Le calendrier vaccinal 2022 vient d’être rendu public par le ministère. Peu avant sa parution, le Pr Robert Cohen*, pédiatre infectiologue au Centre hospitalier intercommunal de Créteil, expliquait à Egora pourquoi il faut aller au-delà des 11 vaccinations obligatoires actuellement pour les nourrissons. Outre la vaccination contre le méningocoque B, il défend l’intégration au calendrier des vaccins contre les infections à rotavirus et contre la varicelle. Des options qui n’ont pas été retenues.

 

Egora-le Panorama du Médecin : Quelles pourraient être les raisons de porter d’autres vaccins à l’ordre du jour vaccinal ?

Pr Robert Cohen : En préambule, il faut savoir que, contrairement à ce que certains pourraient penser, la France est le pays développé qui a le moins de vaccins inscrits à son calendrier… Ainsi le Royaume-Uni y a déjà intégré les vaccinations contre le méningocoque B, les méningocoques ACYW et le rotavirus ; la Belgique et l’Allemagne, le rotavirus et la varicelle ; l’Italie et l’Espagne, les États-Unis et le Canada, l’ensemble de ces vaccinations. Par ailleurs, tous ces pays obtiennent de bonnes couvertures vaccinales sans que la vaccination soit obligatoire : l’obligation n’est pas un objectif, juste un moyen… Et ces vaccins sont effectivement disponibles : contre le rotavirus presque partout, contre les méningocoques ACYW dans la quasi-totalité des pays, contre le méningocoque B dans plusieurs, et le vaccin contre la varicelle dans plus de la moitié de ces pays.

Sur ce terrain, le Covid remet tout en cause. On a vacciné, en effet, des adolescents pour éviter des décès et des séquelles au final bien moindres que pour d’autres maladies contre lesquelles ils ne sont pas protégés… La mortalité liée au Covid depuis le début de la pandémie ? Moins de 20 enfants concernés, largement moins que les décès d’enfants dus au méningocoque B, au rotavirus (une quinzaine de décès annuels) ou au virus varicelleux (20 par an). Ce critère de la mortalité était primordial pour mettre en avant la vaccination contre la Covid, mais les séjours en réanimation, les hospitalisations doivent aussi compter… Le rotavirus par exemple est à l’origine de 15 000 hospitalisations d’enfants par an en France, la varicelle de 3 000. Les séquelles encore peuvent être très invalidantes, un fardeau pour l’entourage également. Sans compter les 150 000 passages annuels dus au rotavirus aux urgences pédiatriques dans un hôpital à bout de souffle… Toutes ces maladies sont donc au moins aussi importantes pour les enfants directement que le Covid. Et l’idée d’un éventuel bénéfice secondaire de la vaccination -que l’on protège autrui en se vaccinant- a fait long feu avec la circulation du variant Omicron. A contrario, tous les vaccins que je viens de citer et qui pourraient entrer dans notre calendrier vaccinal, excepté celui contre le méningocoque B, ont un très fort effet groupe. La crise Covid a ainsi mis en évidence que des fréquences de mortalité de l’ordre de celles que nous connaissons avec le Sars-CoV-2  justifiaient la vaccination. Mais aussi que l’hospitalisation d’un enfant, a fortiori en soins intensifs, devait être prévenue dans la mesure du possible parce que source de stress post-traumatique (au décours des séjours en réanimation en particulier).

 

Quels seraient les vaccins à intégrer en urgence dans le calendrier français ?

La méningite à méningocoque B est aujourd’hui la plus fréquente des méningites du nourrisson. Le vaccin devrait être recommandé et remboursé dans les semaines qui viennent. Il figurera dans le prochain calendrier vaccinal. Son efficacité est de 80 % et son efficacité en vie réelle parfaite en dépit de son absence d’effet groupe. Autre entrée, celle de la vaccination contre la coqueluche des femmes enceintes, à partir du 2è trimestre/début du 3è. Il suffit d’une injection de rappel pour que les anticorps maternels passent à un taux suffisant pour protéger le nouveau-né lors de ses 3 premiers mois de vie, à un moment où l’on observe les formes les plus graves de la maladie. Nous disposons d’un recul de cette stratégie, efficace à plus de 90 %, de plus de 10 ans aux États-Unis.

 

D’autres vaccins pourraient-ils être recommandés ?

Nous avons connu la plus importante, depuis des années, des épidémies de gastro-entérite cet hiver, un phénomène lié à la dette immunitaire conséquence de la faible circulation des virus du fait des mesures de prévention imposées par le Covid.

Sachant que les gastro-entérites les moins graves sont dues à 20 à 40 % au rotavirus, les formes qui obligent à une hospitalisation à 60 à 80 %, il conviendrait de vacciner très précocement (per os) les nourrissons, à 2-3 mois, parce qu’ils sont les plus susceptibles d’être hospitalisés. Reste la question de son remboursement.

Pour ce qui est de la varicelle, le vaccin (30 ans de recul) peut être proposé lors de la 2è année de vie, quand les enfants ont perdu les anticorps maternels. Deux doses suffisent, à 2 mois d’intervalle. Quant aux méningocoques, l’épidémiologie des méningites a changé depuis que le vaccin anti-méningocoque C a été instauré, avec une augmentation des méningites W, de l’adolescent notamment. Une seule dose est indiquée, vers 11-13 ans.

 

Où en est-on de la vaccination pédiatrique contre le Covid ?

Pour le Pr Cohen, « les données évoluent si vite… La vaccination de l’adolescent a été rendue quasiment obligatoire du fait du pass sanitaire fin octobre/début novembre pour une protection individuelle et collective, à un moment où les variants alpha puis delta du Sars-CoV-2 étaient prédominants. Quand il a fallu décider de l’intérêt d’une vaccination des enfants en France, une fois obtenues fin décembre les données à large échelle de la tolérance des vaccins dans cette population en provenance des États-Unis, Omicron occupait l’espace : l’infection s’est révélée moins grave qu’attendue et le vaccin moins efficace. Dorénavant, les adultes les mieux protégés sont ceux qui ont été vaccinés (la vaccination leur évitant les formes graves) et ont attrapé Omicron : ils disposent alors d’un répertoire immunitaire plus large. Omicron seul confère une immunité probablement modeste et transitoire, avec des anticorps qui ne neutralisent d’ailleurs pas les virus précédents.

Sur cette base (documentée par une récente étude publiée dans le NEJM**), nous plaidons pour une vaccination pédiatrique raisonnée, sans urgence (comme pour l’hépatite B), pour accroître le gain immunitaire. Les mesures barrières sont certes très utiles, mais elles n’immunisent pas une population qui peut l’être par la vaccination associée à la maladie naturelle (à condition que celle-ci n’ait pas un coût trop élevé !) ».

** N Engl J Med 2022; 386:1288-1290 (31 mars 2022)

 

[D’après un entretien avec le Pr Robert Cohen*, pédiatre infectiologue au Centre hospitalier Intercommunal de Créteil (CIC).
Le Pr Robert Cohen déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour : GSK, MSD, PFIZER, SANOFI.]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Brigitte Blond

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