Mise en œuvre à partir de la rentrée prochaine, la réforme des ECN inquiète les étudiants en médecine français partis étudier dans des facultés étrangères. Alors que le fonctionnement n’est pas encore officiellement acté par les textes de loi, certains carabins et leurs parents tentent d’alerter sur le risque, pour tous les expatriés, de ne pas pouvoir revenir faire l’internat en France. Si les jeunes sur place n’ont pas encore tous pris la mesure ou n’ont pas entendu parler de ce changement qui interviendra après leur cinquième année de médecine, le père d’une étudiante de Cluj (Roumanie) qui a mis fin à ses jours en 2015 se bat pour faire entendre leur voix. Il appelle à ne pas les oublier, en alertant sur les risques psycho-sociaux qu’une telle décision pourrait engendrer.

 

C’est une réforme qui bouscule les codes des études de médecine. A partir de la rentrée 2021, la réforme du deuxième cycle des études de médecine (R2C) mettra fin aux redoutées épreuves classantes nationales informatisées (ECNi) au profit de deux nouvelles épreuves : des examens dématérialisés nationaux (EDN) en septembre de la sixième année qui seront relativement similaires au modèle actuel, avec une note minimale à atteindre en plus ; et puis, des Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos) en mai, une sorte d’examen pratique sur des situations réelles rencontrées par les carabins sur le terrain. Des changements de modalités d’évaluation qui impliquent donc une modification dans l’attribution des spécialités. Les carabins disposeront, en effet, de 44 classements, un par spécialité, et un “matching” informatisé réalisera une attribution automatique, en fonction des voeux des candidats.

A quatre mois de sa mise en œuvre officielle, après avoir été repoussée à deux reprises, tous les détails de la R2C ne sont pourtant pas encore officiellement actés. Et si la réforme inquiète les carabins français, elle ronge plus encore tous les Français partis faire leurs premières années de médecine et leur externat à l’étranger, en Roumanie notamment. Car contrairement aux ECNi actuels, les étudiants, pour pouvoir candidater à des vœux de spécialités, devront obtenir la note minimale de 14/20 à l’épreuve des EDN qui aura lieu au tout début de l’année. En cas d’échec, que se passera-t-il ? Pour l’instant, la réponse est encore floue, même si l’Association nationale des étudiants en médecine de France évoque une possibilité de rattrapage au mois de janvier. Au-delà de cette note minimale, à l’heure actuelle, rien ne garantit non plus que les étudiants étrangers pourront faire leurs examens en France, en septembre et en mai, et donc revenir faire leur internat dans les hôpitaux français. Une situation les contraignant donc de rester au moins trois à quatre années supplémentaires loin de chez eux.

 

 

Depuis plusieurs mois, dans l’ombre du ministère et de la Conférence des doyens, Rémi Baudin se bat pour tenter de trouver des réponses à toutes les questions que se posent les carabins à l’étranger et les inclure dans les négociations de la réforme, faute de communication officielle de la part des ministères de tutelle. En 2015, sa fille Margaux a mis fin à ses jours alors qu’elle était en cinquième année de médecine à Cluj, en Roumanie. Depuis, à 65 ans, il écume les groupes d’étudiants en médecine français sur place sur les réseaux sociaux pour tenter de répondre à leurs appréhensions, leurs questions, voire leur détresse. “Je regrette qu’on les laisse se débrouiller et qu’il n’y ait aucune communication ni information. C’est très anxiogène. C’est comme s’ils n’existaient pas aux yeux de la France”, dénonce-t-il. Pour lui, au-delà même de la question de la note minimale qui concerne finalement tous les candidats à l’internat en France, c’est la question de la faisabilité de leur participation aux EDN et aux Ecos qui se pose. “Est ce que les étudiants étrangers seront acceptés à ce genre de concours ? Et est ce qu’ils pourront le faire ?”, interroge-t-il tristement. Et puis, le cas échéant, quid de leur préparation ? “Chaque étudiant doit déjà payer la faculté de Roumanie pour pouvoir faire des exercices en ligne de préparation aux ECNi avec ce modèle. Sauf que maintenant, il faudra payer les EDN et Ecos. Déjà que l’année doit être à 7.500 euros… Ça risque d’être impossible pour beaucoup.” Il assure que les parents aussi lui écrivent régulièrement, inquiets du futur de leurs enfants.

