Six ans après sa création, le plus jeune des CHU français affiche un déficit de 36 millions d’euros. Dans les services, la révolte gronde. Alors que FO et la CFDT ont déposé un préavis de grève illimitée, 34 chefs de service et de pôle ont annoncé leur intention de démissionner de leur fonction administrative. En cause : un plan de retour à l’équilibre qui, disent-ils, ne répond à “aucune logique médicale”.

 

La rupture est consommée. Déplorant “le fossé qui se creuse” depuis plusieurs mois avec la direction, 34 chefs de service et chefs de pôle du CHU de la Réunion viennent d’annoncer, par courrier, leur intention de démissionner de leur fonction administrative. “Nous ne reconnaissons aucune légitimité à la direction actuelle, tant sur le plan financier que managérial, pour décider seule et de façon unilatérale des pistes d’économies”, écrit la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière de (FA-FPH) dans une supplique adressée le 20 janvier à la ministre de la Santé.

 

Au centre du conflit : le déficit “abyssal” du CHU

Signe du “malaise énorme” qui règne au sein du dernier né des CHU français, ce jeune syndicat a réussi le tour de force de rassembler, en à peine quatre mois, plus de 550 professionnels, dont 350 médecins. “Nous formions un collectif de médecins depuis un an et demi, relate le Dr Catherine Gaud, PH à l’hôpital Felix-Guyon de Saint-Denis, porte-parole du syndicat. On a essayé d’avoir les meilleures relations possibles avec la direction et la présidence de la CME. On s’est rendu compte que ça ne servait à rien du tout. Etant employés de l’hôpital, on n’avait pas le droit de communiquer, on a décidé de se syndiquer.”

Au centre du conflit : le déficit “abyssal” du CHU, chiffré à 36 millions d’euros fin 2016, qui s’est creusé en à peine cinq ans et impose aujourd’hui le recours à un plan de retour à l’équilibre (PRE). “Fin 2011, nous étions excédentaires de 1.2 million d’euros”, accuse Catherine Gaud. Mais ça, c’était avant la fusion des deux CH de l’île, Saint-Denis et Saint-Pierre, distants de 85 km, qui a donné naissance au CHU, 1900 lits et places, premier employeur de la Réunion.

 

“Une productivité particulièrement déficiente”

La création du CHU a entraîné un certain nombre de “surcoûts structurels”, met en avant son directeur, Lionel Calenge : la montée en charge des fonctions enseignement et recherche s’est notamment traduite par le doublement du nombre de postes d’internes et de la création de 16 postes de PU-PH. A cela, s’ajoutent les évacuations sanitaires depuis Mayotte et le poids du projet social adopté avant la fusion, qui “prévoyait un maintien des budgets des sites” et des titularisations.

Mais c’est surtout la gouvernance du CHU qui est mise en cause, non seulement par les syndicats mais aussi par l’Igas. Dans un rapport particulièrement sévère rendu en octobre 2016, les enquêteurs pointent, d’un côté, “une productivité particulièrement déficiente au regard des autres établissements hospitalo-universitaires” et des “taux d’utilisation des lits globalement faibles”, et de l’autre une “augmentation massive” de la masse salariale (+18.2% d’équivalents temps plein non médicaux). “Il n’y a pas eu de création nette de poste de PH titulaire jusque début 2017, relève Catherine Gaud. La politique, c’était de n’avoir que des médecins contractuels ou des assistants. Ça a beaucoup fragilisé l’emploi médical à la Réunion : les médecins ne sont pas restés, puisque l’on ne leur proposait aucun avenir. On a eu des crises dans certains services : par exemple, à un moment il n’y avait plus personne à l’unité transversale de nutrition. Là en dermato, il y a deux médecins. L’une est en congé maternité et n’est pas remplacée donc quand l’autre est en congé, il n’y a plus de dermatologue et les consultations programmées sautent.” Autant de dysfonctionnements qui auraient favorisé une fuite des patients vers le secteur privé.

L’Igas déplore par ailleurs la persistance de “clivages entre les deux établissements fusionnés”. En l’absence de projet médical organisant réellement les soins, “tout était plus ou moins dupliqué”, souligne Catherine Gaud. Bilan : tandis que les dépenses augmentaient de 20.6% entre 2012 et 2016, les recettes des activités médicales, elles, ne progressaient que de 17.4% sur la même période.

