L’intrusion violente de rituels musulmans lors de l’accouchement d’une femme voilée à Toulouse (31) l’an passé a mis très mal à l’aise le Dr Jean Thevenot, le gynécologue obstétricien. Président du conseil de l’Ordre des médecins de Haute Garonne, le praticien anime maintenant un groupe régional de réflexion sur la relation entre l’exercice médical et les patients religieux, dans l’optique de créer un outil pratique pour tous les professionnels du soin.


 

Egora.fr : Que s’est-il passé l’été dernier, lors de l’accouchement d’une patiente musulmane dans votre clinique toulousaine ?

Dr. Jean Thévenot : J’ai accouché cette patiente dans un contexte très particulier, très tendu pour des raisons médicalement inhabituelles. D’abord, le mari avait exigé que l’accouchement soit réalisé par une femme, alors qu’il n’y avait pas de femme médecin disponible – la patiente était suivie par une de mes associés femme, qui n’était pas là. La parturiente était restée voilée, elle n’avait pas voulu de péridurale. Ensuite, dans les hurlements et les contorsions, la salle d’accouchement s’est transformée en salle de prière, avec le père barbu qui donnait des ordres à tout le monde. Des moments très bizarres. Voilà pourtant dix ans que des affiches et des documents préviennent les patientes qu’elles pourront être accouchées par un homme ou par une femme, et que cela ne pourra donner lieu à aucune réclamation.

 

Quelle a été votre attitude ?

Moi, j’essayais d‘assumer au mieux mon rôle de médecin. Ainsi, j’ai demandé à la mère comment elle voulait appeler son enfant. Alors, elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : Oussama“… Chacun choisit ses prénoms… Mais là, ce n’était pas anodin, elle avait une manière de l’exprimer. Il faut préciser que la mère était une convertie d’origine européenne, qui avait sans doute besoin de marquer encore plus sa conviction que ne l’aurait fait une patient née musulmane. Et tout l’accouchement a tourné autour de la religion. Dès que l’enfant est né, le père a commencé à se jeter par terre pour faire une prière tourné vers la Mecque… J’étais en train de recoudre l’épisiotomie pendant que le papa faisait ses prières tourné vers la Mecque. Je ne me serais pas opposé à ce qu’il fasse cela dans la chambre, mais pas en salle d’accouchement, ou alors une fois que tous les soignants sont sortis. Mais là, c’était très différent : la salle d’accouchement était devenue un lieu privé. Voilà la situation que nous avons vécue. A la suite de cet événement, nous étions plusieurs soignants à nous sentir très mal à l’aise. Il faut savoir qu’au moment de la mort de Mohammed Merah à Toulouse (le terroriste au scooter qui a tué sept personnes et fait six blessés à Toulouse et Montauban l’an dernier, Ndlr), un certain nombre de femmes sont venues accoucher en nous informant que leur enfant s’appellerait Mohammed “en l’honneur de Mohamed Merrah”. Il y a une petite minorité d’activistes dans le coin, nous sommes dans le quartier toulousain du Mirail, proche du site AZF, où réside une forte proportion immigrés. Les activistes sont loin d’être la majorité, mais ils sont dans la démonstration de leurs croyances. Les refus de soins à cause du sexe du soignant sont fréquents.

 

Qu’avez-vous fait ?

Le soir suivant cet accouchement, j’ai écrit pour faire passer le stress. J’ai envoyé un mail privé à quelques amis relatant cette histoire, et certains l’ont diffusé. Et rediffusé. Au final, ce mail a fait le tour du monde. Il s’est retrouvé en courrier des lecteurs du Figaro Magazine, signé de mon nom, sans mon accord… Il s’est retrouvé sur des sites d’extrême droite alors que ce n’était vraiment pas le sens que je voulais donner à ces propos. J’ai demandé à le faire retirer, et puis j’ai fini par me lasser. J’ai reçu des milliers de mails, j’ai un carton rempli des lettres que l’on m’a envoyées émanant de personnes de tous horizons, mais beaucoup de professionnels des soins, pas forcément des médecins, mais plutôt des infirmières, des brancardiers, des femmes de ménage, autant de professionnels gravitant autour du soin qui n’en pouvaient plus de supporter sans rien dire un certain nombre d’attitudes, de mépris. Manifestement, j’ai contribué à porter ce malaise au grand jour. Je reçois encore au moins un mail par jour. Dans neuf cas pour dix, c’est pour me féliciter, le reste, pour protester contre mes propos racistes ignominieux…. J’assume ce que j’ai écrit, mais je voudrais que mes propos soient replacés dans leur contexte. Mon idée en écrivant ce texte, était d’exhorter à trouver des solutions pour que ce type de situations ne se renouvelle pas.

 

A quels types de solutions songiez-vous ?

Dans les établissements de santé, il y a des textes sur la laïcité, de multiples recommandations, mais difficiles à appliquer dans la pratique quotidienne. A la suite de ces témoignages, j’ai reçu un appel téléphonique d’un chargé de dossier à l’ARS de Midi-Pyrénées qui s’occupe de la laïcité. De mon côté, j’avais contacté le responsable qualité de mon établissement, mais comme je préside aussi le conseil départemental de l’Ordre de la Haute Garonne, je me suis dit qu’il fallait élargir au-delà de l’établissement. Avec le médecin de l’ARS, nous avons sollicité l’espace éthique régional qui vient de se mettre en place dans en Midi Pyrénées sous l’égide des hôpitaux publics, et contactés des représentants des cultes catholique, protestant, musulman et juif. Deux réunions de travail consacrées à la laïcité dans les soins ont déjà été organisées, la première ayant eu lieu à la fin de l’année dernière.

 

Comment cela s’est-il passé ?

C’était un peu difficile, chacun marchait sur des œufs. Ces sujets sont très difficiles à aborder car on se demande constamment si nos propos sont politiquement corrects. Moi, mon souci c’est que tout le monde puisse se faire soigner de la même manière, en respectant les croyances individuelles, mais à condition que cela ne vienne pas interférer sur la qualité des soins. Certains aspects spécifiques à la religion musulmane ont été abordés avec les imams, ce qui nous a conduits à recenser un certain nombre de situations, qui peuvent être délicates de leur point de vue. La prochaine réunion aura lieu en avril, et je vais interroger tous mes collègues du département pour qu’ils me fassent un retour de leur vécu et relatent les situations cliniques auxquelles ils ont été confrontés où les convictions religieuses soit des patients, soit des soignants, ont interféré avec les soins médicaux. Notre objectif, c’est donner à tous, patients et soignants, des outils pratiques et concrets, l’idéal étant qu’une communication puisse se mettre en place entre eux autant sur les lieux de soins que dans les lieux de culte. Car nous soignants, nous devons aussi faire notre apprentissage : un geste aussi simple que tendre la main peut être mal perçu ou mal compris. Dans notre pratique, nous nous adaptons à chaque patient, mais il faut trouver les limites à cette adaptation car il ne faut pas tomber dans la démarche cultuelle. Tout n’est pas acceptable. Par exemple, rappeler à son domicile une femme médecin alors qu’il y a un médecin de garde, au motif que la patiente réfute le médecin homme, c’est inacceptable. Ensuite, des patients peuvent refuser des soins du fait de convictions personnelles.

 

Ces réunions sont-elles fermées pour l’instant ?

Oui, elles concernent les conseillers ordinaux, les représentants de l’espace éthique et de l’ARS. L’idée est de déboucher sur des réunions ouvertes, sans doute en fin d’année, pour avoir un échange à partir de situation cliniques vécues. Il faut une attitude commune, dans le respect complet de la laïcité, ce qui n’interdit évidement pas la connaissance des habitudes religieuses, culturelles ou sociales des patients. En tant que gynécologue, je n’aborde pas de la même manière une femme d’origine gitane, Africaine, une Anglaise. Ou même une femme médecin…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne