Trop de patients, trop peu de reconnaissance. Faute d’avoir su poser les “limites”, Elendir s’est résolu à déplaquer, à peine quatre ans après son installation, pour préserver sa santé mentale et sa vie de famille. Son témoignage, publié la semaine dernière sur Egora.fr, vous a beaucoup touchés, suscitant chez bon nombre de libéraux un questionnement existentiel sur la place de la médecine dans leur vie.

 

“Bravo, cher confrère, d’avoir osé écrire et dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, mais sans jamais oser faire le pas.” L’histoire d’Elendir, généraliste installé en milieu rural il y a près de quatre ans, ne vous a pas laissés indifférents. Par amour de la médecine, porté par ses idéaux, ce jeune généraliste a tout donné à son métier… jusqu’à perdre pied. Pour ne pas sacrifier son couple et sa vie de famille, il a pris la décision de fermer son cabinet en juin prochain. Une décision “courageuse” pour bon nombre de lecteurs d’Egora.fr, qui se sont reconnus dans cette histoire. Involontairement ou pas, vous êtes nombreux à avoir fait primer votre métier sur votre vie de famille, vos loisirs, votre santé. Un choix assumé pour certains, regretté pour d’autres. Voici une sélection de vos commentaires.

 

“J’ai divorcé, j’ai dû entendre mes enfants témoigner de mon absence”

Par Jacques _H

“Retraité depuis janvier après 43 années d’installation, j’ai assuré une vie durant ce que vous n’avez vécu que quelques années. La description est bonne et sincère. Mais moi en sus j’ai divorcé, raté beaucoup de bons moments familiaux, j’ai dû entendre mes enfants témoigner de mon absence pendant leur jeunesse, me résoudre à laminer mes passions par manque de temps, perdre des amis par excès d’occupation professionnelle… Ma vie a été remplie par mon métier ! Les patients ont été en majorité adorables à mon départ mais voilà c’est fini…
Alors bien joué d’avoir tout changé avant le désastre et bonne carrière en prenant le temps de tout vivre métier et vie privée.”

 

“Je crois que je suis un drogué”

Par Pipa

“Bravo, cher confrère, d’avoir osé l’ècrire et dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, mais sans jamais oser faire le pas.
J’ai vécu plus de 40 années sans voir le jour, avec des vacances entrecoupées de nombreux coups de tel, parfois raccourcies et sans jamais m’occuper de moi. Et de ma vie privèe.
J’ai le double sentiment d’avoir essayé d’aider une clientèle très sympatique qui devient notre nouvelle famille, et d’un autre coté de ne pas avoir fait suffisament pour ma famille.
Malgré cela, j’ai eu toutes les difficultés à quitter ma clientèle, à déplaquer, comme si je perdais quelque chose de moi. J’ai repris partiellement et bènèvollement malgré de gros soucis cardiologiques qui m’avaient obligé à interrompre, car j’ai toujours l’impression de ne pas pouvoir abandonner ce pourquoi je me suis donné toute ma vie. Je crois que je suis un drogué.
Que faire ? C’est cornélien, mais malgré les 15 à 17 heures de travail journalierès en continu, je pense avoir été un homme heureux. Egoiste ? Prétentieux? On ne saura pas… C’est pourtant la vie menée par les anciennes générations. Alors, des dinosaures? Des inconscients ? Des stupides? Ou simplement des médecins?
Chacun fait de son mieux en fonction de sa conscience et de son choix de vie. Bravo à tous mes confréres. Continuez car c’est un beau métier ou une belle passion.”

 

“Je me suis juré de prioriser ma compagne et mes futurs enfants”