Disponible tôt le matin et tard le soir, Rémi Baudin ne ménage pas ses efforts pour soutenir les futurs médecins, avec qui il échange constamment. “Le problème, c’est que les Français partis en Roumanie vont se retrouver bloqués parce qu’ils ne savent pas ce qui les attend. Aujourd’hui, des étudiants partent étudier là-bas, en se basant sur ce qui existe aujourd’hui avec l’ECNi. Un jeune de 18 ans ne va pas penser aux EDN et aux Ecos. Beaucoup d’étudiants en première ou deuxième année y sont et sont très bien… Parce qu’ils n’ont pas encore saisi. Ils n’ont pas saisi qu’ils ne pourront probablement faire leur internat en France, contrairement à ce qu’on leur a promis”, s’alarme-t-il.

 

 

Inégalités des chances

A Iasi, en Roumanie, Léa*, 22 ans, ne cache justement pas son inquiétude. “Je ne sais pas comment ça va se passer, si on aura les Ecos, les EDN en France. Ce qui m’inquiète, c’est que c’est complètement flou”, raconte d’abord cette Française originaire de Nancy, qui avait obtenu pharmacie en France mais a décidé de partir à l’étranger pour réaliser son rêve de devenir médecin. “Je sais que plein de gens autour de moi ici renoncent à aller en France parce que c’est très compliqué. Déjà qu’il y a des rumeurs qui disent que les classements des Roumains sont moins bons que les Français. Ça nous démoralise, parce qu’on se dit qu’on est partis pour rien et qu’en France, on ne sera pas accueillis comme il se doit, qu’on sera laissés sur la touche.” Étudiant à Cluj, à l’ouest de la Roumanie, Benjamin, en troisième année, s’inquiète, lui, des différences de programme. “On risque de passer des matières aux EDN en France qu’on n’aura pas encore vues dans notre cursus roumain, car nous voyons par exemple les modules de gynécologie ou de médecine d’urgence en sixième année”, explique ce carabin de 23 ans, qui s’inquiète de ne pas pouvoir revenir faire son internat en France. “On nous a dit que le programme allait être fourni à nos facs pour qu’on puisse s’entraîner en vue du concours, mais pour l’instant, je n’ai pas l’impression que ça va être fait”, détaille encore le jeune homme.

Pour lui, comme pour Léa, la question de l’inégalité des chances se pose entre les étudiants de France et ceux de Roumanie. La réforme les contraint à travailler seuls leur programme, contrairement aux Français qui pourront échanger avec des professeurs. Une charge de travail qui s’ajoute à leur année roumaine à valider. Conscient que rien ne l’obligeait à partir en Roumanie, Benjamin, qui souhaite devenir médecin généraliste, considère toutefois qu’il serait “aberrant” de ne pas leur permettre de revenir alors que la France manque de médecins. “Après 6 ans d’études, on nous ferme la porte”, estime-t-il, confiant que la “débrouille” pour aller à “la pêche aux informations” lui pèse et que ce qui les attend est loin de correspondre à ce qui leur avait été garanti.

La charge de travail qui attend ces étudiants français en Roumanie, qui souhaitent par-dessus tout rentrer en France après l’externat, inquiète particulièrement Rémi Baudin. “En Roumanie, ils auront leurs examens facultaires. En plus, ils devront réviser les EDN et les Ecos par eux-mêmes… Ça ne peut pas le faire. Les facultés là-bas vont dire ‘attendez, vous faites vos études en Roumanie, si c’était pour faire les études françaises, il fallait rester en France.” Mais il regrette aussi l’attitude parfois “commerciale” des universités roumaines. “Les articles sont nombreux sur Internet de la part d’organismes qui vendent la Roumanie aux étudiants français en leur disant : ‘venez ici, vous pourrez retourner en France exercer d’une manière tout à fait légale’. En soit, c’est vrai, car les diplômes sont acceptés en Europe. Mais là, ils ont oublié que l’internat, c’était quatre ans de plus à passer là-bas. Six ans, puis quatre ans, ça change beaucoup pour les jeunes”, rappelle-t-il.

 

 

Risques psycho-sociaux

Pour se battre et faire valoir leurs droits, Rémi Baudin fait cavalier seul. Aucune réponse ne lui a été apportée du côté du ministère, qu’il a sollicité. Et les étudiants, sur place, ne semblent pas tous avoir saisi l’ampleur du problème. “La plupart ne sont pas encore au fait de ce changement, ça va arriver dans deux ans. Quand ils vont arriver en cinquième année, c’est là que le taux d’anxiété va ressurgir. Ils vont se dire qu’ils arrivent à la sixième année et qu’ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent”, dit-il. Un autre problème sur lequel il essaie d’agir : les étudiants roumains ne se sont pas regroupés, pour faire entendre leur voix. “Il existe deux grandes facultés roumaines, qui se mettent en compétition l’une avec l’autre. Il n’y a donc pas d’alliance entre les différents étudiants pour avoir une voix qui compte. Il n’y a pas d’action. Ils n’ont aucune personne représentante à la Conférence des doyens, donc pas de voix. On ne les connaît pas. Ils sont livrés à eux-mêmes”, prévient-il.

Pour lui, il faut ainsi “tendre la main aux étudiants roumains”. “Leur tendre la main, c’est les inclure dans les processus au niveau des doyens des des ministères”, précise-t-il. Rémi Baudin est aussi particulièrement vigilant aux répercussions psychologiques sur des étudiants qui pourraient se retrouver fragilisés du fait de se retrouver coincés quatre années supplémentaires à l’étranger, dans une langue qui n’est pas la leur, et de subir leur quotidien. “C’est pour cette raison que je sonne l’alerte. Ça peut passer inaperçu pour l’instant pour eux mais dans deux, trois ans ça va être un gros problème, je le vois et le sens et je ne voudrais pas que ça dégénère…”, lâche-il, avant de conclure : “La France ne doit pas oublier qu’elle a des enfants à elle là-bas, ailleurs. Elle ne doit pas leur tourner le dos.”

 

* Le prénom a été modifié.

 

Sur le terrain, les associations étudiantes se mobilisent pour les carabins

L’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) tient à préciser que les étudiants en médecine à l’étranger pourront bien intégrer le troisième cycle des études de médecine après avoir effectué les examens d’entrée, les EDN et les Ecos. Du fait de la réforme, ces derniers auront, au total, six chances pour valider la note minimale de 14/20 aux connaissances de rang A des EDN, qui se dérouleront en octobre. A l’heure actuelle, ils ne disposent que d’une seule tentative. Selon l’Anemf, ce seuil de 14/20 a été imposé à tous les étudiants pour éviter que des carabins qui n’auraient pas le niveau nécessaire pour la suite des études, débutent leur internat. Cela permet ainsi d’éviter, pour l’organisation étudiante, la mise en danger de patients par manque de connaissances ou de difficultés linguistiques, ainsi que leur mal-être.
De même, en Roumanie, l’association représentant les étudiants francophones de Cluj, indique être en contact avec l’ambassade sur ce sujet, l’ambassade étant elle-même en relation avec les différents ministères ; ainsi qu’avec la conférence des Doyens. Des pôles d’orientation ont été mis en place localement afin d’aider les jeunes étudiants en médecine à s’orienter pour leur internat. L’association appelle à ne pas oublier les étudiants sur place, mais se veut rassurante quant à la situation des carabins sur place, pris en charge dans le cadre de cette réforme du deuxième cycle des études de médecine.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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