Au Congrès de l’Ordre des médecins, le 19 octobre, l’annonce a fait grand bruit. “Nous allons prochainement mettre en œuvre la recertification”, a déclaré Agnès Buzyn, qui va lancer une mission avec la ministre de l’Enseignement supérieur. Répondant favorablement à une requête de l’Ordre, la ministre de la Santé marche ainsi sur les pas de Manuel Valls, qui s’y était engagé lors de la Grande Conférence de santé, début 2016. L’idée n’est pas nouvelle : elle revient régulièrement depuis la fin des années 1990, s’imposant chaque fois un peu plus. Décryptage de ce qui attend les médecins.

 

• De quoi parle-t-on ?

Dans son rapport de 2006, qui fait référence, le Pr Yves Matillon, ex directeur de l’Anaes et actuel chargé de mission santé au ministère de l’Enseignement supérieur, définit la recertification comme “la reconnaissance positive du maintien d’un niveau de compétence au regard de critères prédéterminés par la profession”.

A ne pas confondre avec la certification des établissements de santé, lancée en 1999 et menée aujourd’hui par la HAS, qui vise à évaluer les moyens mis en œuvre par les structures pour améliorer la qualité et les prises en charge.

Dans son livre blanc pour l’avenir de la santé, publié en janvier 2016, l’Ordre des médecins propose une recertification périodique, tous les six ans, permettant de valider les acquis de l’expérience, d’assurer le maintien des compétences et de garantir leur lisibilité vis-à-vis des patients. “Il s’agit d’un accompagnement de parcours compétent, insiste le Dr Patrick Bouet, président de l’Ordre. Il n’est pas question de faire repasser un examen aux médecins, ce n’est pas une rediplomation.”

Cette recertification serait basée sur quatre piliers : le DPC, l’analyse de l’activité du médecin au regard des référentiels définis par les collèges de spécialité, le portfolio (actions de FMC accomplies, participations à des congrès, diplômes universitaires) et la répartition des activités (temps et mode d’activité). “Un médecin qui consacre 100% de son temps à son activité acquiert plus d’expérience qu’un médecin à 25%. De même, il y a une différence entre un médecin qui se concentre sur certaines activités de sa spécialité et un médecin qui a une pluralité d’exercice”, précise le Dr Bouet.

 

• Quelles différences avec l’accréditation ?

Lancée en 2004, sous la houlette de la HAS, l’accréditation est un dispositif de gestion des risques médicaux, d’amélioration des pratiques, de la qualité et de la sécurité des soins. C’est une démarche volontaire qui concerne uniquement les médecins exerçant une spécialité ou une activité “à risques” en établissements de santé : gynécologie-obstétrique, anesthésie-réanimation, chirurgie, spécialités interventionnelles (pneumologie, ophtalmologie, radiologie, ORL…), activités d’échographie obstétricale, de réanimation ou de soins intensifs.

Pour certains médecins libéraux, l’accréditation ouvre des droits à une aide financière de l’assurance maladie pour la souscription de la prime d’assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP).

Selon les chiffres 2016 de la HAS, 14 spécialités, sur 19 potentielles, sont aujourd’hui agréées et quelques 9 000 médecins sont actifs dans la démarche d’accréditation, qui impose de suivre un programme annuel et de déclencher un bilan tous les 4 ans. Environ 90 000 événements porteurs de risque ont été analysés à ce jour.

 

• Qui sera concerné ?

A priori, tous les médecins, libéraux comme salariés, spécialistes comme généralistes. Même si pour ces derniers, la mise en œuvre de la recertification sera difficile, dans un contexte où le temps médical manque déjà.

En février 2016, lors de la Grande conférence de santé, Manuel Valls avait proposé de procéder par étape, en commençant par les nouveaux inscrits à l’Ordre et les volontaires.

C’est la philosophie de l’Ordre. “Le processus ne peut se mettre en place que pour les générations de médecins qui vont sortir, c’est pour cela que nous avons demandé à l’Université de les certifier dans le cadre de la réforme du 3e cycle. Ensuite, une fois que la recertification sera lancée, pour les autres médecins en exercice ça sera sur la base du volontariat, précise le Dr Bouet.

 

• Qui sera aux commandes ?

C’est la grande question et la principale pierre d’achoppement jusqu’ici. En 1999, la profession toute entière s’était insurgée contre le projet de recertification de la Cnam, qui menaçait les mauvais élèves de déconventionnement. Depuis, un seul mot d’ordre : la recertification doit être l’affaire exclusive de la profession. “Ce n’est pas le rôle de l’Etat, ni celui de la faculté, ni celui des assurances”, a insisté la CSMF dans un communiqué le 20 octobre. Pour le Collège de la médecine générale, les ministères de tutelle devront se borner à “donner des axes”.

En tant que garant de la compétence des médecins, l’Ordre se voit logiquement aux commandes. A lui l’organisation et la validation de la recertification. Le portfolio serait ainsi géré au niveau régional par l’Ordre. Le contenu de la recertification serait en revanche du ressort des collèges nationaux de spécialité.

Du côté du Collège de la médecine générale, “non seulement on s’y attend, mais on le souhaite”, trépigne le Pr Pierre-Louis Druais, son président, qui appelle également à la mise en place d’une certification à l’issue de la formation initiale. “C’est un dossier sur lequel on travaille de longue date. Le référentiel métier du médecin généraliste est prêt depuis 2009.” Et de mettre les choses au clair : “Si les conseils nationaux professionnels (CNP) ne sont pas les acteurs de la recertification et de la certification, on s’y opposera. Il n’est pas question de mettre en place un 4e cycle des études médicales à l’Université.”

