Augmentation des capacités de formation en Pass et en LAS, fin des ECN et nouvelle procédure d’appariement, docteurs juniors, temps de travail… Les dossiers et réformes du premier, deuxième et troisième cycle des études de médecine sont nombreux et la fin d’année s’annonce chargée pour le Pr Didier Samuel. Élu Doyen des doyens en février, le chef de l’unité d’hépatologie et de réanimation hépatique de l’hôpital Paul Brousse (AP-HP) va également avoir à gérer l’épineuse et urgente question de la quatrième année d’internat de médecine générale. Une occasion, selon lui, de revoir entièrement la maquette de la formation pour, pourquoi pas, redonner plus de place aux stages hospitaliers.

 

Egora : Vous avez été élu à la tête de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine en début d’année. Quels sont vos chantiers prioritaires ?

Pr Didier Samuel : Un gros travail sur les réformes. Il ne s’agit pas de les remettre en cause, mais de les améliorer, d’accompagner leur mise en place, notamment celles du premier et deuxième cycle. Sur la réforme du troisième cycle, il faudra aussi avoir une analyse de son fonctionnement et de comment se déroule la phase de Docteur junior. Je pense qu’il faudra particulièrement se concentrer sur les problématiques de changement de spécialité, de droit au remords et sur la longueur du DES*. Sur d’autres aspects plus généraux, il faut repositionner la recherche au sein des facultés, dans les CHU notamment, par rapport aux universités et aux organismes type Inserm et CNRS. Enfin, il y a une attention tout à fait particulière de ma part sur tous les aspects de la qualité de vie pendant les études et au travail. On sent un malaise chez les étudiants, qu’on n’avait pas forcément avant. On doit répondre à leur stress, leur mal-être.

L’idée d’une quatrième année d’internat de médecine générale semble actée par tous, le Président l’a même intégrée dans son programme lors de l’élection. Est-elle envisageable dès la rentrée de septembre, comme le demandent certains ?

Dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle, c’était une mesure très présente, en réponse aux déserts médicaux. Nous constatons de notre côté qu’il y a en effet une sorte de consensus général sur cette quatrième année d’internat. L’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale est aussi d’accord sur le principe, mais elle a insisté sur le fait que cela ne devait pas simplement être une année en plus et qu’il ne devait pas y avoir de coercition. Ce syndicat a aussi demandé à ce que la maquette de DES soit revue. Pour répondre à la question, je suis pour une réévaluation large de la maquette, car plusieurs questions se posent et cela ne mérite pas une décision brutale, sans qu’il y ait une réunion avec les différents acteurs.

 

 

Que faut-il revoir dans la formation des futurs généralistes ?

D’abord, dans la maquette actuelle, on n’a quasiment choisi que des stages en ambulatoire. La question est de savoir si on remet des stages hospitaliers dans le DES de médecine générale, pas uniquement lors de la quatrième année, mais au cours du cursus. D’autre part, on peut envisager des stages en zone sous-dense, mais il faut clairement que cela s’accompagne d’une organisation qui permette aux internes d’être correctement formés, encadrés et accompagnés.

Vous voulez dire qu’il pourrait y avoir moins de stages en ambulatoire ?

Actuellement, il me semble que presque tous les stages se font en ambulatoire alors qu’avant la réforme, les internes en médecine générale étaient beaucoup dans les services hospitaliers comme ceux de médecine interne, de gériatrie voire de pédiatrie. Peut-être que la maquette, telle qu’elle a été conçue, a trop insisté sur les stages en ambulatoire et je pense que cela peut être une bonne chose d’y rajouter un stage à l’hôpital. C’est quelque chose qui doit être réfléchi avec les coordinateurs et les internes.

N’est-ce pas à contre-courant de la politique actuelle, qui vise à inciter le plus possible les internes en médecine générale à s’orienter vers le libéral et s’installer dans les territoires ?

Quand vous parlez de désert médical, vous devez inclure les centres hospitaliers. Certains centres hospitaliers sont dans des zones sous-denses et manquent de médecins. Ce n’est pas forcément en opposition. En tout cas, il me semble logique que la quatrième année d’internat soit étudiée à l’aune d’une refonte au moins partielle de la maquette.

Cette année d’internat supplémentaire est évoquée depuis longtemps, mais la décision tarde à être prise. Pendant ce temps, les internes sont dans le flou…

Nous ne sommes pas décisionnaires. Ce sera le ou la future ministre de la Santé. Je pense que cela fera partie des premiers sujets sur la table.

Les internes doivent être correctement encadrés, dites vous… Mais les organisations syndicales alertent depuis longtemps sur le manque de maîtres de stages universitaires. Quelles garanties peuvent-ils avoir ?

On a beaucoup augmenté le nombre de maîtres de stage universitaires ces dernières années. En complément, il faut former les médecins à devenir MSU car cela peut être enrichissant pour eux. Cela peut réduire leur isolement, par exemple. Dans les zones sous-denses, il faudra peut-être faire également un effort d’attractivité. Je pense aux internes, sur la question du logement et via une rémunération supplémentaire. On ne peut pas leur demander toujours plus, sans reconnaître leurs compétences. En quatrième année d’internat, ils sont à Bac+10, donc on doit les valoriser. Il faut peut-être aussi faire cet effort pour les MSU à travers une prime, afin qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions.

 

 

Un temps favorable à des stages obligatoires dans des zones sous-dotées, Emmanuel Macron semble avoir laissé tomber cette idée… Comment vous positionnez-vous sur cette question ?

On ne peut pas être insensible au fait qu’on doit répondre aux problèmes des déserts médicaux. Les internes et les médecins de manière générale sont une réponse à cela. On doit avoir une certaine régulation de l’installation des jeunes et des médecins sur le territoire, car on ne peut pas avoir tout le monde au même endroit. D’un autre côté, il faut aussi réfléchir avec ce qui existe aujourd’hui : l’exercice coordonné, les maisons de santé et s’appuyer sur les infirmières en pratique avancée, les kinés, etc. J’insiste également sur une chose : les territoires et les élus ont leur rôle à jouer pour que les médecins exercent dans de bonnes conditions. Ils ne pourront pas s’installer à un endroit s’il n’y a pas d’équipements, d’établissements scolaires, de magasins… L’environnement doit être attractif. Il faut tout repenser à l’échelle globale et réfléchir au modèle économique de vie des médecins.

L’un des autres sujets prioritaires de cette année, c’est la réforme du deuxième cycle des études de médecine qui devra être effective à la rentrée 2023. Tous les textes ne sont pas encore sortis et les étudiants s’impatientent…

Bien sûr, mais nous sommes là pour répondre à leurs inquiétudes. Il y a quand même des choses qui sont sorties : nous avons eu l’arrêté d’appariement, qui est essentiel. On connaît les grandes lignes de la réforme, quand auront lieu les EDN, combien ils représenteront dans la note finale du classement avec les Ecos et le parcours. Maintenant, on doit éviter ce qui est arrivé avec la R1C, c’est-à-dire une mise en place précipitée, mal organisée et qui fait exploser les facultés et les étudiants. Un comité de suivi R2C a été mis en place il y a deux semaines, il sera piloté par le doyen de Rouen, Benoît Veber, qui est aussi vice-président de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine et avec lequel je travaille directement. Un comité de pilotage R2C a aussi été instauré sous l’égide du Centre national de gestion, c’est pratiquement le dernier acte des ministres avant l’élection présidentielle. Ils auront pour mission de travailler la procédure d’appariement, car le problème avec les ECN, c’est qu’ils étaient uniquement basés sur les connaissances et pas les compétences. Même si tout le monde n’aura pas son premier vœu, on doit se rapprocher le plus possible des souhaits des étudiants en termes de spécialité et de villes. On doit enfin assurer une simulation de la procédure de vœux pour que les étudiants s’y familiarisent.

Les Ecos facultaires ont déjà été mis en place. Quelles remontées avez-vous eues des facultés de médecine ?

On s’aperçoit que c’est une très grosse organisation au niveau des facultés car cela mobilise des dizaines de personnels médicaux, universitaires, administratifs pour réaliser l’ensemble des stations imposées aux étudiants. C’est aussi un investissement logistique. Cela bloque quasiment la faculté pendant 24 heures. Le retour des étudiants est cependant très positif.

Les EDN et les Ecos qui doivent remplacer les ECN, seront-t-ils vraiment plus “équitables” ? Les étudiants en médecine sont inquiets…

Il est difficile de répondre à cette question. L’un des défauts des ECN, c’était qu’on pouvait devenir médecin même avec 4 de moyenne car la moyenne n’était pas exigée lors de l’épreuve. Le 10.000ème, il a un DES comme les autres même s’il n’a pas la même note que les autres. De plus, l’évaluation était portée uniquement sur les connaissances. Or, pour être un bon médecin, il faut aussi avoir des capacités de synthèse, de réactivité sur des situations cliniques. La mise en situation clinique via les Ecos est quelque chose qui manquait. Cela remet de la médecine pratique dans la formation. Maintenant, est-ce que cela va modifier le classement et l’impact du classement ? Nous devons surveiller cela et réfléchir pour proposer un fonctionnement adapté aux étudiants. Il n’empêche que les étudiants doivent travailler : la médecine ne s’invente pas. On ne devient pas médecin sans apprendre et il faut des connaissances. Notre responsabilité à nous, c’est aussi de former de bons professionnels de santé.

La situation démographique des médecins est critique, cela n’a pas manqué d’être rappelé lors de la campagne présidentielle. Faut-il ouvrir plus de places en Pass et LAS ?

Le nombre de médecins formés a longtemps été insuffisant, mais il y a un correctif depuis plusieurs années. Les facultés ont fait de gros efforts sur leurs capacités d’accueil, certaines ont augmenté le nombre d’admis en médecine de 20% sur les deux-trois dernières années. Faut-il continuer ? Le Premier ministre Jean Castex a répondu “oui” en annonçant la création d’une faculté de médecine à Orléans, pour former 500 étudiants d’ici 2025 entre l’Indre-et-Loire et le Loiret. En revanche, si on veut continuer sur ce rythme, il y a deux choses à régler : les structures des facultés au niveau des salles de cours, des amphis et des TD et puis, il faut avoir suffisamment de terrains stages hospitaliers pour les étudiants. Si on continue à prendre plus d’étudiants en médecine, il faut donc augmenter les moyens donnés aux facultés. Par exemple, dans les facultés, le nombre de chefs de clinique qui sont des hospitalo-universitaires pour une durée de deux à quatre ans, n’a quasiment pas augmenté ces vingt dernières années… Tout ça alors que les promos ont doublé voire triplé sur la période. Cela ne peut pas rester en l’état.

 

 

Allez-vous vous engager sur le temps de travail des internes ?

La qualité de vie des internes au travail fait partie de nos préoccupations. Les internes sont à la fois des étudiants mais aussi des médecins, puisqu’ils prescrivent et font des gardes. Cette dualité est parfois complexe à gérer… Je préfère d’ailleurs le terme de médecin en formation que celui d’interne. Ils doivent donc avoir un temps de travail raisonnable, avec la possibilité d’avoir un repos compensateur après des gardes et l’opportunité de se consacrer à la formation et/ou au travail de recherche. En bref : du temps protégé. Ces trois axes sont importants, même si les internes font partie de la vie hospitalière. Ils sont médecins et ne doivent pas être déconnectés de la vie de l’hôpital.

* DES : diplôme d’études spécialisées.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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