Les fausses notes du Plan « Ma Santé 2022 »

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I. « Ma Santé 2022 » : un diagnostic partagé !

Annoncée le 18 septembre 2018 par le Président de la République, la réforme du système de santé, baptisée « Ma Santé 2022 », se déroulera tout au long du quinquennat.

Dans un premier temps, nous nous félicitions que tous les acteurs de la santé (libéraux et hospitaliers) soient associés à la mise en œuvre de cette réforme.

Dans un second temps, nous partageons le diagnostic du Président de la République : le constat d’échec de ces 30 dernières années : le mal être qui règne chez les professionnels de santé, un hôpital au bord de l’implosion et la difficulté de trouver, pour les patients, un médecin traitant ou un spécialiste du deuxième recours à consulter dans des délais acceptables.

Nous saluons la volonté du Président de la République de décloisonner la médecine de ville et l’hôpital, la création de postes d’assistants libéraux, la refonte nécessaire des études de médecine, la formation des infirmiers en pratiques avancées (IPA), les soutiens à l’innovation et la volonté de développer l’exercice coordonné. Cette philosophie s’inscrit dans les valeurs des Généralistes-CSMF, qui milite pour un médecin traitant chef d’orchestre du parcours de santé !

Cependant, nous ne partageons pas tout à fait la partition que veut mettre en œuvre le Président de la République, que ce soit dans le Plan « Ma Santé 2022 » comme dans les premières propositions de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale.

II. « Ma Santé 2022 », une partition inachevée

Deux mesures emblématiques de « Ma Santé 2022 » : les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) et les assistants médicaux, qui ont pour vocation d’organiser l’exercice coordonné et de valoriser l’expertise médicale sont, soit des coquilles vides, soit entourées de mesures administratives très contraignantes, au point de réduire à néant l’effet bénéfique attendu, car le diable se cache souvent dans les détails.

1) Les CPTS : 1 000 coquilles vides d’ici 2022 !

Depuis quelques mois, une frénésie s’est emparée de nos territoires. Les Agences Régionales de Santé (ARS) et les Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS) Médecins Libéraux font feu de tout bois pour inciter les médecins libéraux, entre autres, à créer des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, les fameuses CPTS. Des chargés de missions sont financés pour accompagner les professionnels de santé libéraux et les encourager à ces créations.

Une course à l’échalote s’est ainsi engagée entre les ARS pour pouvoir afficher un certain nombre de CPTS créées et une ARS qui va jusqu’à en annoncer une soixantaine.
Une Fédération des CPTS a même vu le jour le 8 novembre dernier avec, en son sein, certains membres fondateurs qui ne seront jamais, ni de près ni de loin, concernés par les CPTS.

Pendant ce temps, de nombreux médecins libéraux dits « de terrain », mais aussi d’autres professionnels de santé libéraux, manifestent une réprobation grandissante vis-à-vis de ces sollicitations pour créer des CPTS. Ils voient là la mise en place d’un nouveau « machin », source de nombreuses réunions qui rallongent les journées de travail ou suppriment du temps de consultation.

On ne peut que saluer cette réaction de bon sens de la part de ces professionnels car il semble que, pour cette réorganisation territoriale, l’on ait mis « la charrue avant les bœufs ».

S’ils sont imposés d’en haut, les médecins généralistes ne seront pas acteurs de ces changements.

On reprochera difficilement aux URPS Médecins Libéraux de s’être saisies de ce dossier puisqu’un décret stipule que, si les professionnels de santé libéraux ne créent pas de CPTS, des établissements de soins ou d’autres acteurs du secteur médico-social peuvent le faire à leur place et ainsi assurer la gouvernance des soins ambulatoires. Ce qui serait un comble, car que dirait-on si ces professionnels de santé libéraux avaient pour ambition d’assurer la gouvernance des établissements de soins ? Le Président de la République, dans son Plan « Ma Santé 2022 », a même promis plus d’un millier de CPTS dans un proche avenir.

Ne devrait-on pas s’inspirer de la démarche méthodologique qui a amené de nombreux professionnels de santé à se regrouper, physiquement ou pas, dans des maisons de santé libérales et pluri professionnelles ?

À partir du constat, des besoins de santé de leurs territoires et des organisations existantes, ces professionnels ont rédigé des projets de santé dont les actions, fonction des ressources humaines présentes, répondent aux besoins de leur territoire. Une fois obtenus les moyens nécessaires à la mise en œuvre de ces actions, dont les moyens financiers, ils se sont regroupés en SISA (Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires) pour formaliser leur exercice coordonné et recevoir les aides financières indispensables à cet exercice.

Les médecins libéraux sont conscients des problèmes d’accès aux soins existants, tant pour les médecins généralistes que pour les autres médecins spécialistes, et de l’insuffisante coordination entre professionnels de santé libéraux mais aussi avec les établissements de soins et les secteurs social et médicosocial.

Aujourd’hui, il est indispensable d’accompagner ces professionnels pour réfléchir aux meilleurs moyens de s’organiser au niveau de leur territoire pour répondre au mieux aux besoins de santé de la population, sans pour autant dégrader leurs conditions d’exercice et leurs conditions de vie. Pour les médecins généralistes, deux questions majeures sont posées : comment garantir à chaque français un médecin traitant et comment prendre en charge les soins non programmés pour éviter tous les passages injustifiés dans les services d’urgence ?
Une fois ces actions réunies au sein d’un projet de santé territorial, les CPTS s’imposeront d’elles-mêmes comme devant être la coquille qui permettra de mettre en œuvre ce projet grâce à de nouveaux financements dédiés à cet exercice coordonné.

Ainsi, nous éviterons des « CPTS coquilles vides » et donc vides de sens, comme hier le DMP sans dossier et aujourd’hui certaines MSP sans médecin généraliste.

2) Les assistants médicaux : des contraintes inacceptables

L’idée des assistants médicaux est une idée sur laquelle travaille la CSMF depuis 2011 et que nous avions proposée en 2017 au gouvernement. L’idée originelle avait pour ambition de donner du temps aux médecins libéraux afin qu’ils se consacrent uniquement à leurs expertises.

En effet, les assistants médicaux doivent assurer des missions d’assistance des médecins et d’aide au parcours des patients (gestion de l’aval de la consultation …).

Une fois de plus, cette bonne idée a été pervertie, pour être au service d’une doctrine politique, en proposant un accompagnement financier sous conditions car, pour en bénéficier, il faudra exercer en cabinet de groupe, être inscrit en exercice coordonné et apporter un bénéfice mesurable en terme d’accès aux soins à la population … Un concept suffisamment restreint pour n’être profitable qu’à une petite partie des médecins libéraux et probablement pas des médecins généralistes alors que tous en ont besoin.
En effet, si des aides existent durant les deux premières années, rien n’est proposé pour assurer la pérennité financière de ces emplois dans le temps puisque, dès la troisième année, les médecins devront supporter la totalité de la charge financière de ces salariés. La négociation conventionnelle, qui va s’ouvrir au début de l’année 2019, risque d’être compliquée car les médecins généralistes ne pourront pas autofinancer à terme les assistants médicaux du fait de la simple augmentation de leur patientèle. En effet, le modèle médico-économique de la médecine générale avec sa consultation de base à 25€ n’est plus adapté à notre exercice libéral.
Les Généralistes-CSMF s’opposeront à un assistant médical qui mettrait à mal l’équilibre précaire de nos petites entreprises médicales et qui n’aboutiraient qu’à imposer aux médecins généralistes une augmentation de leur temps de travail.
Bref, une somme de contraintes pour tuer cette bonne idée !

Au total, que ce soit les CPTS, les assistants médicaux, mais aussi les futures infirmières en pratiques avancées et les expérimentations Art. 51 ne vont-elles pas s’ajouter aux maisons de santé pluriprofessionnelles qui perçoivent l’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI) pour définir deux catégories de médecins généralistes ?
D’un côté une petite minorité, 15 à 20%, vers lesquels seront destinés toutes ces aides, et d’un autre côté, tous les autres qui en seraient exclus. Les patients de ces derniers ne pourraient alors pas bénéficier du nécessaire exercice coordonné que tout le monde appelle de ses vœux.

