Tout juste élu, le nouveau Président de la Conférence des doyens avait fait hurler les étudiants en médecine la semaine dernière en assurant que les idées noires n’étaient pas spécifiques aux carabins. Pour Egora, le Pr Jean Sibilia s’explique, appelle à écouter la souffrance des étudiants et assure qu’il en fera une priorité de son mandat.

 

Egora.fr : Vous avez tenu des propos qui ont choqué, au sujet du suicide des étudiants en médecine la semaine dernière dans une interview à What’s up Doc

Pr Jean Sibilia : Oui, j’ai trouvé ça curieux… Soit je me suis mal exprimé, soit on n’a pas compris mes propos. Mon seul message, c’est de ne pas être dans le déni. Je le dis d’ailleurs dans l’interview, et je le répète, il ne faut pas être dans le déni. Le décès de ces jeunes est ce qu’on peut vivre de plus terrible. On n’a pas le droit d’instrumentaliser ces drames, mais il est de notre responsabilité d’aborder la question et c’est ce que nous faisons. J’ai été très étonné de la présentation de mes propos qui ne correspond absolument pas à ce que j’ai dit ni à ce que je pense.

 

 

Mais ce qui a surpris, c’est que vous disiez que les troubles dépressifs n’étaient pas spécifiques aux étudiants en médecine, alors même qu’une étude des structures d’étudiants et d’internes en juin dernier a montré qu’ils étaient plus à risque que la population générale…

Oui, mais ça n’est pas spécifique. Aujourd’hui, il y a une problématique de mal-être sociétal qui traverse notre société. Je rappelle que malheureusement les soignants se suicident aussi, que malheureusement les chefs d’établissements se suicident aussi. C’est un problème grave. Quand vous êtes médecin, vous avez une vision humaniste du monde, en tout cas, moi je l’ai. Je suis un médecin humaniste qui aime ses étudiants.

Je suis frappé et désolé que notre société soit traversée par un tel mouvement de désarroi. Mais il ne touche pas que les métiers de la santé, regardez les policiers, gendarmes et militaires qui se suicident… Rappelez-vous de ce qu’il s’est passé à Orange. Evidemment c’est plus compliqué dans le monde de la santé. Et il faut se poser les bonnes questions. Si d’emblée vous dites que c’est uniquement à cause des études de médecine qui sont difficiles et compliquées qu’on se suicide, on est à côté de la plaque.

Tout le monde admet qu’un suicide n’est jamais unifactoriel, mais n’y a-t-il pas des facteurs particuliers aux soignants ?

Absolument. Les soignants sont soumis à une confrontation philosophique avec la question fondamentale de la mort et de la maladie. Quand vous êtes soignant, vous êtes confrontés assez brutalement à ça. C’est un choc psychanalytique complexe. Je l’ai moi-même vécu, quand j’étais étudiant, j’avais trouvé ça très compliqué. Mais il faut s’y préparer puisque c’est notre métier. Demandons-nous collectivement comment affronter cette question profonde.

 

 

Vous convenez tout de même que les études de médecine et la manière dont elles sont organisées aujourd’hui induisent une souffrance et qu’il y a là un problème de fond ?

Oui, tout à fait !  Il y a là un vrai problème et il faut se mettre autour de la table pour aborder les vraies questions. L’analyse est faite depuis un certain temps. Sur le premier cycle, on travaille sur l’accès à la Paces sur les passerelles, la diversification… Sur le second cycle, on a travaillé sur une réforme pour que nos étudiants ne soient plus coincés entre la Paces et les ECN.

Pour la réforme du troisième cycle, qui s’applique aujourd’hui, la problématique est différente. Vous êtes dans un développement professionnel tout à fait différent et la souffrance au travail est d’un autre type, plutôt liée aux conditions de travail. La souffrance que peut éprouver un chirurgien par exemple n’est pas la même que celle d’un biologiste dans un laboratoire… Il va falloir une analyse qualitative. Dire que 30% des internes ont des idées noires, oui… And so what ? On fait quoi ? Où est le nœud ? Notre responsabilité collective est de répondre à ces questions. Je le clame haut et fort. C’est dans ma profession de foi. Parmi mes douze travaux, il y en a un sur le bien être des étudiants. Il n’y a pas de déni. Il y a un travail à faire avec une vision bienveillante. Dans notre métier, on ne peut pas s’exprimer publiquement et ni agir sans bienveillance mutuelle. Il faut que le regard qu’on ait sur les autres soit bienveillant. La souffrance, c’est un ressenti. Il ne faut pas le nier. Il y a peut-être des tas de souffrances qu’on n’a pas bien identifiées. Ecoutons cette souffrance avec bienveillance.

