Une disposition du projet de budget de la sécurité sociale 2019, débattu à partir du 23 octobre à l’Assemblée nationale, instaure une “réserve prudentielle” sur l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) de ville. Le Président des Généralistes de la CSMF s’inquiète de la répercussion de ce gel des crédits sur la mise en place de la réforme et l’organisation de la coordination des soins.

 

En présentant son dernier rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, le 4 octobre dernier, Didier Migaud, le Premier Président de la Cour des Comptes a, certes, applaudi au retour à l’équilibre de la sécurité sociale, porté par le retour de la croissance et espéré pour l’année prochaine. Une première depuis 2001. Mais il a aussi, dans le même temps, donné un mauvais point à la branche Maladie, et plus spécifiquement aux soins de ville, dont le “déficit structurel” les fait flirter régulièrement avec le déficit. “Comme en 2015 et 2016, on observe un important dépassement de l’enveloppe prévisionnelle des soins de ville, qui a atteint 0,6 milliards d’euros”, a signalé le Premier Président. Le respect de l’ONDAM 2017 n’étant dû qu’au ralentissement de l’activité hospitalière, a-t-il signalé, liée à l’impact du virage ambulatoire et aux nouvelles thérapeutiques contre l’hépatite C ou le cancer notamment.

Pour la Cour, la ville dérape et il faut sévir. La solution envisagée par les magistrats de la rue Cambon n’est pas imaginée pour faire plaisir, puisqu’il est question de mettre en place une “réserve prudentielle pour les dépenses de soins de ville, comme c’est déjà le cas pour les établissements de santé et médico-sociaux”…. Suggestion reçue 5 sur 5 par Agnès Buzyn qui a inséré cette disposition dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019, en instaurant “une provision de 120 millions d’euros” sur les dépenses prévues pour les soins de ville. Rappelons que l’ONDAM 2019 a été porté à + 2,5 %, soit un coup de pouce de 400 millions sur l’ONDAM initialement prévu, pour pouvoir financer la réforme et notamment, pour la ville, le renforcement du tournant ambulatoire avec la mise en place d’assistants médicaux et le financement des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) – qui seront prochainement dotées d’une convention sous forme d’un Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI).

 

Double régulation

La médecine de ville est déjà très encadrée, et depuis longtemps”, conteste le Dr Luc Duquesnel, le Président des Généralistes de la CSMF. Il y a d’une part, l’avis du Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie (CADAM), créé par la loi de réforme de l’assurance maladie de 2004, qui se réunit trois fois par an pour juger si l’évolution des dépenses est compatible avec l’exécution de l’ONDAM. Le CADAM peut exiger un plan de redressement si le risque de dépassement excède un pourcentage fixé par décret, en l’occurrence 0,75 %. Le Comité a exigé la mise en place d’un tel plan en 2007. “Et par exemple, si des revalorisations tarifaires sont prévues, elles sont gelées”, explique Luc Duquesnel.

Autre moyen de régulation : la clause de sauvegarde conventionnelle, qui impose un délai de 6 mois avant l’application de toute revalorisation tarifaire, décidée dans le cadre d’un accord conventionnel entre les syndicats de médecins libéraux et la CNAM, toujours pour juger de la compatibilité de leur impact économique avec l’évolution des dépenses. Elle a été mise en place par Roselyne Bachelot, alors Ministre de la Santé.

Donc, les médecins libéraux ont déjà de bons filets de sécurité, s’insurge le Dr Duquesnel. “Comment dès lors envisager la concrétisation des promesses de la réforme ? Le financement des assistants médicaux, dont la pérennité n’est pas garantie, les futures infirmières de pratique avancée, le financement des CPTS, le report de certaines activités hospitalières vers l’ambulatoire, le montant de l’ACI des maisons de santé pluridisciplinaires sera-t-il sauvegardé sachant qu’elles sont de plus en plus nombreuses à signer cet ACI ? “… Bref, le patron des Généralistes de la Conf’ se demande “comment organiser une meilleure coordination des soins s’il y a rétention de l’enveloppe… Cette réserve prudentielle sur les soins de ville pourrait tout à fait empêcher certaines réformes de se mettre en place puisqu’il faudra attendre fin 2019 pour savoir si l’on finance des organisations à mettre en place dès le début de 2019. C’est tout simplement une façon déguisée de diminuer l’ONDAM de ville. Nous n’allons pas nous réorganiser à nos frais en créant des déficits dans nos entreprises médicales libérales du fait du non-paiement d’aides financières promises mais non versées !…” redoute-t-il.

Et puisqu’un malheur n’arrive jamais seul, un amendement au PLFSS 2019, accepté par la Commission des Affaires sociales après avoir été soutenu par Agnès Buzyn, préconise de verser à l’hôpital un “forfait de réorientation” pour chaque patient renvoyé des urgences en ville si l’état du malade le permet et s’il est d’accord. Imaginé par Dr Olivier Véran, Président (LREM) de la commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale et Rapporteur du PLFSS, l’amendement pose le principe du versement d’une somme de 20 à 60 euros par patient réinséré dans un parcours de soins, avec rendez-vous dans les 24 h chez un médecin généraliste libéral, une maison médicale de garde ou un service spécialisé. Si l’hôpital garde le malade, il sera rémunéré à hauteur d’une consultation spécialisée et non d’un forfait urgences. Pour le Dr Véran, près de 6 millions de passage aux urgences par an pourraient être ainsi régulés. Pour un coût jugé “faible” par la Ministre de la Santé, qui approuve le concept.

Cette manière de dédommager l’hôpital de la perte d’une importante source de recettes, indigne Luc Duquesnel qui se demande quel serait dès lors “l’intérêt à agir de la médecine de ville puisque les financements dédiés aux soins non programmés vont à « ceux qui ne font pas » et non pas à « ceux qui font », qui pourtant ploient déjà sous une charge de travail de plus en plus importante ! ». Quant à la CSMF, elle brocarde une mesure “illogique”, digne du pays d”Ubu’ où l’on voit “la collectivité financer une structure hospitalière pour qu’elle ne soigne pas un patient”. Et de s’arrêter sur une véritable mesure de bon sens : la création d’un forfait de prise en charge d’une urgence de ville lorsque des médecins libéraux sont organisés pour répondre à ce besoin de la population. “Bien des structures regroupées, MSP, cabinet de groupe, centre médical, etc., seraient ainsi incités à s’organiser pour accueillir des urgences de ville dans des conditions adéquates”, défend la centrale qui appelle au “bon sens” les parlementaires qui auront à se prononcer sur la proposition du Dr Véran.