 

Un premier appel de détresse

Cette situation financière dégradée n’a pas empêché le CHU de s’engager dans deux opérations immobilières particulièrement coûteuses : la construction du bâtiment des soins critiques (71.8 millions d’euros), jugé surdimensionné par la FA-FPH – “il y a un étage vide”, à Saint-Denis, et surtout l’extension du bâtiment central à Saint-Pierre. Un projet à 109 millions d’euros qui “aurait dû être soumis à la contre-expertise du Commissariat général à l’investissement”, tance l’Igas.

En pleine crise, le CHU lance un premier appel de détresse. Agnès Buzyn y répond en annonçant, début octobre dernier, une aide transitoire de 50 millions d’euros sur quatre ans, dont 14 millions versés dès 2017. Une somme insuffisante pour sortir la tête de l’eau et payer les factures, malgré la reprise (+ 2.4%). Le CHU a finalement dû se résoudre, alors que les travaux du bâtiment Saint-Pierre sont déjà bien avancés, à soumettre un dossier au Comité interministériel de la performance et de la modernisation des établissements hospitaliers (Copermo) pour solliciter une nouvelle aide de 50 millions d’euros. En gage de sa bonne volonté, l’établissement y a présenté son PRE, qui prévoit 30 millions d’euros économies d’ici à 2022.

Premier poste de maitrise des dépenses : la réduction de 2% de la masse salariale, avec la suppression de 155 ETP, dont 6 ETP médicaux (11.7 millions d’euros d’économies attendues). “Ce sont des suppressions de postes sans licenciement, par des non remplacements de départ à la retraite pour l’essentiel”, nuance le directeur général, Lionel Calenge. Par ailleurs, “virage ambulatoire” oblige, 123 lits d’hospitalisation médecine-chirurgie-obstétrique seront fermés -dont les 15 lits du cirque de Cilaos, tandis que 62 places en HDJ seront créées. Autres chantiers : la constitution de pôles transversaux, la maitrise de la prescription (9.7 millions d’euros d’économies attendues) et l’amélioration du codage des actes, dont les lacunes représenteraient un manque à gagner de 4 millions d’euros par an. “En l’espace de deux mois, 200 dossiers chirurgicaux ont été recodés et on a réussi à retrouver 1800 euros en moyenne par dossier, souligne Lionel Calenge. Sachant qu’il y en a 10.000 à Saint-Pierre. Il faut former les médecins et créer des postes de techniciens.”

 

“Comme si on était une entreprise”

Mais l’annonce des suppressions de postes a fait l’effet d’un électrochoc. “Sans qu’il n’y ait eu la moindre concertation préalable avec la communauté médicale, y compris les chefs de pôle et la présidence de la CME, les médecins ont appris lors d’une séance exceptionnelle de la CME, le 1er décembre 2017, les suppressions de postes dans leurs services, voire la suppression d’un service”, charge la FA-FPH dans sa lettre à la ministre. Consultée, la CME s’est majoritairement abstenue (19 abstentions, contre 4 pour et 15 contre). “Tout a été fait dans les bureaux de la direction selon des critères que nous, nous ne reconnaissons pas… coefficient d’occupation, équilibre du service… comme si on était une entreprise”, s’insurge Catherine Gaud.

“Les syndicats représentatifs du personnel, membres du comité technique d’établissement, ont été associés au dossier du Copermo, se défend Lionel Calenge. Il y a eu beaucoup de réunions de concertation. C’est vrai qu’on a eu peu de temps… Mais il ne faut pas confondre absence de concertation et absence d’accord”, insiste le directeur, taclant au passage la FA-FPH, “non représentative du personnel et de la CME”. “Ces mesures sont étayées par des indicateurs précis de performance médicale. Aucune n’est sortie d’un tiroir, ce sont des choses dont on discutait depuis un moment… C’est l’ensemble des suppressions qui a impressionné, je peux comprendre ça. Il y aura un suivi mensuel et un accompagnement social”, promet le directeur général.

Le 31 janvier dernier, le Copermo a rendu un avis favorable. Le CHU attend désormais de savoir à combien s’élèvera l’aide de l’Etat. “On a du personnel compétent, des beaux locaux. Nous, on pense vraiment qu’on pourrait faire repartir l’hôpital, lance Catherine Gaud. Mais on ne nous écoute pas.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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