Concrètement, comment va se traduire cette préoccupation durant vos deux ans de mandat ?

On a déjà mis en place beaucoup de choses. Dans toutes nos UFR, nous avons mis en place des commissions d’accueil et d’écoute des étudiants et internes en difficultés. C’est concret et c’est mis en place. Nationalement, on porte aussi une réflexion sur la souffrance au travail des étudiants. Il n’est pas acceptable de laisser souffrir nos étudiants. J’ai trouvé que les critiques envers moi étaient très dures et profondément injustes, quand on sait l’implication de la Conférence des doyens et mon implication personnelle sur le sujet. J’ai d’ailleurs été très heureux d’avoir de multiples messages de soutien de la part de mes étudiants.

Ensuite, cela passe par la mise en place de la réforme du troisième cycle. Avec une vigilance sur les points clés que sont les repos de garde, le respect des heures de travail, de l’investissement dans le projet pédagogique… Cette réforme du troisième cycle considère vraiment les internes comme des étudiants et leur donne du temps. Elle pourra d’ailleurs être améliorée au fil de l’eau.

Sur le deuxième cycle, on verra ce que l’on peut garder des propositions de réforme pour éviter d’être dans l’écrasement entre la Paces et les ECN qui sont deux stress consécutifs. Il faut atténuer ce stress pour que les étudiants se forment correctement, et abordent la phase de projet professionnel autrement que par un classement sec et brut. Il faut leur libérer du temps et les former plus à la compétence qu’à la connaissance.

Justement, votre prédécesseur, auquel vous étiez étroitement lié, plaidait pour une suppression des ECN. Est-ce aussi votre position ?

Oui. On partage totalement le concept. Mais le diable se cache dans les détails. On sortira du tout ECN, j’en suis convaincu. On doit y arriver. Existera-t-il tout de même une barre de régulation partielle à la fin ? Notamment pour les étudiants étrangers, venus de l’UE ? Il va falloir trouver concrètement et juridiquement une formule adaptée au droit européen et à nos souhaits de bien former nos étudiants. On va sortir du tout ECN, mais dire sous quelle forme, c’est encore prématuré. On va sortir d’un classement brut pour favoriser les projets professionnels des uns et des autres en les accompagnant. Ça pourrait décrisper l’enclume des deux concours et donner un peu de bien être aux étudiants.

 

 

Hier, Edouard Philippe a annoncé la fin de la concertation sur la première année et le numerus clausus pour la fin de l’année 2018 et une loi dès 2019. Quelle est votre position sur ce sujet ?

La réflexion est en cours. Il y a des courants de pensée assez différents sur la question. On va d’une disparition totale du numerus clausus à la Olivier Véran, jusqu’à un numerus clausus conservé comme le prône la ministre. Au sein de la Conférence des doyens, c’est la même chose. La tendance est de trouver de toute façon quelque chose d’autre que le numerus clausus. L’accès à l’université pose problème, on le voit bien, mais une dérégulation complète n’est pas envisageable. On ne peut pas imaginer un accès aux études médicales sans contingent. J’aimerai d’ailleurs qu’on n’emploie plus le terme de numerus clausus, mais celui de régulation démographique et qu’elle se fasse région par région pour être adaptée aux besoins. Il faut assouplir les choses. Le tout dans une vision de la médecine de demain. Les étudiants que vous formez aujourd’hui vont exercer dans quinze ans, et la médecine ne sera pas la même qu’aujourd’hui. Elle sera plus ambulatoire, probablement avec plus d’auxiliaires de soins… S’adapter à la médecine de demain, et penser une régulation pour une offre de soins adaptée à demain, c’est ça qui est difficile mais c’est de notre responsabilité.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

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