Nomophobie et addiction au smartphone font les titres de la presse. Et le trouble du jeu vidéo a fait son entrée en 2018 dans la 11e révision de la classification internationale des maladies de l’OMS. Le Dr Cristophe Cutarella (clinique Saint-Barnabé, Marseille) nous explique ce qu’il pense de ces nouveaux concepts.

 

Egora : Le terme de nomophobie (no mobile phone phobia), ou phobie de se retrouver sans smartphone, a été élu mot de l’année par le dictionnaire de Cambridge. Mais peut-on réellement parler de phobie ?

Dr Cristophe Cutarella : Il ne faut pas utiliser ce terme dans toutes les circonstances, mais je pense que dans certains cas il est adapté. De plus en plus de personnes sont “accros” à leur portable et paniquées à l’idée d’en être privées, c’est à dire d’être seules avec elles-mêmes, isolées de leur réseau social, sans internet, sans jeux.  La peur d’être coupées des autres crée une préoccupation, une angoisse telle que cela envahit leur vie. Mais en réalité par le terme de nomophobie on fait souvent davantage référence au trouble associé qui est l’addiction. Cette addiction se caractérise par une pulsion, un besoin, et non plus une envie, de consulter son portable. Dès le réveil ces personnes ont recours à leur smartphone pour chercher des informations, échanger.  Ce sont souvent des personnalités anxieuses, mais le smartphone va aggraver les choses en cultivant le phénomène “FoMO” (Fear of Missing Out), qui est la peur de manquer une nouvelle importante. Cela concourt à induire une dépendance à l’information, qui renforce l’anxiété. Un trouble addictif peut ainsi se développer, qui va bien au-delà de l’utilisation d’un téléphone. Les jeunes ne se servent quasiment plus de leur smartphone pour téléphoner, mais pour communiquer par les réseaux sociaux, s’envoyer des messages, faire des jeux, se filmer. Cela casse la relation à l’autre.

Mais peut-on, là encore, parler réellement d’addiction ?

L’addiction se définit par un besoin irrépressible de consommer un produit ou d’adopter un comportement particulier -car les addictions comportementales se développent-, associé à un sentiment de manque, une anxiété envahissante quand la personne est privée de ce produit ou de ce comportement. Ces critères se retrouvent de façon similaire dans l’addiction au smartphone et dans l’addiction au jeu, au sport, au travail, aux substances.  Lorsque l’utilisation du smartphone devient omniprésente, empiète sur la vie, conduit à renoncer à ses activités habituelles, comme le sport, les sorties avec les copains, il faut essayer de réguler son usage et il est important alors d’apporter un soutien pour éviter de voir apparaître des symptômes anxieux liés à la frustration.

Avez-vous une idée du nombre de personnes qui souffrent de cet attachement excessif au smartphone ?

Il n’y a pas de chiffres, mais l’importance de cette addiction est largement sous-estimée, d’autant que la plupart des personnes qui souffrent d’un usage excessif du smartphone n’ont pas le sentiment d’être addict. Seules 8 % des personnes dépendantes de l’alcool sont en soin. Pour le smartphone on est encore loin de ce chiffre. Dans mon expérience, ce sont souvent les parents qui amènent leurs ados, car ce sont clairement eux les plus touchés, et ils viennent généralement nous consulter pour un trouble associé : consommation de cannabis, troubles anxieux, troubles du sommeil…Toute personne qui développe une addiction a un trouble psychiatrique sous-jacent, anxiété le plus souvent, mais parfois aussi trouble de la personnalité, trouble de l’humeur, voire schizophrénie. Notre rôle dans ce cas est de chercher une addiction et d’en comprendre les raisons.  Attention les plus âgés peuvent aussi être touchés. Certains retraités, par exemple, occupent leurs journées en consultant leur smartphone.

Quelle attitude peut avoir le généraliste ?

Les généralistes sont le premier rempart. Ils manquent de temps pour gérer des entretiens motivationnels, mais ils sont en bonne place pour repérer une addiction. Ils peuvent commencer par interroger sur d’éventuels troubles du sommeil ou de la concentration, puis demander : consultez-vous vos mails la nuit, dormez-vous avec votre smartphone… ? Il ne faut pas penser que dès la première ou la deuxième consultation les choses vont être dites. Il faut que s’instaure un lien de confiance, pour explorer ce trouble et pouvoir ensuite proposer une consultation spécialisée.

Comment aider une personne à limiter son utilisation du smartphone ?

Il existe des conseils comportementaux très simples mais qui marchent bien : éteindre son téléphone la nuit, s’en passer à certains moments de la journée, faire en sorte que les messages professionnels n’arrivent pas sur le récepteur personnel, couper les notifications, appliquer des filtres… Bien sûr il faut accompagner ce sevrage pour éviter qu’il génère de l’angoisse. Nous travaillons avec une équipe pluridisciplinaire, en employant thérapies comportementales, relaxation, sophrologie, hypnothérapie, méditation, activités sportives adaptées, ateliers thérapeutiques individuels et en groupe.

Quels conseils donner aux parents ?

Surtout ne pas entrer dans la confrontation. C’est voué à l’échec. Les parents doivent accepter que cela prenne un peu de temps pour que l’adolescent devienne conscient de la place qu’occupe le smartphone dans son quotidien.

 

[Le Dr Cutarella propose des informations sur son site christophecutarella.com]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Chantal Guéniot

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