Par Palpou

“Ok message reçu.
Je suis médecin adjoint en attente de passation de thèse, je travaille pour l’instant très tranquillement de 9h30 à 17h30 (10h le lundi) avec pause déjeuner de 12 à 14h avec des créneaux de consultation de 30 minutes car tout le monde est nouveau.
Je vois donc péniblement 12 rdv par jour et 1 à 3 visites presque tous les soirs. J’utilise beaucoup de cotations pour optimiser mes revenus.
On a une sage-femme pour tous les actes gynéco, je peux éventuellement faire des petites chirurgies mais sinon je ne fais pas grand chose de très poussé (pas même les infiltrations…), j’ai un carnet de spécialistes bien fourni et dont les patients sont contents.
Je prends également 1 semaine de congé par mois pour rejoindre ma compagne à l’autre bout de la France, à mi chemin de son internat de spécialité.
Faire des demi journées de vaccination en centre et quelques gardes en maison médicale de garde sans travailler l’après midi précédent ni le matin suivant me donnent déjà l’impression de souffler et m’apportent le double voire le quadruple de revenus (quoique plus stressant en garde).
Je suis dans un désert médical, les patients râlent sur ma semaine d’absence mensuelle mais comprennent, d’autant plus quand je leur explique que je vis officiellement avec ma compagne à l’autre bout de la France et que je viens les dépanner.
Je suis très tenté d’augmenter mon rythme de travail sans forcément limiter mon nombre total de patients, bien sûr passer aux créneaux de 15 minutes, mais je crois que le témoignage d’Elendir m’a refait passer une douche froide.
Mon père est généraliste également, d’un autre temps, qu’on peut déranger à toute heure du jour et de la nuit en frappant la porte de la maison. Bien qu’il soit un médecin extra, je me suis juré quant à moi de prioriser ma compagne et mes futurs enfants.
Le salariat est une alternative mais j’aimerais pouvoir comparer ma situation en libéral et en salariat. Si ma compagne devient spécialiste, on pourrait avoir à nous deux des revenus suffisamment décents pour travailler par plaisir. Je pense préférer le libéral mais en ne travaillant pas “beaucoup” pour ne pas m’épuiser.
Merci pour ce témoignage Elendir.”

 

Est-ce que travailler en liberal, c’est tout accepter?

Par Francoise_L_4

“Merci d’avoir si bien expliqué ce que j’ai également ressenti cher confrère…
Est-ce que travailler en liberal, c’est tout accepter ? Accepter de n’avoir aucun temps pour soi… même pour se soigner ? Accepter de ne pas prendre soin de soi-même quand nous passons nos journées à dire aux patients de le faire… ne serait-ce qu’un peu d’exercice physique parce que non… nous n’avons pas 1/2h de libre par jour pour le faire… parce que le soir pour nous c’est paperasse coups de telephone aux patients metro repas dodo… parce que quand même la famille devient fantôme alors que nous vivons ensemble nous sommes deja en burn out… les reflexions malsaines de certains patients nous touchent alors au plus vif… à ce moment la nous ne parvenons plus a nous protéger… et elles sont le reflet de la violence sournoise qui ronge notre société… nous devenons leur punching ball…
Je suis dejà passée par là et y suis actuellement… pour les memes raisons… vous avez fait le bon choix… salarié = 35h par semaine actualisées… “droit” aux arrets maladie… “droit” à consulter un medecin du travail… nous qui prenons soins de nos patients en misère psychologique d’origine professionnelle sans y avoir droit nous mêmes…”droit” à des conges payés, etc.
Il est fini le temps du sacerdoce… parce que la société a changé et… l’Etat providence est passé par là.”

 

“S’installer seul en rural est suicidaire”

Par Dr Hubert Moser

“On peut conseiller à ce jeune confrère de ne ne pas refaire la même erreur. S’installer seul en rural est suicidaire et inadapté au fonctionnement d’un cabinet sans débordement outrancier sur la vie personnelle.
J’ai 58 ans, 3 bientôt 4 associés tous trentenaires, tous anciens internes, nous partageons les bons moments et les galères et c’est indispensable.
Nos générations en ont probablement trop fait mais il ne faut tomber non plus dans l’excès inverse : celui de penser que notre métier est un métier comme les autres : c’est faux, notre relation avec le patient ne s’arrête pas à la fermeture du cabinet.
Une communauté de confrères restreinte dans un cabinet et large pour la permanence des soins est essentielle à l’équilibre de chacun d’entre nous, c’est vrai pour tous les types d’exercice mais c’est encore plus important pour l’installation en rural.
Conseillons donc à nos jeunes confrères de réfléchir à ces principes plutôt que d’aboutir à des psychodrames comme celui-là.
Donc ni félicitationsn, ni condamnation : juste une sensation de gâchis.
Le compagnonnage ne doit pas s’arrêter au stage prat, il doit se poursuivre lors des premières années d’installation et ce n’est vrai que dans une installation de groupe qui doit utilement mélanger les générations avec un objectif commun.
Notre porte est ouverte pour tous ceux qui doutent encore de ce modèle réaliste et fonctionnel.”