3) Créer un espace numérique patient

Pour bien se coordonner avec les autres acteurs qui interviennent dans le parcours de santé du patient, les médecins généralistes ont besoin d’outils.

Parmi ceux-là, on peut en identifier au moins trois :

– La messagerie de santé sécurisée (MSS) :
Pour se coordonner entre professionnels, il faut pouvoir communiquer de façon traçable et sécurisée. La MSS est l’outil adapté à ce besoin. Le problème aujourd’hui vient des logiciels métiers dont certains ne sont absolument pas ergonomiques vis-à-vis des MSS et le travail administratif de ces médecins peut s’en trouver majorer avec des tâches à remplir qu’ils ne faisaient au temps des dossiers papiers.

– Le Dossier Médical Partagé (DMP) :

Il s’agit d’un outil indispensable car nous devons pouvoir mettre à disposition et donc partager des documents indispensables à un parcours coordonné et pertinent de nos patients. L’absence de connaissance de certains documents peut entrainer une perte de chance pour nos patients.
L’Assurance Maladie a réanimé le DMP et on ne peut que s’en féliciter.
Pour autant, les éléments ne sont pas encore réunis pour que le DMP réponde à nos besoins et à ceux des usagers.
Si seulement les deux tiers des logiciels métiers sont DMP compatibles, la moitié d’entre eux sont inutilisables car non ergonomiques et d’utilisation chronophage et non intuitive.
Le document le plus important qui doit être dans le DMP, c’est le volet médical de synthèse (VMS) que doit créer le médecin traitant. Pour une utilisation optimale, ce VMS doit comprendre des données structurées et non pas du texte libre. La constitution d’un VMS prend du temps : 30 mn en moyenne. L’Assurance Maladie, qui reconnait pourtant l’importance de la structuration du VMS, a décidé de n’y accorder aucun financement. Les Généralistes-CSMF demandent le financement de la constitution de ce VMS structuré par les médecins traitants en commençant par les patients ayant au moins une ALD et les patients poly-pathologiques. Ce doit être une consultation dédiée par patient, une seule fois, qui ne peut être rémunérée moins de 50€.

– Le Système d’Information Parcours (SI Parcours) :

Il s’agit du troisième outil indispensable pour avoir un parcours coordonné performant autour du patient.
Le rapport de Dominique PONS et d’Anne-Laure COURY est sans ambiguïté : c’est l’anarchie totale avec aucune coordination entre les ARS. Au total, on se trouve avec 8 ou 9 SI Parcours dont la plupart ne fonctionne pas. Et tout cela pour 70 millions d’euros !
Les éditeurs de logiciels métier médecin nous ont affirmé qu’ils ne travailleraient pas à créer une interface entre leurs logiciels et ces différents SI Parcours.

II. Du Plan « Ma Santé 2022 » à la loi du financement de la Sécurité Sociale … du rêve au réveil brutal !

Un Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) « d’investissement » avec +2,5% en 2019 contre 2,3% initialement envisagé … mais un plan d’économie de près de 4 milliards d’euros … c’est la douche froide … la maîtrise comptable prend le pas sur les ambitions de « Ma Santé 2022 », une maîtrise comptable qui va jusqu’à constituer une réserve prudentielle de 120 millions d’euros sur les soins de ville qui sont pourtant déjà largement mis à contribution dans le cadre du plan d’économie.
En réalité, tout change … mais rien de change !

1) Les génériques et bio-similaires au cœur de la bataille des économies … des conflits à venir !

Il faut tout d’abord admettre que, s’il existait une totale transparence sur le niveau de sécurité des médicaments génériques, les réticences, tant des patients que des médecins, seraient levées.
Les différences de prix entre les médicaments génériques et les princeps ne sont que le fruit de la politique de l’Etat, et les médecins ne devraient en aucun cas se retrouver au cœur de cette problématique où ils deviennent les boucs-émissaires face à des dépenses supplémentaires jugées non pertinentes.

Si nous, médecins, nous partageons l’ambition de favoriser l’utilisation de médicaments génériques et biosimilaires, à des fins budgétaires, nous condamnons la méthode proposée qui sera source de conflit entre patients et professionnels de santé.

