pas satisfaisant de constater que dans certains endroits, la solvabilisation des patients dépend des complémentaires. L’assurance maladie ne signera rien sans l’Unocam », a-t-il assuré.
Si l’accord était trouvé, l’Unocam s’engagerait à convaincre les organismes de protection complémentaire (mutuelles et assurances privées) de leur intérêt à intégrer le mécanisme. Lequel pourrait prendre la forme d’un nouveau « contrat responsable », dont le contenu serait annoncé par décret. Sinon… « nous devrons trouver une autre solution. C’est la dernière fois que nous négocions sur ces bases », a menacé le directeur national.