Ici, chaque consultation payée par un patient va dans un pot commun. Les quatre médecins généralistes associés de cette maison de santé de Gironde ont fait le choix militant du partage d’honoraires. Une manière de se détacher du paiement à l’acte, de gagner en qualité de vie… malgré quelques contraintes de temps en temps. Le Dr Stéphane Fraize, associé depuis trois ans, raconte le fonctionnement quotidien de ce groupe original.

 

“Le partage d’honoraires, j’en avais entendu parler quand j’étais dans mon ancien cabinet seul. Je savais que ça existait, même si ce n’était pas très fréquent. J’avais trouvé ça intéressant pour se détacher de la course à l’acte et d’une forme de frustration liée au fait que plus on essaye de prendre du temps avec les patients, de faire une médecine qualitative et moins on gagne d’argent.

J’ai été installé seul à la campagne pendant plusieurs années. Pendant deux ou trois ans, j’ai rejoint une maison de santé construite à l’initiative des professionnels. J’avais des collègues, on était dans les mêmes bâtiments, avec une base de patients en commun mais sans aucune dynamique de groupe particulière. C’était de la cohabitation cordiale, et ça s’arrêtait là.

Quand j’ai quitté ce cabinet, j’ai appris par le bouche-à-oreille qu’une équipe, à proximité de Bordeaux, construisait un nouveau bâtiment et cherchait à s’agrandir à ce moment-là. C’est comme ça que s’est fait le contact. Ils fonctionnaient depuis quelques années en partage d’honoraires.

 

 

Aujourd’hui, on est quatre associés, plus un remplaçant fixe qui intégrera le groupe dès qu’il sera thésé. On sera donc cinq. On a une équipe étoffée, avec trois infirmiers, deux psychologues, deux sages-femmes, deux orthophonistes, un ostéo, une infirmière Azalée depuis quelques mois et trois accueillants. Cette pratique est basée sur une relation de confiance. Et la confiance, elle se construit.

Quand je suis arrivé je suis passé par une phase de collaboration pendant un an et demi. Ça a permis de vérifier que ça fonctionnait à tous points de vue – relationnel, professionnel, financier… Le partage d’honoraires, c’est bien plus qu’une affaire de sous dans un pot commun. Ça va bien au-delà. Pour que ça fonctionne, on est obligés de s’entendre, de fonctionner de manière collective. Ça ne peut pas être de l’exercice côte à côte.

Cette façon de faire nous oblige, par exemple, à avoir un temps d’exercice strictement identique. Nous avons les mêmes volumes horaires, avec un nombre de créneaux identiques. Ça offre un côté relax. Quand l’un d’entre nous est en retard, un médecin disponible peut proposer au patient de le voir sachant qu’il n’y a aucun impact financier derrière. Il n’y a aucune rancœur. On est complètement détachés de la crainte de “tu me piques un patient”… ça n’a plus aucune importance autre que relationnelle.

On a fait le choix d’une activité qui préserve énormément notre vie de famille et les activités. On travaille une quarantaine d’heures par semaine, avec un jour off complet par semaine, un samedi sur cinq, un vendredi après-midi sur deux. En BNC on est autour de 40 000 euros par an, pour une quarantaine d’heures par semaine. Ce qui, pour un généraliste, est dans le bas de la fourchette. Tout est mis en commun, même les rémunérations forfaitaires, sauf les gardes. On est autour de 65 actes par semaine chacun. Tous les vendredis, on a une heure et demie de réunion d’équipe, et les médecins en ont une autre le lundi. Donc on est à trois heures de réunion par semaine. On a aussi des réunions en soirée moins d’une fois par an.

 

 

On a des conditions d’exercice assez qualitatives, donc chères. Ce n’est pas directement lié à la question du partage d’honoraires même si ça participe un peu de la même philosophie. On paye 2 900 euros par mois de loyer et de charges locatives pour quatre bureaux, les espace communs, l’électricité, le ménage… On paye aussi 2 700 euros par mois de salaire net et 1 700 euros de cotisations salariales pour deux ETP d’accueillants. On a en plus un demi ETP pris en charge par la SISA qui regroupe tous les professionnels de la MSP et un autre demi ETP de coordination financé par les subventions que touche la SISA, pour arriver aux trois temps pleins de nos secrétaires accueillants.

A noter qu’on tient à ce que ce soit la SCP, qui nous sert de pot commun, qui protège ses membres en payant nos plans de prévoyance. Du coup, en cas d’arrêt maladie, ce qui est arrivé cette année, les indemnités perçues sont également mises dans le pot commun et le malade continue à toucher sa part de bénéfices.

On a aussi le même nombre de jour de congés par an. On s’accorde 30 jours, soit sept semaines de congés par an. L’avantage, c’est qu’on se retrouve avec une situation de congés payés. Celui qui est en congés continue à participer au partage au même titre que ceux qui bossent au cabinet. On lisse les revenus sur l’année. Dans mon ancien cabinet, quand je prenais 15 jours de vacances, je le sentais salement passer au niveau des revenus. Outre le fait qu’on payait les vacances, il y avait le loyer, le salaire de la secrétaire, les charges, les cotisations… Mine de rien, ça faisait un trou d’air assez conséquent.

Même si notre fonctionnement n’est qu’une mutualisation du paiement à l’acte, ça contribue à nous détacher de la question de l’acte. Comme tout va dans un pot commun, on sait qu’on travaille pour le collectif et un patient vu, c’est 25 euros dans la caisse collective. On prend le temps qu’il faut, si certaines consultations vont vite très bien, s’il faut prendre plus de temps on le prend. On n’est pas sur un patient égale 25 euros dans notre poche.

Depuis trois ans que je suis associé, je n’ai pas vraiment eu de moments de doutes, mais des difficultés, oui, forcément. Le côté collectif, qui va au-delà des médecins, implique certaines lourdeurs. Il faut beaucoup parler, il faut que tout le monde soit d’accord, il faut rediscuter. Parfois, j’ai envie que ça avance, et ces lourdeurs me peinent un peu. Mais j’ai complètement conscience que c’est le revers de la médaille. On ne peut pas avoir l’un sans l’autre. C’est un prix à payer qui n’est pas très lourd pour une ambiance de travail qui est très chouette.

 

 

Par exemple, un de mes collègues, de nature, n’est pas très porté sur les aspects administratifs, la gestion financière… Pendant un certain temps, il avait l’habitude de ne pas coter les ECG ou les IK. Moi ça me rendait dingue. Déjà qu’on n’a pas une activité très lucrative, si en plus, on fait ce genre de cadeaux à la Sécu… En plus ça nous impacte tous. Si l’un d’entre nous fait un acte gratuit pour un patient qui a une situation sociale compliquée, je n’ai aucun problème. Mais rogner notre revenu par négligence administrative, c’était un point de frustration. Du coup, on en a discuté. Chacun a fait des efforts. Lui pour être plus rigoureux dans ses cotations, moi pour me modérer et ne pas trop faire peser sur mes collègues les aspects les plus pénibles de mon caractère un peu obsessionnel…

On a tous des tempéraments différents et des points d’excellence qui se complètent bien. On y arrive parce qu’on a confiance les uns envers les autres, parce qu’on a fondamentalement des valeurs humaines et professionnelles similaires par-delà nos différences de caractère. On est une équipe très militante autour des valeurs humaines, de la solidarité, de l’accueil sans différence, de valeurs féministes… Et ça dépasse les médecins, c’est l’état d’esprit de la maison de santé.

Je n’ai pas choisi le salariat, d’une part parce qu’il n’y a pas beaucoup de possibilités, que les centres de santé ne sont pas très nombreux. Et d’autre part, j’ai connu le salariat lors de missions en Guyane. J’en mesure les avantages, mais aussi les inconvénients. Il y a une relation hiérarchique et d’autres lourdeurs administratives qui ne sont pas ce à quoi j’aspire le plus. Le partage d’honoraire reste une forme d’autogestion, d’anarchie solidaire. On reste nos propres maîtres. Comme tous les médecins on dépend un peu des autorités, mais au niveau de notre exercice quotidien, on ne dépend de personne. On est nos patrons mutuels, et tout se fait dans le cadre d’une discussion collective. On est tous à la barre en même temps. Et ça, c’est génial. Je suis content d’aller bosser.

 

 

On n’a aucun problème pour trouver des remplaçants, ils sont presque à se battre pour venir nous remplacer. On est généralement choisis dans les premiers postes par les internes. Que ce soit pour les médecins ou les autres professionnels, on a aucun mal à trouver de nouveaux collaborateurs. On a plus de candidatures potentielles que de besoins.

C’est un cadre de travail hyper attractif, dès los qu’on n’est pas dans la recherche d’une activité très lucrative. Celui qui veut faire de la médecine mercenaire ne viendra pas chez nous, c’est sûr. Quelqu’un qui serait trop porté sur les questions d’argent génèrerait des conflits. D’un côté, il faut accepter un certain cadre, une certaine rigueur, et une homogénéité dans les pratiques. Si chacun fait ce qu’il veut dans son coin, ça génère un effet de passager clandestin. Si l’un a l’impression de bosser plus que les autres, et que tout le monde empoche les profits, ça va générer des conflits. Et à l’inverse il faut faire preuve d’une certaine souplesse. Par moments, il faut savoir arrondir les angles entre nous. Il faut trouver une forme de souplesse par le dialogue. Il faut à la fois un cadre clair et strict, et un dialogue pour s’en extraire quand c’est nécessaire. C’est un équilibre à trouver. C’est un travail de tous les jours pour construire cette solidarité active. Ça nécessite du temps, de l’énergie, du dialogue. Mais il y a tellement d’avantages et tellement de plaisir à côté, que ça vaut le coup !”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

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