Deux dispositions sont condamnables. L’une consiste à noter, sur l’ordonnance, la justification du « non substituable » en utilisant un référentiel rédigé par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament qui bien évidemment sera le plus souvent inapplicable car ne tenant jamais compte des situations individuelles des patients. La seconde consiste à augmenter le reste à charge du patient, ce qui, à n’en pas douter, va créer des situations conflictuelles et des pertes de temps entre professionnels de santé et patients.

On pouvait aisément imaginer plus simple en faisant confiance aux médecins libéraux qui ont le sens de la responsabilité collective, comme le prouve leur engagement au quotidien.

2) Arrêts de travail et maîtrise comptable … association dangereuse

Les arrêts de travail sont, au même titre que les médicaments génériques et bio-similaires, un des enjeux de la maîtrise comptable pour le gouvernement qui veut faire pression sur les médecins généralistes pour mieux encadrer la prescription afin d’en réduire le volume.
Le MEDEF et le gouvernement, à l’origine de cette idée, feraient mieux de se poser la question du : pourquoi et quelles entreprises sont concernées par ces arrêts de travail ?
Mission J.L. Bérard, Pr. S. Oustric, S. Seiller :
Quelles sont les principaux facteurs déterminants responsables de l’augmentation du coût des arrêts de travail :
– L’augmentation du taux d’emploi des 55/64 ans,
– L’augmentation de la population active,
– L’exposition des salariés aux contraintes physiques et psychosociales est responsable de 25% des arrêts de travail.

62% des salariés ont travaillé alors qu’ils étaient malades et 43% d’entre eux ne posent pas d’arrêt de travail dans une situation le nécessitant.

Le médecin a pour vocation à soigner les patients, pas à être le bras armé du MEDEF et de Bercy auprès de ces mêmes patients pour faire des économies au détriment de leur santé.

3) Recertification : oui mais pas sans les médecins libéraux !

Évidemment, nous n’avons pas

 

d’opposition de principe sur la recertification des médecins libéraux, même si nous jugeons que les formations médicales continues et le Développement Professionnel Continu (DPC) valident à eux seuls la qualification des médecins libéraux.

Une recertification oui, mais sous conditions :

1/ que celle-ci ne soit pas chronophage,

2/ qu’elle soit effectuée par des médecins libéraux,

3/ que l’État ne réduise pas, année après année, les crédits alloués à la formation des médecins libéraux comme c’est actuellement le cas, ce qui va à l’opposé de l’ambition d’avoir des médecins de qualité. Le Rapport UZAN préconise 15 à 30 jours de formation par an mais la formation du Développement Professionnel Continu (DPC) a été réduite à 21H par an.

 

Au total, ce PLFSS 2019 ne dresse pas des perspectives pour la médecine générale libérale qui seraient de nature à permettre une transformation fondamentale de nos organisations professionnelles. Ce gouvernement se défausse sur les collectivités locales dont certaines proposent aujourd’hui aux médecins généralistes 8 000€ net pour 35h de travail.
La médecine générale libérale mérite un autre avenir que celui du salariat !

En conclusion :

Les médecins Généralistes-CSMF regrettent que la réforme de la santé en France, baptisée « Ma Santé 2022 », qui développe un bon diagnostic sur l’état de notre système de soins et qui propose des réformes allant dans le bon sens, ne donne pas les moyens financiers nécessaires pour assurer le succès de cette dernière.

La Loi de Financement de la Sécurité Sociale, dernièrement votée, vient malheureusement illustrer nos craintes, des annonces fortes, une réalité contraignante et des moyens insuffisants…

Il est impératif que ce gouvernement écoute les médecins généralistes sinon la réforme annoncée restera inapplicable et donc sans effet. Si tel était le cas, ces médecins ne pourraient pas être tenus pour responsables de l’absence d’amélioration de l’accès aux soins en 2022.

Contact Presse :
Dr Luc Duquesnel, Président : 06.85.66.67.19
Dr Julie Mazet-Caron, Secrétaire Générale : 06.84.36.43.47

Les Généralistes-CSMF :
le Médecin Traitant, Chef d’Orchestre du parcours de santé !

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