Mais cette dernière n’entend pas être laissée à l’écart. “On a beaucoup travaillé sur le sujet avec l’Ordre”, réagit le Pr Jean-Luc Dubois-Randé, président de la conférence des doyens de facultés de médecine. L’Université se voit à la fois partie prenante sur l’aspect connaissances –”c’est la suite du système universitaire : on se forme tout au long de sa vie”– et sur l’approche compétence, en collaboration avec l’Ordre et les CNP.

L’Agence nationale du DPC, qui a déjà travaillé sur le sujet, écoute pour l’instant siffler les balles. “Nous ne sommes pas demandeurs, c’est à la profession d’organiser sa recertification”, confirme Mme Michèle Lenoir-Salfati, la directrice  générale de l’ANDPC.

Nul doute que les syndicats voudront également avoir leur mot à dire.

 

• Comment ça se passe à l’étranger ?

Appelée “accreditation”, “revalidation”, “registration” ou encore “reprivileging”, la recertification est mise en œuvre dans le monde anglo-saxon (Etats-Unis, Canada, Australie…) mais aussi dans plusieurs pays d’Europe (Croatie, Espagne, Irlande, Italie, Norvège, Slovénie, Pays-Bas, Royaume-Uni).

Aux Etats-Unis, la recertification (tous les 7 à 10 ans) est gérée par les 24 conseils (boards) de spécialités médicales. Il n’y a aucune obligation légale, mais la plupart des hôpitaux conditionnent l’obtention des “privileges” (droits de dispenser des soins spécifiques) des médecins à leur certification. Sans compter la pression des assurances et la demande grandissante des patients.

Au Royaume-Uni, le General Medical Council, qui délivre le permis d’exercice aux médecins diplômés, a introduit fin 2012 une “revalidation” tous les 5 ans. Elle est basée sur la surveillance continue d’indicateurs de qualité (tels les avis des patients) et peut ponctuellement donner lieu à une visite d’inspection professionnelle par les pairs : ces derniers s’assurent que le médecin exerce avec compétence et selon les normes établies, vérifient les installations ou encore la tenue des dossiers patients. Des recommandations, sous forme d’activités de DPC, peuvent être suggérées et donner lieu à visite de contrôle ; un perfectionnement peut être imposé.

Au Canada, au terme de la formation initiale, le Collège royal des médecins et chirurgiens délivre un permis d’exercice ainsi qu’un certificat de spécialité (60 spécialités reconnues en 2015) à l’issue d’un examen spécifique. En 2000, le Collège a mis en place un programme de “maintien du certificat”, auquel ses “associés” doivent obligatoirement participer (minimum de 40 crédits par année et de 400 par cycle quinquennal).

Mais ce sont les Pays-Bas qui ont inspiré le projet du Cnom. “Depuis plusieurs décennies, tous les médecins hollandais bénéficient d’une recertification du Royal Dutch College, qui repose sur une analyse de leur activité et des compétences acquises, développe le président de l’Ordre. La recertification leur permet de poursuivre leur activité. Sur ce point, nous nous éloignons un peu. Nous ne concevons pas la recertification comme une barrière.”

 

• La carotte ou le bâton ?

Depuis 2014 (décret de la loi HPST), l’Ordre peut prononcer une interdiction d’exercice en cas d’insuffisance professionnelle. Mais l’instance a bien compris que pour que les professionnels acceptent de se prêter au jeu, ils doivent y trouver leur compte. Dans son projet, chaque recertification déclencherait : pour les libéraux, une rémunération spécifique ; pour les hospitaliers, une valorisation statutaire.

Une non-recertification entrainerait une proposition de remise à niveau par le collège, en concertation avec la faculté.

 

• Qu’en disent les syndicats ?

La recertification étant dans l’ère du temps, l’opposition franche est difficile à tenir. Les syndicats se partagent donc en deux camps : ceux qui ne se prononcent pas et ceux qui posent des conditions. Pour la CSMF, ce doit être “l’affaire exclusive de la profession”. Pour l’UFML, elle doit non seulement “rester aux mains de la profession”, mais être “volontaire et non sanctionnante”. Pour Claude Leicher, de MG France, “il y a énormément d’incertitudes, énormément de craintes et on ne peut pas dire a priori si on est d’accord ou non. Le préalable, c’est de savoir qui serait en charge du processus, et si les moyens universitaires de la filière de médecine générale permettent de l’envisager”.

Le généraliste anticipe également un problème générationnel : si les jeunes médecins voient ce processus “sans crainte, sans angoisse et le considère même comme cohérent et acceptable”, note-t-il, “il y a une génération de médecin pour laquelle c’est difficile à penser, à accepter, parce qu’on a n’a pas été dans ce processus universitaire de médecine générale”. Sans parler des problèmes pratiques : moyens financiers, temps, etc.

Côté spécialistes, en revanche, “on est rodé”, réagit le Dr Philippe Cuq, président du BLOC. Selon ce dernier, 80% des chirurgiens seraient déjà engagés dans une démarche d’accréditation, notamment grâce à la “carotte de l’assurance”. “Nos structures mentales, notre formation, le fait qu’on fasse des gestes techniques et invasifs font que nous sommes soumis à cette démarche, souligne-t-il. Il est hors de question d’être chirurgien à 35 ans et ne plus se former. Moi dans ma pratique, je fais des techniques aujourd’hui que je n’ai pas apprises dans ma formation initiale.” Pour ne pas compliquer les choses, il faudra donc relier recertification, accréditation et DPC. “C’est une démarche qui se déroule sur une carrière, insiste le président du Bloc. Si on a la moindre sensation administrative de contrainte ou de sanction, il y aura un rejet des professions médicales”, prévient-il.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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