 

“Je ne vois aucun avenir à la médecine générale libérale”

Par Frp

“Installé depuis douze ans, je suis de la génération du numerus à 3500 et j’avais fait le pari avec d’autres amis (enfants de MG, eux) que le modèle changerait (la situation nous semblait déjà intenable)! Ils ont tous choisi une spécialité mais moi j’avais choisi médecine pour faire du premier recours, MG ou pédiatrie…

Aujourd’hui, rien n’a évolué si ce n’est la situation démographique intenable et le sentiment de faire de l’abattage pour une CS de misère! Je vois un patient toutes les 20 minutes et j’ai déjà l’impression de faire les “vraies” choses à moitié ! Alors que la consultation spé de base est entre 60-80 euros en en voyant 20 dans l’après-midi ! Même au niveau financier, c’est pas évident, nous sommes en groupe et à chaque départ non remplacé nos charges explosent !! Résultat je cherche comme beaucoup d’autres à qui il reste 25 ans d’exercice une porte de sortie…

Dans l’état actuel, je ne vois aucun avenir à la médecine générale libérale… 30 ans de déni des politiques et des syndicats, le système ne tient plus que sur le dos de ceux qui y sacrifient leur vie personnelle et leur santé…”

 

“J’ai travaillé 40 ans, 12 heures par jour, jour et nuit, sans jour de repos”

Par Bmw

“Cette situation a toujours existé, je connais des confrères chaque décennie depuis les années 1960 qui ont eu l’impression d’être noyés, sans doute erreur d’orientation.

J’ai travaillé 40 ans, 12 heures par jour, jour et nuit, sans jour de repos, et je ne suis jamais senti fatigué. Certes, je prenais trois semaines par an de vacances en deux fois et deux semaines de formation continue et de congrès.

J’ai pris ma retraite à 68 ans et demi, à regret, pour des baisses sensorielles, ouïe, vue, etc.

J’ai eu une vie médicale extraordinaire et mes quatre enfants en ont peu souffert, grâce à leur mère. J’ai découragé l’un de mes fils de faire médecine et il le regrette actuellement : il a cinq enfants. Tout cela pour dire que ce qui arrive à cet ex confrère a toujours été anecdotique.”

 

“Nombreux sont les collègues qui ont des oeillères”

Par Pierre F

“Notre jeune confrère a très bien résumé la situation du médecin généraliste en milieu rural.
Il faut beaucoup de sacrifices pour arriver à travailler comme dans un bagne.
Nombreux sont les collègues qui ont des oeillères et qui poursuivent leur activité professionnelle au détriment de leur vie privée.
Ce choix est prpbablement celui d’une volonté de reconnaissance qui, il faut le souligner, est souvent moindre au fil du temps (les patients oublient vite le MG).
Pour ma part, jai fait le choix de sacrifier ma vie privée. Ma femme est aussi MG et régulièrement me met des bornes car je passe plus de 70 heures à mon cabinet.
Je sais que je suis un peu masochiste, mais le métier de généraliste, c’est comme une drogue, il est parfois difficile de s’en passer.
Par ailleurs les DAM et autres structures étatiques je m’en suis débarassé en les mettant à la porte de mon cabinet car il faut aussi savoir éliminer les imbéciles qui ne connaissent pas les affres de votre profession. Cela a été difficile au départ car nombreux sont les médecins qui acceptent les diktats des caisses, mais je suis heureux car maintenant je n’hésite pas à me défouler (je fais le cértin qui ne veut rien comprendre) lorsqu’ils me téléphonent. Après tout, c’est ma pause car les visteurs médicaux se font de plus en plus rares.
Pour finir, le message de notre collègue devrait être relayé auprès de nos instances “supérieures” pour qu’elles puissent comprendre les difficultés de la médecine rurale. Il est vrai qu’ils s’en moquent probablement et qu’ils ne pensent qu’à leur réélection. Cependant il faut savoir être insistant.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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