La crise traversée par la profession oblige à une réorganisation de fond, analyse le Dr Luc Duquesnel. L’article 51 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2018, grâce à son caractère dérogatoire, permet de débrider les imaginations.

 

Les médecins généralistes n’ont pas le choix. Soit ils innovent, soit ils ne seront pas en mesure d’affronter l’avenir”, assure Luc Duquesnel, le président des Généralistes de la CSMF. En effet, alors qu’il est confronté au vieillissement de la population et à la chronicisation des pathologies, l’effectif des médecins généralistes subit une saignée historique découlant de l’effet de ciseau lié au départ à la retraite des baby-boomers et à l’impact de la réduction du numerus clausus des années 90. Le marasme ne se dissipera que d’ici une quinzaine d’années. Conséquences : pour survivre face à la fonte démographique et à la percée du salariat, il faut in-no-ver.

Il y a une obligation, pour les médecins généralistes, les autres professionnels de santé du premier recours et les médecins spécialistes de deuxième recours, de se réorganiser professionnellement au niveau de leur territoire”, insiste Luc Duquesnel. Ils doivent se réorganiser pour répondre à la demande de soins des patients, et le médecin traitant doit rester le chef d’orchestre du parcours de soins et de santé du patient. “Les concepts changent, tout change”, rappelle-t-il.

Mais comme les contraintes économiques et l’obligation de réduction du déficit de l’Assurance Maladie ne changent pas, elles, les moyens nécessaires à cette mutation douce doivent être trouvés au travers d’une démarche qualité permettant d’atteindre la pertinence des soins. “Un levier pour se réorganiser”, ajoute le patron des Généralistes de la Conf.

Face à cet état des lieux, quels outils peuvent être mobilisés par la médecine générale ? De par son caractère dérogatoire, l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS 2018) offre aux médecins de premier recours de multiples pistes, que le Dr Duquesnel encourage à explorer.

Nous ne serons plus paralysés par la difficulté de prise en charge des parcours complexes. Aussi, dans le cadre du transfert de tâches, nous pourrons aller au-delà du modèle ophtalmologues-orthoptistes pour ce qui relève des pratiques avancées. Le caractère dérogatoire de l’article 51 nous le permettra”, espère-t-il. “Ce sont des projets qui correspondent à des besoins de santé. Cet article de la LFSS doit lever le frein aux innovations”.

Quels peuvent être les champs à explorer pour la médecine générale ? “Les soins non programmés par exemple”, répond Luc Duquesnel. “Il n’est ni pertinent ni économique de se rendre aux urgences hospitalières aux heures d’ouverture des cabinets médicaux en dehors de situations d’urgence médicale. De la même façon que les médecins généralistes se sont organisés pour prendre en charge les soins non programmés aux heures de fermeture des cabinets médicaux, c’est la permanence de soins ambulatoire, ces médecins doivent faire de même aux heures d’ouverture de leur cabinet pour apporter une réponse à ces demandes de soins”, développe-t-il.

Autre axe : permettre à toute la population d’accéder à un médecin traitant. “Il faut aller vers les pratiques avancées, plaide-t-il. Le médecin généraliste doit accepter de confier certaines tâches à d’autres professionnels formés, placés sous sa responsabilité. Les infirmières de pratiques avancées auront un rôle majeur à jouer demain permettant aux médecins généralistes d’être médecin traitant d’un nombre plus important de patients. Ainsi, il pourra réserver son expertise aux cas complexes”.

L’autre intérêt de l’article 51 et de son caractère dérogatoire, est qu’il permet d’expérimenter d’autres modes de rémunération. Différents modèles pourront être testés, comme le paiement au forfait pour la prise en charge des patients atteints de certaines pathologies chroniques, ou pour financer du temps de secrétariat ou d’infirmière pour les nouveaux patients ou les soins non programmés par exemple.

Nous sommes dans le cas d’expérimentations, il ne s’agira donc pas d’une convention qui s’adresse à tout le monde”, explique le Président des Généralistes de la CSMF. “Ces expérimentations ne verront le jour qu’avec des volontaires”.

Mais, ajoute-il, monter des expérimentations demande du temps et une expertise, dont les médecins de terrain disposent rarement. “Nous avons besoins d’être accompagnés, tant pour écrire nos projets, puis les mettre en œuvre et les évaluer”. L’évaluation est en effet un élément majeur du dispositif, car elle permet de stopper un dispositif qui ne donne pas satisfaction ou, dans le cas contraire, de le sélectionner pour l’inclure dans la convention médicale qui pourrait prendre la forme d’une option conventionnelle.

Luc Duquesnel le constate, les changements qui sont en train de s’opérer dans l’organisation des soins de premier recours, n’ont pas d’équivalent sur les 30 années écoulées. “Le gouvernement veut aller dans ce sens-là, et l’on peut se demander s’il aura les moyens d’investir”. Pour l’instant, le fonds pour l’innovation créé par l’article 51 est doté de 30 millions d’euros. C’est assez peu. Le généraliste de Mayenne sait qu’il y a parfois loin de la théorie à la pratique, surtout en matière de démarche qualité ou de prévention, autant de cheminements qui ne donnent pas de résultats immédiats. Mais il y croit. “Ce constat ne doit pas être un frein pour ne pas s’investir”, se rassure-t-il.