Délit statistique  ! Le Dr Marie-Odile Bret vient d’être convoquée par sa CPAM du Finistère en commission des pénalités car elle n’est pas dans les clous par rapport à la moyenne locale et régionale de prescription d’IJ.  La généraliste risque une mise sous entente préalable et a décidé de se battre à visage découvert.

 

"Je ne suis pas une délinquante, mais depuis deux ans que l’assurance maladie me met la pression à cause de ma prescription d’indemnités journalières, j’en arrive à me vivre comme une délinquante, après 32 ans d’exercice. Mais ça suffit, deux ans dans la clandestinité, c’est pervers. Il faut en parler !” Et c’est précisément ce que vient de  faire le Dr Marie Odile Bret, du Folgoët (29), en allant carrément raconter son histoire sur FR3 Bretagne la semaine passée. Les menaces de sanction pour délit statistique, le stress…  “J’ai été soutenue par des confrères, cela a été ma thérapie”, confie-t-elle aujourd’hui.

Jeudi dernier, le Dr Bret a donc été convoquée par la commission conventionnelle locale de sa CPAM  29 réunie en commission des pénalités, pour s’expliquer sur son taux de prescription d’indemnités journalières, supérieur dans sa clientèle à la moyenne locale et régionale. Avec 12 autres confrères, elle avait déjà été convoquée en juillet dernier. La caisse leur avait proposé une mise sous objectif (MSO) consistant à réduire drastiquement la proportion d’IJ dans leurs profils. Onze confrères ont accepté, sans doute pour avoir la paix. Le Dr Bret et un autre généraliste ont refusé.

“La Cpam m’a demandé de m’engager à réduire de 30 % ma proportion d’IJ. Je leur ai tout simplement dit que je ne pouvais pas m’engager à cela car je ne pratiquais jamais d’arrêts de complaisance”. La procédure a donc suivi son cours, et la voici convoquée devant la commission des pénalités.

 

"Faire du chiffre"

Ils étaient dix face à elle : cinq médecins libéraux siégeant en commission conventionnelle, cinq membres du conseil d’administration de la CPAM. Plus deux salariés de la caisse dont le sous-directeur, et un médecin conseil, qui a présenté le dossier “à charge”, raconte le Dr. Bret. Les yeux écarquillés (car elle ne connaissait pas ces pièces-là), elle a vu défiler des colonnes de chiffres et des courbes, figurant son activité et celle de ses confrères alentours. Elle a tenté de s’expliquer : un exercice en campagne isolée, auprès d’une clientèle désargentée exerçant des métiers peu qualifiés dans l’agro-alimentaire, des tâches pénibles. Beaucoup de suivi de grossesses, des confrères spécialistes éloignés et débordés : huit jours d’attente pour accéder à une radiographie, deux mois pour une IRM. Les arrêts se prolongent… “En commission, ils m’ont parlé de ‘gâteau’, de ‘faire du chiffre’… Ils m’ont fliquée pendant deux ans, j’avais l’impression que le malade n’existait pas. Ce n’est tout de même pas de ma faute si ma clientèle n’est ni riche ni en bonne santé.”.

Au moment du vote, son dossier a recueilli cinq votes opposés à une sanction (les médecins libéraux) et cinq abstentions (les administrateurs). Un geste de commisération sans doute lié au fait que la caisse avait imputé au profil du Dr Bret 23 jours d’activité correspondant à celui de son remplaçant… La décision du directeur de la caisse – mise ou pas de cette consœur sous entente préalable – doit intervenir dans un mois.

La pression est de plus en plus forte. Si les caisses continuent comme ça, il n’y aura plus de généralistes. Bientôt, ils vont en convoquer cinquante ! ”. Le Dr Jean-Yves Lohéac est excédé. En tant que syndicaliste FMF siégeant en commission conventionnelle à la CPAM du Finistère, il a été en première ligne pour suivre ces événements. “Une mise sous objectif, c’est un piège, explique-t-il. Car si le praticien dépasse l’objectif qui lui a été fixé, il peut risquer de lourdes pénalités financières, jusqu’à deux plafonds de la sécurité sociale, soit encore 6 062 euros. Et cela ne l’empêche pas d’être mis ensuite sous entente préalable", explique-t-il.

 

L’étau se resserre

Une disposition issue de la loi de réforme de la sécurité sociale du 13 aout 2004, dite loi Douste-Blazy, rafraichie par un décret du 19 mai 2011. Cette disposition concerne également les prescriptions de transports sanitaires, médicalisés ou non, les actes de kinésithérapie voire d’autres prescriptions. Il s’agit en l’occurrence “d’atypie de taux d’IJ”…

Une chasse ouverte au délit statistique que Roselyne Bachelot s’est bien gardée d’abroger en rédigeant le volet ambulatoire de sa loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) malgré l’opposition unanime des syndicats médicaux. Et pour cause. Année après année, l’étau se resserre autour du poste indemnités journalières. 75 millions d’euros d’économies sur l’évolution prévisible des dépenses étaient inscrits dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale 2011. Pour 2012, le gouvernement a introduit une modification du mode de calcul, touchant notamment les fonctionnaires qui supportent un jour de carence avant de toucher leurs indemnités. Economies prévisibles : 200 millions d’euros.

Les premiers effets de cette disposition sont d’ores et déjà visibles : le poste IJ est en décroissance  (- 1,3 %) en août sur les huit premiers mois de l’année par rapport à la même période de l’an passé, selon les dernières statistiques des dépenses de  remboursement produits par la CNAM.  

 

"Pilotage plus ferme et plus constant"

Et tout porte à croire que la pression va continuer à augmenter. Il n’y a qu’à lire les conclusions de la dernière livraison de la Cour des comptes, fustigeant à longueur de chapitre les disparités régionales en matière d’I J, déjà pointées par une étude de la Drees (ministère de la Santé et des Affaires sociales) publiée en juin dernier. La Cour réclame d’en savoir plus sur les déterminants conduisant aux arrêts de travail : les indemnités journalières pour maladie servies par le régime général ont représenté 6,4 milliards d’euros en 2011, ce qui représente un doublement par rapport à 2000, la seule année 2011 subissant une augmentation de 4,3 milliards à 6,4 milliards de dépenses.Elle revendique également “une politique de contrôle à redéfinir et la nécessité d’un pilotage plus ferme et plus constant”, pour, notamment, repérer plus facilement les fraudes. Tenez-vous le pour dit.

Le monde devient fou, les campagnes n’auront bientôt plus de médecin”, soupire le Dr Patricia Coroller, la généraliste quimpéroise qui a assisté le Dr Bret devant la commission conventionnelle de la CPAM 29. Ce qu’elle a constaté, c’est que l’assurance maladie mélange tout : les activités des généralistes, mais aussi des MEP que sont les angéiologues, les allergologues, les nutritionnistes, tous prescripteurs d’IJ en tant qu’omnipraticiens. Mais pas forcément médecins de famille… “A qui cela sert-il d’être spécialiste en médecine générale si la CNAM n’affine pas ses stats” grince-t-elle.

Alors pour détendre l’atmosphère, Patricia Coroller rappelle ce mot de Winston Churchill, à qui on ne la faisait pas en matière de résistance : “Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées”.  Qui parle de retour de la confiance ?

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne