La douleur oculaire est un symptôme fréquent dont les étiologies sont très variables allant de la conjonctivite à certaines maladies chroniques. Elle est parfois très invalidante pour le patient.

 

Microscopie confocale, IRM fonctionnelle et empreintes conjonctivales sont utilisées à l’Institut de la vision de Paris pour élucider les mécanismes impliqués dans les douleurs oculaires chroniques et trouver des traitements.

Fréquente, la douleur oculaire est d’intensité variable et a des causes très variables : conjonctivites, kératites, traumatismes, maladies chroniques à retentissement oculaire. Même lorsque les symptômes sont peu intenses, la qualité de vie est souvent altérée en cas de chronicisation, explique le Pr Christophe Baudouin, ophtalmologiste chef de service au centre hospitalier national des 15-20 à Paris. Ces douleurs oculaires s’associent en général à des lésions inflammatoires et neurosensorielles. L’étiologie la plus fréquente en est la sécheresse oculaire, « qui concerne 5% à 35 % des plus de 50 ans, et se manifeste par des symptômes divers en dehors de la douleur : irritation, sensation de corps étranger, photophobie », explique Annabelle Réaux-Le Goazigo, docteur en biologie, chercheuse Inserm, qui mène des recherches avec le Pr Baudouin à l’Institut de la Vision et à l’hôpital ophtalmologique des 15-20 sur les mécanismes de la douleur et de la sécheresse oculaires.

Des facteurs en rapport avec la survenue de la ménopause chez les femmes, la pollution, le travail sur écran, le port de lentilles de contact peuvent favoriser cette sécheresse oculaire. « La production de larmes, qui ont un rôle essentiel dans la lubrification et la protection de la surface oculaire, peut être insuffisante (sécheresse aqueuse) ou leur qualité être mauvaise avec défaut de la composante lipidique des larmes (sécheresse évaporative) », complète Annabelle Réaux-Le Goazigo. Certains conservateurs comme le chlorure de benzalkonium contenus dans les traitements locaux du glaucome, peuvent aussi être source de douleur oculaire chronique car ils lèsent les nerfs cornéens. « Or, la cornée est le territoire le plus innervé de l’organisme », insiste Annabelle Réaux-Le Goazigo. Dans d’autres cas, des affections comme un syndrome de Gougerot-Sjögren, une polyarthrite rhumatoïde, une fibromyalgie se traduisent par une douleur oculaire.

 

 

Des douleurs parfois neuropathiques

« Environ 20 % des douleurs oculaires sont d’origine neuropathique », mentionne le Pr Baudouin. La douleur peut exister alors que sa source a disparu comme pour les « membres fantômes » après amputation, la sensation peut être interprétée comme hyperalgique alors que le stimulus sensoriel est de faible intensité. Les travaux entrepris par l’équipe du Pr Baudouin ont mis en évidence la responsabilité du ganglion trigéminé dans ces phénomènes. Les neurones trigéminés ont, en effet, la particularité d’avoir un axone se projetant vers le tronc cérébral et un autre vers la cornée. Une fois que la source douloureuse locale au niveau de la cornée a disparu, le message douloureux peut donc continuer à être transmis en amont vers le cerveau. Une étude va être menée à l’hôpital des 15-20 pour analyser, grâce à l’IRM fonctionnelle, les modifications des structures cérébrales chez des patients souffrant de douleurs oculaires réfractaires de différentes origines : syndrome sec ou de Gougerot-Sjögren, dysfonctionnement des glandes de Meibomius produisant le film lacrymal, suites de chirurgie réfractive… Les patients seront comparés à des sujets volontaires sains. Cependant, les chercheurs savent déjà qu’il existe une somatotopie et que le message douloureux nociceptif est transmis du ganglion trigéminé au tronc cérébral, au thalamus, puis au cortex somato-sensoriel, précise Annabelle Réaux-Le-Goazigo. Chez l’animal, la douleur oculaire chronique induit des modifications cérébrales. L’équipe parisienne utilise aussi la microscopie confocale in vivo pour analyser la cornée douloureuse et détecter des anomalies des nerfs cornéens, de l’endothélium, rechercher la présence de cellules inflammatoires. Ce qui lui a permis de vérifier que souvent, il n’existe pas de lésion cornéenne de type kératite alors que les nerfs présentent des anomalies morphologiques, et que l’on a donc affaire à une douleur oculaire neuropathique.

Les chercheurs de l’Institut de la Vision tentent aussi d’identifier des biomarqueurs par l’analyse « d’empreintes conjonctivales » pour caractériser la douleur. La technique consiste à poser une sorte de papier filtre sur la conjonctive des patients puis à analyser le contenu en lipides, et l’expression des protéines et des gènes des cellules recueillies, « afin de dresser une sorte de carte d’identité des lésions ». Cet outil permet aussi de tester l’efficacité de médicaments existants ou en développement. Ce qui est important, car l’arsenal thérapeutique reste très limité dans les douleurs oculaires chroniques. Certains agonistes opioïdes administrés en topique ont démontré une certaine efficacité sur la douleur oculaire dans des modèles expérimentaux.

 

 

Une prise en charge à améliorer

La douleur oculaire est souvent mal prise en compte en pratique clinique. Le traitement de première intention repose sur les larmes artificielles, les antihistaminiques en cas d’allergie, les corticoïdes locaux, la ciclosporine topique en gouttes, qui peut être efficace. En cas de non résolution rapide, le Pr Baudouin conseille d’adresser rapidement le patient à un ophtalmologiste. « Toutefois, indique-t-il, le médecin traitant ne devra pas hésiter à reprendre la main si le patient conserve après consultation ophtalmologique des douleurs oculaires chroniques, et à l’adresser dans un centre spécialisé dans la prise en charge de la douleur. » Il devra aussi penser à la possibilité d’un retentissement oculaire dans des maladies chroniques comme le syndrome de Gougerot-Sjögren. Aux 15-20, a été instaurée la seule consultation multidisciplinaire existant en France pour prise en charge des douleurs oculaires chroniques. Elle rassemble ophtalmologistes, anesthésistes, neuroradiologues, psychologue, pour trouver les meilleurs moyens thérapeutiques. Ce qui n’est pas toujours aisé. En effet, les douleurs neuropathiques oculaires se traitent, comme les autres douleurs neuropathiques, par des anti-épileptiques, et anti-dépresseurs, parfois mal tolérés en raison de leurs effets secondaires. « Aux États-Unis, où on utilise beaucoup la gabapentine, les médecins considèrent qu’environ la moitié des patients y sont réceptifs », indique Annabelle Réaux-Le-Goazigo. « Il faudra rechercher la présence d’un état dépressif, qui a pu être favorisé par la persistance des douleurs », rappelle le Pr Baudouin.

 

[D’après un entretien avec le Pr Christophe Baudouin et le Dr Annabelle Réaux-Le Goazigo (Paris).
Le Pr Christophe Baudouin et le Dr Annabelle Réaux-Le Goazigo, déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Corinne Tutin

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