“Libérer du temps médical.” C’est le nouveau mot d’ordre de la lutte contre les déserts médicaux. Alors que l’augmentation du numerus clausus ne produira ses effets que dans 10 ans, le gouvernement compte sur les transferts de compétences et sur les futurs assistants médicaux pour décharger les médecins d’actes à faible valeur médicale ajoutée. Mais combien de temps les généralistes pourront-ils réellement gagner ? Interne en médecine générale, Jean-Baptiste Prunières a mené l’enquête. Soutenue le 16 octobre, sa thèse* présente une étude inédite chiffrant la charge de travail non médicale des généralistes libéraux. Car ces tâches, particulièrement chronophages, freinent l’attractivité de l’exercice.

 

Egora.fr : Pourquoi avoir choisi cette problématique pour votre thèse ?

Jean-Baptiste Prunières : Les stages en libéral et les remplacements m’ont montré qu’il y avait un grand nombre de tâches qui ne relevaient pas de notre métier. Ces tâches annexes prennent un temps important, notamment en fin de journée de consultations quand on est fatigué et qu’on voudrait rentrer chez soi…

C’est une surcharge importante de travail que les médecins aimeraient pouvoir déléguer, mais souvent ils ne font pas pour des raisons financières. J’ai par exemple fait un stage chez un généraliste qui effectuait lui-même l’entretien de son cabinet médical : une à deux fois par semaine, il prenait sa serpillère et son balai et faisait son ménage…  Autre frein à la délégation : les médecins ne trouvent pas forcément les prestataires spécialisés dans les professions médicales. Ils rentrent dans une sorte d’engrenage.

 

Y étiez-vous préparé ?

On n’est pas formé en tant qu’interne à la gestion du cabinet, administrative ou autre, c’est quelque chose que l’on découvre sur le tas. Même si les maitres de stage essaient de plus en plus de prendre quelques heures pour expliquer comment ça fonctionne.

La surcharge administrative est à l’origine d’une perte d’attractivité de l’exercice libéral. “Redonner du temps médical”, c’est une revendication forte des représentants syndicaux et ordinaux. C’était la priorité de 98% des 30.000 répondants de la grande consultation menée par le Conseil national de l’Ordre des médecins. La mise en place des assistants médicaux répond à cette préoccupation.

 

En moyenne, les 121 médecins généralistes libéraux qui ont répondu à votre enquête consacrent 13 heures par semaine aux tâches non médicales**, soit 22 à 33% de leur temps de travail hebdomadaire (moyenne : 57 heures). Ces chiffres vous ont-ils surpris ? Est-ce plus ou moins qu’avant ?

Les précédentes études, qui abordaient plus largement le temps de travail des généralistes, évaluaient le temps accordé à la gestion du cabinet à 6h-6h30. Mais 22 à 33% du temps de travail, c’est la proportion évoquée par les représentants syndicaux.

Là, c’est un premier état des lieux donc il n’y a pas de point de comparaison. Mais on nous dit que c’est plus qu’avant… Il y a de plus en plus de dossiers administratifs, de dossiers patients à remplir. On aurait pu penser que l’informatisation allait limiter ces tâches et finalement ce n’est pas le cas. Les médecins passent toujours autant de temps à compléter les dossiers patients, scanner les comptes-rendus. La dématérialisation n’est pas encore complète : ils échangent encore beaucoup de courriers avec les confrères, les CPAM, les institutions…

 

 

Les tâches administratives représentent à elles seules 6h30 en moyenne… Le déploiement national du dossier médical partagé va-t-il représenter une amélioration ?

Ça va sans doute améliorer les relations entre professionnels et avec les institutions. On pourra retracer ce qu’a fait une infirmière, un pharmacien, notamment dans le cadre de la vaccination : on saura qui a vacciné, quoi et quand. Mais est-ce que ça limiter les tâches administratives ? Je ne pense pas. Il faudra bien que quelqu’un rentre les données, et que quelqu’un en soit le coordonnateur et fasse le travail de vérification.

 

Fait surprenant : dans votre étude, on constate que l’emploi d’une secrétaire ne diminue pas la surcharge administrative du médecin. Comment l’expliquez-vous ?

Souvent les secrétaires médicales sont mutualisées entre 2, 3 ou 4 médecins donc l’effet est dilué. Et puis elles sont surtout en charge de l’accueil des patients, de la prise de rendez-vous et de la facturation. Ce ne sont pas forcément les tâches plus chronophages, sachant que le médecin a souvent recours à un télésecrétariat ou à un site de rendez-vous en ligne.

 

En revanche, les praticiens exerçant en groupe (cabinet de groupe ou MSP) ont une charge administrative bien moindre. Comment y parviennent-ils ?

Le profil sociologique des médecins exerçant en centres et maisons de santé n’est pas le même : ce sont souvent des jeunes médecins, qui ont plus de faciliter à déléguer des tâches et à faire appel à des prestataires de services. Ils ont plus souvent recours à de secrétaires, à des sociétés d’entretien, à des experts comptables… Dans mon étude, un quart des médecins effectuent eux-mêmes l’entretien des locaux ! Et près de 35% font leur compta, avec un logiciel ou un simple fichier Excel.

 

Les 4000 postes d’assistants médicaux financés par le Gouvernement dans le cadre du plan “Ma santé 2022” vont-ils changer la donne ? Les trois conditions fixées (exercice regroupé, démarche de coordination, augmentation du nombre de patients suivis) pour en bénéficier en valent-elles le coup ?

Leurs missions ne sont pas encore définies, il doit y avoir encore des négociations avec les représentants syndicaux. On dit qu’ils seront à mi-chemin entre administratif et soin… mais assisteront-ils à la consultation ? Aideront-ils à déshabiller les nourrissons, les personnes âgées ? A prendre les constantes ? Ils ne pourront pas être à la fois présents à la consultation et effectuer des tâches administratives. Ils seront aux 35 heures quand un médecin généraliste travaille 50 à 60 heures par semaine en moyenne…

D’autant plus qu’on parle d’un assistant pour 3 à 4 médecins. L’effet sera forcément dilué… C’est sans doute une bonne mesure mais ça ne sera pas le remède miracle à tout ce temps perdu par les médecins. Ils en prévu 4000, aux Etats-Unis ils sont plus de 640 000. En France, ça fera 1 assistant médical pour 27 praticiens libéraux, toutes spécialités confondues. Avec en plus un déploiement prioritaire dans les zones où l’accès aux soins est difficile – ce qui est normal. Mais ça ne va pas révolutionner l’exercice libéral de la médecine.

Si on veut redonner du temps médical, il faudrait que ce soit des super secrétaires, à qui l’on puisse confier toutes les tâches administratives. Et au moins un assistant pour deux praticiens.

 

Quel regard portez-vous sur les transferts de compétences qui sont entrain de s’opérer vers le pharmacien, les infirmières de pratique avancée ?

Ça permet de redonner du temps clinique médical. C’est une bonne chose. Que la vaccination soit faite par les pharmaciens, s’ils sont formés, je ne vois pas de problème. Mais il faut vraiment que le DMP fonctionne pour la traçabilité des actes. La délégation est nécessaire… Par exemple pour le suivi gynécologique, qui pourra être effectué par les sages-femmes, on sait que la pénurie de gynécologues médicaux ne va pas s’améliorer, puisqu’on en forme quasiment plus. Il faut aller dans ce sens, en gardant la coordination globale par le médecin généraliste et avec un DMP performant.

Mais pour redonner de l’attractivité à l’exercice libéral, il faut vraiment décharger les médecins de la gestion du cabinet. Il faut revaloriser davantage le forfait structure, pour qu’il permette aux généralistes d’employer ou de déléguer.

 

Comment voyez-vous votre futur exercice ?

Comme la plupart des jeunes généralistes, je vais commencer par des remplacements. Et après, si j’envisage une installation en libéral, ce sera plutôt dans une maison de santé. Justement pour limiter les tâches non médicales mais aussi pour avoir un exercice vraiment coordonné. La thèse m’a aussi donné l’idée de la création d’une société de services spécialisés pour les professionnels de santé, qui iraient de la prise de rendez-vous à l’entretien des locaux.

 

*Evaluation des tâches non médicales des médecins généralistes libéraux en Occitanie

**La rédaction des certificats médicaux, engage la responsabilité du médecin, a été considérée comme une tâche médicale.

 

Source : www.egora.fr

Auteur : Aveline Marques