“J’apprends encore une histoire de suicide d’un étudiant en médecine. Ça aurait pu être moi, à l’époque. Heureusement pour moi, non.” A l’époque, le Dr Gral est externe et travaille dur pour les ECN. Pas question de faire médecine générale dans une ville du nord. Les profs disent que ceux-là auront raté leur vie. Jusqu’au jour où le jeune étudiant craque.

 

“On entend beaucoup d’histoires de syndromes dépressifs chez les étudiants en médecine, de gens qui craquent… On a un peu l’impression que c’est une fatalité. C’est comme s’il fallait que ce soit compliqué de tenir le coup. Les plus faibles ne sont pas soutenus. Le but, c’est d’être fort. Tout le travail demandé, le fait que ce soit très dur, qu’il y ait les concours, c’est comme si ça faisait partie intégrante de la formation et de la sélection. Ceux qui n’arrivent pas à tenir le coup, tant pis. On estime qu’ils n’arriveront pas à tenir le coup après, dans leur exercice.

 

“Si on faisait généraliste dans le nord de la France on avait raté sa vie”

J’ai passé les ECN il y a une dizaine d’années. J’ai connu la pression qui est mise par rapport à la réussite de l’internat. Les profs incitent fortement à être très performant, parce qu’il n’y a que les bons postes qui sont valorisants. Les doyens et les instances des facs font le concours entre eux. C’est à ceux qui auront les meilleurs résultats pour le prestige de leur fac et les étudiants sont manipulés par ça.

J’ai fait une dépression en fin de 5ème année, au passage en 6ème année. Les profs faisaient passer le message en disant, en gros, que si on faisait généraliste dans le nord de la France on avait raté sa vie. C’est clair et net. Et quand on n’arrive pas à suivre leurs directives, on s’épuise. Moi, j’avais la volonté initiale de faire de la médecine nucléaire. J’aimais beaucoup la physique fondamentale. Vers la 4ème année, je me suis rendu compte qu’à l’internat, c’était un poste souvent choisi et je ne comprenais pas. Je pensais que c’était une originalité de vouloir faire ça. J’ai appris après que c’était probablement parce que c’est l’une des spécialités les mieux rémunérées. Moi, j’étais naïf. Mais surtout, je m’étais fait berner par leur discours. Moi-même je pensais que j’allais rater ma vie si je n’avais pas un poste intéressant à leurs yeux. Je ne m’attendais à faire médecine générale que si je me ratais. J’avais intégré le discours des doyens. Ils avaient réussi à me faire rentrer dans le crâne qu’il y avait des mauvaises spécialités, des mauvais postes. Comme si le concours de l’internat était un concours où on gagne ou on perd. Et plus ça avançait, plus je me disais que j’allais perdre.

Chaque session d’examen portait sur tout ce qui avait été fait depuis le début des études. Jusqu’à la 6ème année. Moi je n’y arrivais plus. Il y en avait trop. J’avais des tas et des tas de bouquins, des piles de 1 m 50 de haut et je ne pouvais rien réviser. Je n’ai jamais eu de ma vie un examen de gynéco, ou de neuro… Il aurait alors fallu ouvrir et étudier le bouquin de neuro, même s’il faisait 300 pages. Mais là, non, c’était un examen sur tout ce qu’on avait appris. Je n’y suis pas arrivé.

 

“Je ne pouvais pas ouvrir un bouquin”

On peut considérer ça comme une faiblesse, puisque les autres y sont arrivés. Et au bout d’un moment, j’avais honte. J’étais très content de faire médecine. Dans ma famille, il n’y a jamais eu de médecin. Ma famille n’était pas très riche, les médecins, on n’en connaissait même pas. Les classes sociales ne se fréquentent pas trop. Ils étaient fiers de moi, et je ne voulais pas les décevoir.

Mais je n’arrivais plus à réviser. Je me pointais aux examens sans avoir révisé. Jusqu’au moment où, avant une session d’examen, j’ai appelé une des profs pour lui dire que j’allais redoubler mon année. Ce n’était pas la peine que je me présente, ça ne servait à rien, j’allais avoir des bananes. Je n’y suis même pas allé. Ça c’était au début. Après ça s’est aggravé.

Je ne travaillais plus du tout. J’étais malade d’avoir trop travaillé avant et de ne plus être capable de travailler. Du tout. Je ne pouvais pas ouvrir un bouquin. Même pas lire le titre. Ce n’était pas juste que je ne voulais pas bosser. J’étais au fond du trou, couché dans le noir à attendre que le temps passe, à ne pas manger. J’ai dû perdre 35 kg. Evidemment j’ai pensé au suicide. Je ne savais pas comment en sortir.

Je ne travaillais pas pendant deux semaines, un mois. Je ne pouvais pas. Mais c’était déjà cuit. Je ne pouvais plus rien espérer. Ça faisait un cercle vicieux. Si je ne réussissais pas au moins un petit peu, ça éliminait le peu d’espoir qu’il me restait.

Quand on en est là, on commence à redoubler. Et ensuite, à voir arriver la limite où on n’a plus le droit de redoubler. Je voyais arriver l’exclusion des études médicales parce que j’avais redoublé une fois la cinquième année, et une fois la sixième.

 

“J’ai passé l’internat en touriste”

J’étais malade. J’ai pris du temps, je me suis soigné.

Il a fallu du temps. Je suis parti de la fac. J’ai rendu mon appartement, je suis parti chez mes parents. Je ne pensais plus du tout à bosser. Je n’avais plus d’échéances. Jamais je n’ai pensé à arrêter mes études, mais temporairement, je l’ai fait. J’ai arrêté pendant six mois pour préparer une autre 6ème année, repartir sur de meilleures bases.

J’ai repris ma 6ème année sans aucune pression. J’ai pu passer les examens, et les réussir. Ça faisait longtemps que je savais que je ne serai pas bien classé à l’internat. Je l’ai passé en touriste. Je voulais aller dans une région pas demandée et faire de la médecine générale. Je pouvais être dernier, j’aurais eu mon poste. C’était un choix que j’ai rationnalisé sur le moment. Les deux mois avant l’internat, où tout le monde travaille, moi je n’ai pas travaillé du tout. Mais je me sentais bien. Je crois que j’ai eu 10 de moyenne. C’est ridicule.

Ensuite, l’internat s’est bien passé. J’étais juste un peu plus vieux que les autres. Une fois que je m’étais satisfait de ma situation, tout a roulé. J’ai tenu le coup. Il n’y avait pas ce travail scolaire que j’avais en horreur. Et que j’ai toujours en horreur. Aujourd’hui, je suis généraliste remplaçant. Je ne veux pas aller passer des DU parce que je ne veux pas passer des examens. Il y a des DU que j’aurais envie de faire, mais il faut faire des cours, passer des examens… Donc je n’y vais pas. J’ai peur de le faire pour rien. Ça m’a rendu phobique.

 

“J’ai appris qu’il faut faire les choses pour soi”

L’autre conséquence, c’est avec mon assurance arrêt de travail qui permet aux libéraux de n’avoir qu’un mois de carence en cas d’arrêt. Je suis obligé de leur signaler que j’ai été arrêté de mon externat pour dépression. Et je ne suis donc pas pris en charge en cas de dépression.

J’ai appris qu’il faut faire les choses pour soi, et relativiser. Une spécialité peut plaire énormément, et il faut se battre pour la faire. Mais il faut se demander si c’est vraiment ce qu’on veut, ou si ce n’est pas ce que les autres nous ont donné envie de vouloir.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier