Le Président des Généralistes de la CSMF décrypte à chaud les innovations de la stratégie de refondation de notre système de santé. Les médecins généralistes répondront présents, commente-t-il, à condition de leur donner des garanties et des moyens.

 

Cette réforme, qui vient d’être présentée par le Président de la République, vous paraît-elle à la hauteur de l’urgence et la bonne réponse à la crise profonde du système de santé ?

Dr Luc Duquesnel. Globalement, je la juge plutôt positivement, cela va dans le bon sens tant au niveau du constat que des objectifs à atteindre. Nous en avons connu des pires, ne serait-ce que d’un point de vue macro-économique : un Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM) à 2,5 % c’est mieux qu’à 1,8 %. Ensuite, l’esprit de cette réforme est d’amener les professionnels de santé libéraux à se coordonner sur un territoire, y compris avec les établissements de soins publics ou privés et avec le secteur médicosocial. Cela répond bien aux enjeux d’aujourd’hui qui sont la prise en charge de toute une population qui vieillit et qui présente de plus en plus de pathologies chroniques. Et là, des évaluations démontrent que nos prises en charge pourraient être plus pertinentes. Donc, globalement, ces grandes annonces vont dans le bon sens.

Je ne me positionnerai pas sur ce qui relève de l’hôpital, en dehors du fait que cela me semble être un bon signe de vouloir associer plus étroitement les médecins libéraux à la définition des missions de l’hôpital sur le territoire et à la coordination. Pour prendre en charge la santé de la population d’un territoire, il faut réunir tous les acteurs. Nous allons donc être amenés à échanger sur nos problématiques respectives et sur celles des usagers qui doivent être associés à nos réflexions, et nous devrons déterminer comment faire pour répondre au mieux à leurs besoins.

Si l’esprit de cette réforme est positif, se posent néanmoins tout un tas de questions sur les moyens alloués pour la mettre en œuvre et l’accompagner. Quel sera le rôle des Agences Régionales de Santé, quel sera celui de l’Assurance Maladie sachant que, parallèlement à cette réforme, des expérimentations innovantes et dérogatoires vont être menées de front, dans le cadre de l’Article 51 du budget 2018 de la Sécurité Sociale ? On peut se demander ce qu’il faudrait faire pour qu’aux yeux des médecins libéraux tout cela ne ressemble pas à un mille-feuilles indigeste.

 

S’agit-il du big bang de rupture annoncé par le Président de la République et plusieurs fois repoussé ?

Aujourd’hui, l’ambulatoire et l’hôpital sont confrontés à des besoins en santé de la population qui ont complètement changé. Je pense qu’il nous faut une réforme du type de celle de 1958 et, dans ses grandes lignes, cette réforme correspond à ces enjeux-là. Ensuite, se posent les questions relatives à la capacité des professionnels à pouvoir la mener, tant à l’hôpital qu’en ambulatoire.

 

Que penser des évolutions annoncées pour la médecine libérale ?

Je pense qu’il ne faut pas avoir une réflexion uniquement tournée vers la médecine libérale et les professionnels de santé libéraux. Prendre en charge en ambulatoire des patients âgés polypathologiques, cela ne concerne pas seulement les médecins généralistes mais aussi les autres médecins spécialistes, les infirmières, les pharmaciens, les kinés, c’est-à-dire tous les professionnels de santé libéraux, mais aussi les établissements de soins et le secteur médicosocial … C’est la coordination de tous ces professionnels entre eux, les moyens qu’ils mettent en place, qui permettent de définir le parcours de santé du patient. Il ne faut donc pas avoir une réflexion uniquement médicale. Le Président de la République a avant tout parlé des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) qui sont des regroupements de professionnels autour des projets de santé territoriaux sans regroupement physique. On a peu entendu parler des équipes de soins primaires et des maisons de santé pluriprofessionnelles, peut-être considère-t-on qu’il s’agît d’un acquis… Je pense qu’aujourd’hui on ne peut faire l’impasse sur aucune organisation qui amène à un exercice coordonné ; tout est bon à prendre. Dans le discours du Président de la République, on a bien senti que les CPTS avaient le vent dans le dos, mais n’oublions pas les organisations de soins primaires qui doivent être un élément indispensable dans la composition des CPTS.

Au niveau de la mise en place des CPTS, les organisations sont aussi très différentes selon les régions. Je parle aussi bien de l’accompagnement par les Unions Régionales des Professionnels de Santé (URPS) que par les ARS. Il y a des régions comme l’Occitanie où il ne se passe presque rien ou pas grand-chose parce que l’ARS a une posture bloquante. Si nous sommes trop dépendants des ARS, il se trouvera des régions où les choses fonctionneront bien et d’autres où ce sera beaucoup plus compliqué. Quels vont être le rôle des ARS après le discours d’Emmanuel Macron ?

Cette réflexion vaut aussi pour les assistants médicaux. La problématique aujourd’hui n’est pas seulement de savoir qui a besoin d’un assistant médical, mais de savoir qui bénéficiera de financement et quelle sera la pérennité de ce financement ? C’est de cela dont les médecins généralistes ont besoin.

Les assistants médicaux posent un certain nombre de problèmes mais ils correspondent à un besoin. Un chiffre : 2005-2025 : 28 % de médecins généralistes libéraux en moins face à une population qui augmente et qui vieillit. Comment va-t-on prendre en charge un quart de patients en plus sans travailler plus ? Alors, prendre un ou deux assistants médicaux, cela commence par poser un problème immobilier : il faut avoir au moins un cabinet par assistant médical – encore faut-il que ces cabinets existent ! – et ensuite, il faudra payer les loyers et payer le professionnel. Et avec quelle pérennité dans le financement ?

Et qui va sélectionner les demandes, s’il y en a 10 000 ? On sait que 4 000 assistants seront financés, mais à quelle hauteur, qui va choisir ? De plus, Emmanuel Macron annonce qu’ils seront tout d’abord mis en place prioritairement dans les zones déficitaires. Il s’agit pour moi d’une erreur monumentale ! Toutes les régions ont terminé ou quasiment de procéder au nouveau zonage. Les zones déficitaires, conventionnelles, représentent 18 % de la population des territoires. D’autres territoires auraient dû y figurer, mais on n’a pas pu car on butait sur ce chiffre des 18 %. Ces territoires sont dans les zones « pacte territoire santé » définies par les ARS. Va-t-on exclure ces zones qui rencontrent un problème majeur de démographie médicale et de réponse à la demande de soins, et leur interdire de pouvoir accéder aux assistants médicaux ? Va-t-on attendre qu’ils soient encore plus mal, au fond du gouffre pour la prochaine réévaluation en 2019-2020, pour leur fournir des aides à la prise en charge des populations ?

 

L’Elysée semble parier sur l’accroissement de l’activité des généralistes pour le financement progressif des assistantes médicales…

Aujourd’hui, le nombre de médecins généralistes libéraux diminue et celui des médecins généralistes salariés augmente. Le modèle médico-économique de rémunération des généralistes libéraux n’est plus adapté à leur pratique et ce n’est pas parce qu’on va mettre des assistants médicaux qu’on changera ce modèle. Les consultations de 30 à 45 minutes nécessitées par les patients polypathologiques seront peut-être raccourcies de quelques minutes grâce à l’assistant, mais pour autant la consultation à 25 euros n’est pas adaptée à ces patients-là. Et d’ailleurs, dans le cadre de l’Article 51, on va voir fleurir des projets soutenus par des professionnels de santé libéraux qui veulent abandonner le paiement à l’acte pour certains types de patients. Je pense qu’il n’y aura aucun problème pour trouver les 400 médecins généralistes salariés attendus.

Deux assistants supplémentaires dans une maison médicale de 7 ou 8 médecins généralistes, c’est 80 m2 de loyer en plus, et ce seront les médecins qui devront les payer. Quand ces m2 existent ! Dire aujourd’hui que le gain de productivité induit par l’assistant médical dans les cabinets médicaux permettra de l’auto-financer, je n’en suis absolument pas certain. Il faudra évaluer l’augmentation de la productivité.

Nous répétons aux professionnels qu’ils sont à la tête d’une entreprise médicale, nous ne pouvons pas décemment les lancer dans l’aventure pour que, dans trois ans, le financement s’arrête. Ou alors, il faut leur conseiller de provisionner des indemnités de licenciement.

 

Quel va être le cadre des discussions qui vont s’ouvrir pour mettre ces dispositions en pratique ?

Il va y avoir des discussions au Ministère, avec la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) qui, depuis un an, travaille en liens étroits avec l’Assurance Maladie. Nous avons travaillé avec eux sur le décret mettant en place les infirmières en pratique avancé et l’Article 51. Nous devrons le faire pour la mise en œuvre de ce Plan Santé afin que les médecins libéraux puissent se l’approprier. Des négociations devront aussi se tenir avec l’Assurance Maladie pour le financement des assistants médicaux et pour celui des CPTS.

 

Cette réforme est-elle bien ciblée pour la médecine générale, dans sa globalité ?

Je pense que le Président de la République ne sait pas très bien quelle est la vie des médecins généralistes libéraux, leur activité dans les territoires où ils exercent leurs consultations de 8 à 20 heures tous les jours, tout en participant à la permanence des soins. Car voilà qu’il leur demande d’allonger leur journée jusqu’à 22 h, cela me paraît d’une extrême maladresse ! Depuis ce discours, je n’enregistre que des retours très négatifs des médecins généralistes à ce sujet. Aujourd’hui, on nous demande de réfléchir à une organisation de prise en charge des soins non programmés aux heures d’ouverture des cabinets, car il y a engorgement des services d’urgences et pas suffisamment de médecins généralistes. Je dis banco ! C’est un travail que nous devons également faire avec les ARS. Si on nous demande d’accueillir ces patients à l’échelle d’un territoire, il nous faudra des moyens humains (secrétaire, infirmière, …) et financiers.

 

Lorsque le Président de la République déclare que l’exercice isolé doit devenir une “aberration”, comment réagissez-vous ?

Ces propos sont irrespectueux pour ces médecins de famille qui, depuis 20 ou 30 ans, répondent aux demandes de soins de la population. Toutes les populations prises en charge par ces médecins-là ne sont certainement pas d’accord avec ce mot « aberration ». Que nous devions tous aller, demain, vers un exercice coordonné, d’accord. Mais si tous ces médecins en exercice isolé, pour beaucoup proches de la retraite, décidaient à la suite des propos du Président de décrocher leur plaque demain matin, beaucoup de Français seraient en grande souffrance. Les médecins généralistes font tout pour prendre en charge les patients qui n’ont plus de médecins traitants. Un tel discours manque d’humanisme à leur égard.