Si les deux négociations qui viennent de s’ouvrir avec l’Assurance maladie visent à pallier les difficultés d’accès aux soins dans les territoires, elles doivent également permettre d’améliorer les conditions d’exercice des médecins généralistes libéraux et la qualité des prises en charge. Un objectif que le Dr Luc Duquesnel, Président Les Généralistes-CSMF, ne perd pas de vue, bien déterminé à ne pas charger la barque de ses confrères.

 

Après ces deux séances inaugurales sur les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) puis sur les Assistants Médicaux (AM), quel est votre état d’esprit sur ces négociations ?

Dr Luc Duquesnel : On démarre l’année sur les chapeaux de roues ! Ces deux négociations peuvent paraître totalement différentes – l’une est pluriprofessionnelle, l’autre purement médicale – mais en fait, les objectifs sont les mêmes : mettre à disposition des professionnels de santé, tout particulièrement des médecins généralistes libéraux, des outils permettant d’améliorer l’accès aux soins dans les territoires. Avec un fil conducteur, qui est de s’engager, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, dans un exercice coordonné.

Ces outils vont permettre à des patients, qui n’ont plus de médecin traitant du fait de la cessation d’activité et du non-remplacement de leur médecin, d’en retrouver un. Pour nous généralistes, autant que pour les patients et les élus, le fait de voir des patients insuffisants cardiaques, diabétiques ne plus avoir de médecin traitant, c’est inacceptable.

 

Les négociations s’engagent-elles bien ?

Pour la négociation qui est entamée sur l’Accord-Cadre Interprofessionnel (ACI) CPTS, les contraintes sont moins lourdes. D’abord, on ne part pas dans l’inconnu. Ce qu’on est en train de vivre, on l’a vécu avec les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) : on démarre sur le terrain avec de nouvelles organisations, on expérimente… Et il existe déjà des CPTS qui fonctionnent. Même avant qu’on parle de CPTS, certaines avaient un fonctionnement de CPTS avec un projet de santé territorial et des actions pluriprofessionnelles en lien avec le secteur médico-social, avec les établissements de soin pour, par exemple, préparer les sorties complexes. Certains font cela depuis cinq ans, avec des financements ARS.

C’est moins compliqué aussi parce que l’on sait que demain, le financement des CPTS continuera à être double : celui de l’ACI et celui du Fonds d’Intervention Régional (FIR). L’enjeu de cette négociation va être surtout de montrer aux professionnels de santé libéraux et aux médecins quel intérêt ils ont à intégrer une CPTS. Sur le fond, de prime abord, il n’y en a aucun. La CPTS peut même être un repoussoir, car c’est une structure administrative. Ce qu’il faut, c’est mettre en place des actions, notamment sur le soin non programmé. A Metz ou à Bourges, les médecins libéraux ont mis en place des organisations pour faciliter la prise en charge des soins non programmés avec des financements de l’ARS destinés à ces médecins qui s’investissent ; ils ont alors un intérêt à agir. Il faut une organisation, il faut un porteur qui va pouvoir rémunérer les médecins et d’autres professionnels de santé, et c’est là que l’on peut voir l’intérêt d’une CPTS.

 

L’enjeu de cette négociation ACI est de définir et d’organiser un exercice coordonné. Pensez-vous que les 48 professions autour de la table vont parvenir à un accord concret et applicable ?

Comme pour l’ACI MSP, on n’est pas obligé d’avoir la signature de tout le monde : il faut une représentativité par profession. Ce qui m’a semblé très important, c’est le rappel qu’a fait le directeur général de l’Assurance Maladie de l’importance en termes d’organisation de l’exercice coordonné des équipes de soins primaires (ESP). Aujourd’hui, s’il n’y a que 15% des médecins généralistes qui exercent en MSP, c’est parce que cela peut paraître très complexe à certains. De même pour les CPTS. Pour les médecins généralistes, avec des infirmières, l’ESP, c’est une ou deux actions que l’on met sur le papier – des choses que l’on fait déjà ; pas besoin d’avoir une forme juridique. Cette équipe de soins de proximité est essentielle pour la prise en charge de nos patients, et le fait que ce soit rappelé dès l’introduction des négociations CPTS et lors de la séance sur les assistants médicaux, me semble important. Après, il y a des professions qui seront plus ou moins concernées par ces accords… En tout cas, les médecins généralistes le seront particulièrement dans ces deux négociations.

 

La question d’une pénalité financière, via une modulation des rémunérations forfaitaires, pour les médecins qui ne rejoindraient pas une CPTS peut-elle être un point bloquant pour parvenir à un accord ?

Très clairement. S’il y a quelque chose de pénalisant, ce sera niet d’emblée. Quand l’Assurance maladie – ou le Gouvernement – annonce ça, elle est dans une posture, qui aurait pu nous amener en tant que syndicat à dire “Retirez cela, sinon on ne va pas négocier”.

Le directeur général de la CNAM nous a rappelé que la moyenne de patients pris en charge par les médecins traitants est de 850 en France. Ce que je vois au quotidien, dans toutes ces zones rurales, péri-urbaines et parfois urbaines où la démographie des médecins généralistes est faible, c’est de plus en plus de médecins dépassant les 2000 patients médecins traitants. Qu’ils soient en exercice coordonné ou pas, quand je vois tous les efforts qui sont faits par ces médecins …Ce n’est pas parce qu’ils ont envie de travailler plus, c’est parce qu’eux aussi trouvent inacceptables qu’il y ait des patients sans médecin traitant. Alors imaginer qu’on pourrait sanctionner ces médecins parce qu’ils ne sont pas en exercice coordonné, quelle idée saugrenue ! Si cela devait faire partie d’un accord, à la CSMF, en tout cas, on ne le signerait pas. De l’incitatif, ok. Mais on ne va pas sanctionner une spécialité médicale qui va encore perdre bon nombre de ses effectifs d’ici à 2025 et qui n’est déjà pas attractive vis-à-vis des jeunes.

 

La négociation mono-catégorielle sur les AM s’annonce plus difficile tant l’écart est grand entre les besoins exprimés par les médecins et les conditions exigées par la CNAM, dont la liste n’a cessé de s’allonger. Quels sont les points sur lesquels Les Généralistes-CSMF ne céderont pas ?

On partage certains objectifs : faire qu’il y ait moins de patients sans médecin traitant (tout en sachant qu’une part non négligeable des 11,8% de patients adultes sans médecin traitant n’en veulent pas), mais aussi d’améliorer les prises en charge. Aujourd’hui, ces médecins qui sont déjà à plus de 2000 patients, qui ont déjà augmenté leur patientèle au cours des cinq dernières années, ont souvent besoin d’améliorer les prises en charge. Dire qu’ils n’auraient pas droit à l’assistant parce qu’ils ne vont pas augmenter encore leur patientèle, c’est inacceptable. La qualité des prises en charge doit être prise en compte. Or, on a vu très clairement que la seule chose qui sera prise en compte par l’Assurance Maladie comme par le Gouvernement, c’est la diminution du nombre de patients sans médecin traitant ; c’est le seul indicateur. Je ne suis pas sûr qu’ils soient vraiment préoccupés par la qualité, d’autant qu’on aurait du mal à définir des indicateurs.

Par ailleurs, il est hors de question d’exclure les médecins en exercice isolé de la possibilité d’avoir un AM. Je ne comprends pas cette notion… Dans les MSP multisites, vous avez des médecins qui sont en exercice isolé, mais coordonné.

Si on veut positiver, il y a quand même des lignes qui ont bougé par rapport aux annonces qui avaient été faites par le Président et la Ministre. Aujourd’hui, personne ne dit que ce sera un assistant pour trois médecins ; on pourrait même imaginer un assistant pour un médecin : ça va dépendre des modes d’organisation. Ce qui a bougé aussi, c’est le financement : dans le schéma de la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) au mois de septembre, il n’y avait plus de financement pour la 3e année. Finalement, il y aura un financement pérenne mais qui serait décroissant.

Pour autant, nous ne sommes pas rassurés. Premièrement, pour travailler avec un AM il y a des problèmes immobiliers majeurs. Les locaux disponibles, quand ils existent, ne sont pas toujours adaptés, il va falloir abattre des cloisons. Je vois mal installer des algécos ou des yourtes sur les parkings !

Deuxièmement, je suis incapable de dire si une partie du coût de l’AM pourra être autofinancée. Quand je vois déjà le nombre d’heures de travail des Généralistes (55-57 heures, plus la permanence des soins), il est hors de question de travailler plus pour payer un AM. Il ne faut pas détériorer les conditions d’exercice des médecins. Globalement, avec la délégation de tâches, les Assistants Médicaux ou les Infirmières de Pratique Avancée (IPA), on doit pouvoir prendre en charge plus de patients. Mais ça ne veut pas dire qu’il y aura plus de consultations permettant de rémunérer l’AM. Le modèle économique est à écrire. D’autant plus qu’on ne sait toujours pas quel sera le montant du salaire des AM. A moyen terme, au-delà du financement des AM par la CNAM, l’une des solutions pourrait être la suppression des charges patronales sur ces salaires.

Le directeur général l’a dit : ce que l’on va mettre en place doit être pérenne. Comme on est dans le cadre conventionnel, il n’y aura pas d’avenant signé sans l’accord des deux parties. Je pense qu’il faut être vigilant, ferme sur les lignes rouges à ne pas franchir mais d’un autre côté ne pas rejeter les AM et les CPTS, qui font partie des outils qui vont nous permettre de faire face à la diminution, pour les dix ans à venir, du nombre de médecins généralistes libéraux.

Reste la problématique majeure du modèle économique de la médecine générale. Le nombre de médecins généralistes libéraux ne cesse de diminuer, tandis que le nombre de médecins généralistes salariés ne cesse d’augmenter avec des salaires de 8 000 à 9 000 euros proposés par des collectivités et des mutuelles pour 35 heures de travail. Je ne vois pas ce qui va inciter des jeunes généralistes à s’installer en libéral. Ce sera aussi un enjeu une fois ces deux négociations menées à terme. C’est cela la vie conventionnelle.