Tandis que les professionnels libéraux peinent de plus en plus à écouler les doses de vaccins AstraZeneca et risquent d’être confrontés aux mêmes difficultés avec le vaccin Janssen, les vaccinodromes, bien dotés en vaccins à ARNm, affichent leurs performances dans les médias. Mais alors que les doses manquent encore, les centres de vaccination ambulatoires risquent eux-aussi d’être sacrifiés sur l’autel de la communication politique, déplore le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. “C’est injuste et méprisant pour ces professionnels qui s’investissent depuis janvier.”

 

Les professionnels de ville débutent la vaccination avec Janssen. Craignez-vous un scenario à la AstraZeneca ? Que les médecins peinent à trouver des volontaires ?

On risque d’être confrontés aux mêmes réticences avec le Janssen qu’avec le AstraZeneca. Mais avec un gros avantage avec ce vaccin, sur le plan organisationnel : il n’y a pas de rappel à planifier. Avec AstraZeneca, on a des rappels à 12 semaines et c’est un frein supplémentaire. Car les primo injections que l’on fait actuellement nous amènent à des rappels à partir de la semaine du 14 juillet, en plein dans les congés d’été. Certains professionnels seront absents, et ceux qui ne le seront pas auront beaucoup plus de travail. On a aussi plein de patients qui nous disent : “Non, je ne pourrai pas être là pour le rappel”.

C’est un frein important que nous avons évoqué avec le ministère. C’est aussi la raison pour laquelle les autorités lancent des campagnes de vaccination en direction de populations cibles, pour écouler les stocks. C’est un semi-échec.

 

Que pouvez-vous dire à ces médecins généralistes découragés par tous ces aléas de la vaccination avec AstraZeneca et qui sont tentés de jeter l’éponge ?

C’est multifactoriel. Au départ, tous les professionnels avaient envie de vacciner la population car ils savent que c’est le moyen de sortir de cette crise sanitaire. Après avoir ramé, au début, avec l’AstraZeneca, très vite il y a eu une adhésion des gens, on avait moins de mal à convaincre. Là-dessus est arrivée la suspension… Depuis, c’est un travail de malade. Les téléconsultations d’éligibilité, que l’on fait beaucoup sur certains territoires, sont très longues pour arriver à convaincre les gens. Et quand on le fait à la fin d’une consultation classique, le temps passé par patient est parfois doublé. Il faut arriver à les persuader en leur expliquant qu’il y a des risques minimes, comme avec tous les vaccins. Et que quand on prescrit la pilule à une femme qui fume, par exemple, le risque de thrombose est multiplié par 10 par rapport à celui de l’AstraZeneca. Pour les voyages en avion de longue durée, le risque est multiplié par 50.

Sans compter les livraisons qui n’ont pas eu lieu et les rendez-vous que l’on a dû reporter. Ou qui ont été annulés par les patients. Il a fallu rappeler d’autres patients pour ne pas jeter les doses, et c’est un travail administratif important, tout comme planifier les rappels.

Sur certains territoires, médecins, infirmiers et pharmaciens se sont organisés différemment : ils ont mis en commun les doses pour vacciner en centre de vaccination, avec prise de rendez-vous sur une des plateformes nationales, ce qui permet aux patients de voir immédiatement la date du rappel. Les professionnels de santé sont alors déchargés de toutes les tâches administratives : il ne reste plus qu’à convaincre les patients éligibles, en tenant tous le même discours face à eux.

Après, il est vrai que l’annonce d’une ouverture des vaccins à ARNm à tous les plus de 60 ans au 15 avril et au plus de 50 ans au 15 mai ne nous a pas facilité les choses. On a vu revenir des patients à qui l’on avait fait des certificats d’éligibilité au vaccin AstraZeneca pour demander un changement en faveur d’un vaccin ARN. C’est infernal…

Il n’y a plus qu’à attendre qu’on arrive à un taux satisfaisant de personnes de plus de 55 ans vaccinées. C’est aussi pourquoi la ministre de l’Industrie a annoncé qu’on ne recommandera pas de vaccins AstraZeneca, ce dernier n’était pas indiqué pour les moins de 55 ans. D’autant que dans les semaines à venir, les livraisons de vaccins ARN seront importantes. Mais pour remplir les objectifs, il va tout de même falloir utiliser tous les vaccins disponibles dont les vaccins AstraZeneca et Janssen.

 

A Dijon, du fait du manque de doses de vaccins ARN par rapport à ce qui était prévu initialement en mai, les quatre centres de vaccination de l’agglomération vont fermer leurs portes pour que le vaccinodrome puisse commencer à fonctionner à plein régime. Déplorez-vous cette situation ? Risque-t-elle de se produire ailleurs en France ?

Il y a Dijon, il y a Toulouse… Encore une fois, la stratégie de vaccination se transforme en stratégie de communication. Dans les médias, avec les vaccinodromes notamment, on a l’impression qu’on va vacciner en un mois toute la population française. Or, aujourd’hui, il n’y aucun stock de vaccins ARNm. Pour le vaccin Pfizer, plus de 90% des doses reçues sont injectées dans la semaine qui suit. On voit bien qu’on ne manque pas de bras pour vacciner, mais qu’on manque toujours de vaccins. Ces vaccinodromes, c’est de l’affichage politique. De la part des élus locaux, cela peut se comprendre… Mais je ne comprends pas que l’Etat, c’est-à-dire les préfectures et les ARS, fassent le jeu de ces vaccinodromes, qui ont un coût de fonctionnement très élevé, au détriment des centres de vaccination ambulatoires qui sont au plus près de la population et qui ont montré leur efficacité depuis le mois de janvier. C’est vécu de façon très injuste et méprisante de la part des professionnels de santé qui s’investissent. C’est un très mauvais calcul. Et en plus de cela, ces vaccinodromes sont dans la facilité : ils ne vaccinent qu’avec de l’ARNm. Le boulot difficile, on le réserve aux professionnels libéraux.

Ces vaccinodromes ont été montés par des sociétés de l’événementiel, qui sont au chômage depuis plus qu’un an, et qui depuis le mois de décembre, harcèlent l’Elysée et les grandes métropoles pour pouvoir s’investir dans la campagne de vaccination.

 

Vous dites l’écœurement des professionnels qui se voient ainsi écartés…

Cela va au-delà de la vaccination. Ces médecins, ces infirmiers, ces pharmaciens se sont organisés à l’échelle d’un territoire pour répondre aux besoins de santé de la population. Avec la vaccination, ils ont acquis un vrai savoir-faire. Gérer les stocks, les plannings… C’est une petite entreprise. Et du jour au lendemain, ces centres sont fermés et on leur dit que l’Armée et les pompiers prennent le relais à un coût exorbitant. C’est injuste et méprisant. Je comprends la colère de ces professionnels, qui rendaient service à la population.

On voit aussi d’autres genres de pressions dans les territoires. Des préfets et des ARS qui cèdent aux pressions politiques et attribuent toutes les nouvelles doses à un centre plutôt qu’aux autres… Cela entraîne une grande inéquité territoriale de l’accès à la vaccination.

Dans beaucoup de départements, les préfets ont pris la main. Certains ont travaillé avec les centres de vaccination pour savoir si ces derniers seraient en capacité de multiplier par deux, trois, voire quatre leur capacité vaccinale, y compris lors de la période estivale. Dans l’immense majorité des cas, ils le sont et sont prêts à s’organiser pour les vacances d’été. Très clairement, on ne va pas manquer de bras. Donc ces vaccinodromes, très souvent, ne correspondent pas à des besoins. Le Gouvernement veut faire penser qu’on vaccine de plus en plus alors qu’en fait, on n’a pas plus de doses. C’est une stratégie de communication, à un an de l’élection présidentielle.