De grandes études épidémiologiques récentes confirment le risque thromboembolique veineux des progestatifs de troisième ou quatrième génération, ainsi que de l’acétate de cyprotérone, quelle que soit leur voie d’administration.

 

Le risque de décéder au cours d’une grossesse est d’environ 1 pour 10 000 en France, à peu près identique à celui de mourir chaque année d’un accident de voiture. Par comparaison, le risque de décès lié à la contraception pour une femme non fumeuse de moins de 35 ans est infime, de l’ordre de 1 pour 1,67 million par année de contraception (Trussel J. Contraception 2006). Mais pour une femme de plus de 35 ans qui fume, il grimpe jusqu’à 1 sur 5 200, ce qui souligne ­l’importance de prendre en compte les facteurs de risque. Lors de la 13e Journée nationale de l’Association française pour la contraception, le Pr Geneviève Plu-Bureau (hôpital Port-Royal, Paris) a présenté les données épidémiologiques sur les risques vasculaires de la contraception.

Si l’on considère l’ensemble des événements, mortels et non mortels, le risque thromboembolique veineux sous contraception orale combinée (COC) apparaît dix fois plus important que le risque artériel.

La FDA a mené une grande étude rétrospective incluant près de 850 000 femmes sous COC (http ://www.fda.gov/downloads/Drugs/DrugSafety/UCM277384.pdf), qui a permis d’identifier 60 infarctus du myocarde (soit une incidence de 0,67 pour 10 000 utilisatrices et par an), 78 AVC (0,87 pour 10 000 et par an) et 625 événements thromboemboliques veineux (6,96 pour 10 000 et par an). Même si le risque absolu apparaît faible, il faut observer que plus de la moitié des accidents vasculaires sont liés à la COC dans ces tranches d’âge, la part attribuable étant d’autant plus ­élevée que les femmes sont jeunes. De plus, le risque vasculaire croît avec l’âge, jusqu’à atteindre 20,8 accidents thromboemboliques veineux annuels pour 10 000 utilisatrices âgées de 45 à 49 ans (contre 5,8 pour 10000 non-utilisatrices) dans la grande cohorte nationale danoise de Liedegaard (8 millions d’années-femmes ; BMJ 2011).

 

Effet starter

Il existe un effet starter au début de la contraception, l’odds ratio de thromboses veineuses étant de 12,6 pendant les trois premiers mois, par rapport aux femmes ne prenant pas de contraception orale (van Hylckama Vlieg A. BMJ 2009). Le risque diminue ensuite, mais reste supérieur à celui des patientes sans contraception hormonale (OR = 5 au-delà d’un an). À l’arrêt de la contraception, les modifications des facteurs hémostatiques s’estompent en six semaines.

La réduction des doses d’éthynilestradiol de 100 à 50 puis à 40 µg a permis de diminuer le risque thromboembolique veineux de la COC (une seule pilule à 50 µg [Stediril] reste commercialisée en France). Entre 30-40 et 20 µg, la relation est moins claire. Deux études récentes (van Hylckama Vlieg A. BMJ 2009 ; Liedegaard O. BMJ 2011) semblent indiquer une diminution du risque, surtout pour les pilules de troisième génération, mais elles demandent à être confirmées.

Le risque thromboembolique veineux accru lié aux pilules de troisième génération apparaît manifeste dans de nombreuses études, avec un odds ratio de 1,7 par rapport aux pilules de deuxième génération (Kemmeren JMBMJ 2001). « Cette augmentation du risque est connue depuis plus de douze ans », a insisté le Pr Plu-Bureau. Les résultats sont voisins pour les pilules d’autres générations, ce qui justifie également de ne pas les prescrire en première intention. Pour la drospérinone, huit études montrent un odds ratio poolé de 1,7 par rapport aux pilules contenant du lévonorgestrel (Plu-Bureau G. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2013). Pour les pilules contenant de l’acétate de cyprotérone, l’odds ratio poolé est de 1,8 par rapport aux femmes sous pilule de deuxième génération et de 6,4 par rapport aux non-utilisatrices.

 

Un effet sur les marqueurs de la coagulation

Ces résultats épidémiologiques sont confortés par le fait que, à dose égale d’éthynilestradiol, les pilules de troisième ou autre génération ont un effet plus marqué sur les marqueurs biologiques de ­coagulation (résistance à la protéine C activée) ou du risque veineux (Sex Hormone Binding Globuline, Shbg) que les pilules de deuxième génération.

Les autres voies d’administration ont été moins étudiées, cependant les résultats de quatre études, dont celle de Liedegaard (BMJ 2012) et de l’agence du médicament américaine (FDA), indiquent que le risque de thrombose veineuse est plus important avec le patch qu’avec une pilule contenant le même progestatif ou du lévonorgestrel (odds ratio poolé = 1,5 ; risque relatif = 7,9 par rapport aux non­utilisatrices). Cet effet est corroboré par les marqueurs biologiques du risque.

Pour l’anneau vaginal, la cohorte danoise et l’étude de la FDA montrent un odds ratio poolé de 1,7 par rapport à la voie orale. « Tous les contraceptifs combinés contenant des progestatifs de troisième ou autre génération, ou de l’acétate de cyprotérone augmentent le risque thromboembolique veineux, par rapport aux contraceptions de deuxième génération, quelle que soit leur voie d’administration, a résumé le Pr Plu-Bureau. La probabilité d’accident thromboembolique veineux est multiplié par 4 à 6 par rapport aux non-utilisatrices de contraception hormonale. »

La présence d’une thrombophilie joue un rôle majeur. Les mutations du facteur V, les plus fréquentes, sont présentes dans 4,8% de la population générale, mais chez 18,8% des patients victimes de thrombose veineuse. Cependant, le bilan d’hémostase n’est recommandé par les sociétés savantes qu’en cas d’antécédents familiaux avant 60 ans ou d’antécédents personnels, ces derniers contre-indiquant, de toute manière, la contraception combinée.

 

Pas assez de données pour les pilules à l’estrogène naturel

Aucune donnée clinique n’est encore disponible concernant les pilules à l’estrogène naturel. Cependant, les études réalisées sur les marqueurs biologiques indiquent que l’association de valérate d’estradiol et de diénogest entraîne un risque équivalent à celui des pilules de deuxième génération. En revanche, les résultats concernant l’association d’estradiol et d’acétate de nomégestrol sont plus difficiles à interpréter, puisqu’ils sont favorables sur la protéine C activée, mais défavorables sur la Shbg. « Il faut respecter les mêmes contre-indications que pour les autres pilules estroprogestatives, mais peut-être que dans quelques années on s’apercevra que ces pilules ont un profil de risque différent », a conclu le Pr Plu-Bureau.

Un nombre important de données concordantes démontrent que les pilules progestatives ne modifient pas le risque thromboembolique veineux. Deux études ont été menées sur le DIU au lévonorgestrel, dont les résultats poolés indiquent un odds ratio de 0,6, insuffisant, cependant, pour conclure à un effet protecteur. En revanche, l’injection d’acétate de médroxyprogestérone de longue durée d’action est associée à un risque accru (OR = 3,6). Pour l’implant, les données sont encore insuffisantes pour conclure, mais la seule étude disponible ne montre pas d’augmentation significative du risque thromboembolique veineux lié à son utilisation.

 

Un risque artériel faible

En ce qui concerne le risque artériel, onze études indiquent que les pilules estroprogestatives augmentent le risque d’infarctus du myocarde (OR = 1,7) et quatorze celui d’AVC ischémiques (OR = 1,8 ; Plu-Bureau 2013). Le risque diminue de manière importante entre première et deuxième génération, mais est strictement identique entre deuxième et troisième génération. Jusqu’à 30 µg, les doses d’éthynilestradiol ne semblent pas influencer le risque. Il n’existe pas d’études sur les estrogènes naturels. Pour les pilules à la drospérinone, la cohorte de la FDA montre un risque ­artériel accru par rapport aux pilules de deuxième ­génération, chez les femmes nouvellement traitées. Cependant, ce sur-risque semble cantonné aux femmes les plus âgées et pourrait être lié à un biais de prescription. Enfin, patchs et anneaux entraînent les mêmes risques que la voie orale et imposent les mêmes contre-indications. À l’inverse, la contraception progestative seule ne modifie pas le risque d’AVC ni celui d’infarctus, mais ces constatations reposent sur six études seulement, dans chaque cas. Les dernières analyses de la cohorte danoise confirment ces ­résultats et les étendent au stérilet au lévonorgestrel et à la pilule au désogestrel. Comme pour le cas des thromboses veineuses, la contraception progestative peut donc être prescrite en cas de facteur de risque artériel.

“Ce qui est fondamental, c’est de connaître les facteurs de risque, a rappelé le Pr Plu-Bureau. Et au moindre doute, il faut préférer une contraception microprogestative.” À côté des facteurs comme l’âge, le tabagisme, le diabète, l’obésité, les dyslipidémies, les migraines sont un facteur de risque très fréquent (près de 25 % des femmes de 30 à 39 ans) et parfois négligé. Une méta-analyse rassemblant neuf études indique que le fait d’avoir une migraine avec aura, de prendre une pilule estroprogestative et de fumer multiplie par dix le risque d’AVC ischémique (Schurks M. BMJ 2009). C’est une contre-indication absolue à la contraception estroprogestative, au même titre que la migraine sans aura chez une femme de plus de 35 ans. Pour les situations difficiles, il est possible de demander un avis par Internet à l’unité de Port-Royal (Rcp.contraceptiondifficile@cch-aphp.fr). Les dossiers sont examinés une fois par mois en réunion de concertation pluridisciplinaire.

 

Les dernières données de la pharmacovigilance. Entre le 4 et le 31 janvier 2013, période durant laquelle le risque des pilules contraceptives a été fortement médiatisé, 36 nouveaux cas (31 thromboses veineuses et 5 thromboses artérielles), dont 10 étaient survenus il y a plus de trois mois, ainsi que deux décès, survenus en 1999 et 2012, ont été enregistrés dans la base nationale de pharmacovigilance.

La vente des COC de troisième et quatrième génération a diminué d’environ 25 % quand on la compare à la même période de l’année précédente. Cette baisse a été simultanément accompagnée d’une hausse de la vente des COC de deuxième génération (de l’ordre de 16 %).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot