C’est par centaines que les médecins ont signé la pétition dénonçant “l’abattage en médecine générale”. Lancé dimanche par le Dr Jean-Baptiste Blanc, le texte a reçu un soutien immédiat. Contre l’idée de l’Assurance maladie de fixer un objectif de 6 patients par heure pour bénéficier d’un assistant médical, ces généralistes s’insurgent et proposent quelques pistes simples pour retrouver du temps médical.

“En France, on est dans un système où le médecin valide tout et n’importe quoi. On ne considère pas les gens comme des grandes personnes”, s’agace le Dr Jean-Baptiste Blanc, médecin généraliste à Paris. Tous les jours, il assure faire au moins deux consultations qu’il qualifie “d’inutiles” : un renouvellement d’ordonnance pour des semelles orthopédiques, un arrêt maladie pour une gastro, un certificat de non contre-indication à la pratique d’un sport…

 

En un week-end, une centaine de généralistes ont rejoint l’initiative

Alors quand il a entendu que l’Assurance maladie voulait fixer un objectif de 6 patients par heure en contrepartie du financement d’un assistant médical, il s’est agacé. “J’étais scandalisé, corrige-t-il. L’idée d’imposer des quotas de consultations aux médecins généralistes est insupportable. Moi, je vois trois patients par heure, et je suis incapable d’en faire plus !”

Les syndicats de médecins libéraux ont récemment claqué la porte d’une séance de négociations sur les assistants médicaux avec l’Assurance maladie pour le même motif, dénonçant unanimement une “recherche effrénée de productivité” et des “impératifs de cadence et de rendement”. Depuis, l’Assurance maladie a mis de l’eau dans son vin et assure ne jamais avoir eu l’intention de conditionner le financement d’un assistant médical à une quelconque obligation de respecter un nombre minimal de consultations”. Soit. Mais aux yeux des médecins, la menace est bien là.

“Tout le monde a réagi vigoureusement sur Twitter, poursuit le Dr Jean-Baptiste Blanc. C’est en lisant un blog, des messages de médecins qui se demandaient comment réagir que j’ai eu l’idée de lancer une pétition”. Le médecin rédige un premier texte, qu’il fait lire à quelques confrères avant de le poster sur Twitter. “En un week-end, une centaine de généralistes ont rejoint l’initiative“, rapporte-t-il. Mis en ligne dimanche soir, le texte intitulé “Non à l’abattage en médecine générale. Cent médecins généralistes lancent l’alerte” a déjà recueilli plus de 1 700 signatures.

“J’ai été contraint à l’abattage pendant plus de dix ans car je me suis obstiné à vouloir tenir dans un désert médical, témoigne le Dr Christophe Lamarre, généraliste à Roubaix et signataire du texte. J’ai fini par abdiquer sinon je serais mort, et j’ai pu refaire de la médecine générale. Je n’en faisais plus, je gérais l’instant comme à SOS médecin. Ce type d’exercice est inflationniste car il n’a aucune inertie, il est à terme inefficace et est de surcroît totalement inintéressant.”

 

“On fait rien, en dix minutes, et certainement pas de la médecine”

Quand on l’interroge sur les raisons de son soutien à la pétition, Jaddo, généraliste et bloggueuse, s’étonne : “Pardon mais il me semble que ça se passe d’explications”, glisse-t-elle. “Dix minutes c’est le temps que ça me prend quand je suis en garde et que je vois des enfants pour un rhume. En médecine générale, j’ai déjà bien du mal à ne pas déborder sur mes consultations de 20 minutes… On fait rien, en dix minutes, et certainement pas de la médecine. Il est ahurissant de penser le contraire“, explique la généraliste..

“Quand le dispositif des assistants médicaux a été annoncé, je me suis vraiment dit ‘Pourquoi pas, c’est une bonne initiative’“, se souvient de son côté Pierre-André Bonnet, jeune généraliste installé dans le Vaucluse et signataire de la pétition. “Puis, quand les choses se sont précisées, je me suis senti en colère parce que le dispositif proposé ne me paraît pas adapté ni aux besoins, ni aux attentes des patients, ni aux conditions d’exercice. C’est un constat d’incompréhension et d’absence d’écoute des professionnels de premier recours, des “trouffions de base’ en première ligne qui souffrent”.

“J’ai 46 ans, explique encore une généraliste qui s’exprime sous le pseudonyme d’Armance64. La retraite est loin pour moi, je n’ai pas envie de me crâmer au travail, et on refuse pour l’instant de repousser les nouveaux patients, on se sent encore un peu responsables.On espace de plus en plus les consultations pour les renouvellements, on essaie d’organiser autant que possible, trier les RDV par degré d’urgence sur des critères médicaux, pour garder des créneaux pour les urgences potentiellement graves…”  Alors quand arrivent les parents d’un enfant enrhumé, expliquant qu’ils savent comment le soigner, mais qu’ils ont besoin d’un certificat pour leur employeur… La généraliste se désole. “Ca fait des années qu’on travaille pour déprescrire, rendre les patients autonomes, avoir un exercice moins paternaliste, et on leur demande de venir se mettre sous ma responsabilité pour des choses mineures qu’ils devraient pouvoir gérer eux-mêmes… Ca déresponsabilise des gens, ça nous fait perdre du temps pour soigner d’autres gens qui, eux, en ont besoin, ça coûte très cher à la collectivité, et en fait ça ne bénéficie pas à grand monde”, déplore-t-elle.

 

“On nous renvoie l’idée qu’on n’en fait pas assez”

Des solutions pourtant simples existent et pourraient rapidement permettre de désengorger les cabinets médicaux, assurent les signataires de la pétition. “On fait des consultations inutiles à longueur d’année, reprend le Dr Jean-Baptiste Blanc. Des propositions circulent depuis des années pour retrouver du temps pour soigner.”

Au premier rang desquelles la fin de l’obligation d’un certain nombre de certificats médicaux. La pétition propose ainsi la “suppression de l’obligation d’un certificat médical d’arrêt de travail pour les arrêts inférieurs à deux ou trois jours”. “C’est ce qui se fait en Grande-Bretagne !, assure le médecin. Les gens disent à leur employeur qu’ils sont malades et qu’ils ne peuvent pas venir. La journée de salaire est défalquée bien sûr.” La porte ouverte aux abus en tout genre ? “Peut-être, répond le Dr Blanc. Mais le gain ne serait-il pas beaucoup plus important que l’abus de quelques salariés qui prennent une journée pour aller faire du shopping ?”

Pour aller de pair avec la fin d’un certificat pour les arrêts courts, les généralistes réclament des campagnes de communication régulières pour informer sur les critères permettant d’éviter une consultation pour des pathologies bégnines comme les rhumes, les gastros… Autre proposition, en finir avec les certificats de non contre-indication à la pratique d’un sport qui surchargent les plannings des généralistes à chaque rentrée. Mais pas seulement : “Pour un marathon de Paris, ce seraient 57 000 consultations de gagnées”, justifie le texte de la pétition. “Il n’y a qu’en France qu’on demande un certificat pour courir le marathon”, regrette le Dr Blanc.

“Une partie du problème démographique pourrait être réglé par des évolutions organisationnelles, simples, comme expliqué dans la pétition. Au lieu de cela, on nous renvoie l’idée qu’on n’en fait pas assez”, déplore de son côté Pierre-André Bonnet qui souligne que cette proposition de l’Assurance maladie intervient dans un contexte déjà compliqué pour les généralistes. “On nous dépouille du suivi avec les infirmières de pratiques avancées d’un côté, de la relation médecin-patient avec les assistants… Que nous restera-t-il ? Les papiers ? Quitte à faire de la merde, autant rester chez soi et faire de la téléconsultation non remboursée. Je ne le ferai pas, mais je comprends que certains se posent la question.”

 

Source : www.egora.fr
Auteur : Fany Napolier