A force de voir des médecins anéantis quand ils étaient mis en cause par des patients, le Pr Denis Vincent néphrologue et expert judiciaire a tenté de mettre en place un DU “prévention de l’erreur médicale”. En vain. La formation a été suspendue faute d’inscrits. “J’en conclus que les médecins ne se trompent pas.” Aujourd’hui, il continue de plaider pour que les médecins soient mieux formés à l’écoute des patients.

 

Egora.fr : Vous avez essayé de faire un DU sur l’erreur médicale dans votre université. Pour quelle raison ? A qui s’adressait-t-il ?

Pr Denis Vincent : J’ai créé ce diplôme il y a une dizaine d’année à la fac de Montpellier-Nîmes. Etant expert judiciaire et agréé par la Cour de cassation, je n’ai jamais vu un médecin à l’aise lorsqu’il était mis en cause. Soit il est extrêmement préoccupé par les suites potentielles, en raison d’une méconnaissance du système, soit il est choqué de pouvoir être mis en cause. Il m’a paru intéressant d’avertir les médecins de ce qui pouvait leur arriver, puisque la mise en cause est normale et que la loi Kouchner du 4 mars 2002 est une bonne loi, dans la mesure où elle associe le patient aux soins. Je me souviens des commentaires du Conseil de l’Ordre et des patrons de gynéco-obstétrique en CHU au moment de la loi Weil. Depuis, on a fait des progrès. Il peut y avoir une incompréhension de la part du patient, il peut vouloir un deuxième avis… La mise en cause vient souvent de l’impression de ne pas être considéré, de ne pas avoir été entendu. Proposer ce DU, c’était une façon d’avertir le corps médical qu’il fallait faire attention à certaines procédures et que la mise en cause traduisait une demande légale d’un citoyen, que ce n’était pas choquant. Les médecins doivent connaître les schémas judiciaires dans lesquels ils peuvent être emmenés. Une seconde partie de l’enseignement, par des jeux de rôles, visait à permettre de comprendre les relations entre le patient et le médecin.

Au-delà de la prévention de l’erreur, il s’agit donc de la prévention du conflit lié à l’erreur ?

Bien sûr. Il faut avoir à l’esprit que les erreurs médicales sont rares, c’est marginal ! L’origine des conflits, la plupart du temps, vient d’un problème dans la relation médecin-patient ou médecin-famille. La relation médecin-malade obéit à des tas de règles. Quand vous annoncez à quelqu’un qu’il a le cancer, dès que nous prononcez le mot “cancer”, plus rien n’est entendu ensuite. Ça ne sert à rien de continuer. A contrario, j’ai eu un patient atteint d’un cancer du poumon, opéré puis mort des suites opératoires, en raison de complications dramatiques. Ça m’a beaucoup heurté. J’ai ensuite eu un autre patient que j’ai fait opérer d’un cancer. J’ai dit à sa femme, à plusieurs reprises qu’il pouvait y avoir des complications. J’ai prévenu sa femme parce que quand ça se passe mal, on a affaire aux survivants, aux ayants droits. Tout s’est bien passé, il a pu être opéré sans complications. J’avais tellement insisté auprès de sa femme que le patient m’a ensuite dit : “Alors docteur, vous ne vouliez pas que je sois opéré ?”, alors que c’était moi qui l’avait envoyé chez le chirurgien. J’ai compris que j’avais été excessif parce que j’avais été blessé dans d’autres circonstances.

Quelles résistances, quelles difficultés avez-vous rencontrées à la mise en place de ce DU ?

Nous avons eu un inscrit par an. Sauf une année, où nous en avons eu une dizaine et où on a pu faire l’enseignement. Parce que j’avais fait venir des magistrats de Paris, de Marseille, de Nîmes… Les médecins ne se trompent pas. C’est ce que j’en ai conclu. La deuxième raison, c’est l’inertie de la fac qui m’a dit que ça coutait cher, et que le DU allait être mis en veilleuse. Les jeux de rôles ont tout de même été introduits dans le cursus médical. La suspension ne m’a pas choqué, j’ai compris. Mais je me suis rendu compte que nous n’avions pas la bonne approche, puisque nous n’avions pas de succès. Le DU s’adressait à des médecins installés. La seule année où on a eu des inscrits, c’était des médecins qui avaient fait l’objet d’actions pénales, administratives ou civiles, et qui voulaient comprendre comment ça s’était passé.

Vous savez, j’ai démarré mon clinicat au moment du sang contaminé et du Sida. On était à une époque où la médecine génétique commençait à apparaître et où les médecins étaient des dieux vivants qui allaient corriger les erreurs de la nature, je le dis en caricaturant. Et d’un coup, on se rend compte que le système de santé peut être délétère par la transmission du VIH à l’occasion d’une transfusion. La mentalité médicale c’est “On veut soigner les gens, on fait du mieux possible, comment peut-on nous en vouloir ?”. Il y a à la fois une attente très forte de la population et des attentes déçues à l’occasion de ces histoires de sang contaminé et en même temps, de la part des médecins, une formation très sélective qui ne garde que les meilleurs et qui produit une incompréhension psychologique lors d’une mise en cause.

Depuis cette prise de conscience que le médecin peut faire une erreur, jusqu’à aujourd’hui, les médecins n’ont-ils pas évolué sur ce sujet ?

Non, non, il y a eu une très bonne évolution. Mais l’erreur reste quelque chose dont on n’ose pas parler. Je crois que la formation médicale devrait être complétée par une approche humaniste. J’avais proposé à l’époque à mon doyen de permettre aux étudiants d’apprendre le contact avec des patients dès la deuxième année via des stages. Mais bon, l’orientation est à la simulation. Pourtant discuter avec des gens permet d’établir une relation humaine… La prévention idéale à mon sens, est d’intervenir dès la deuxième année de médecine.

Pour le DU, il aurait fallu choisir un titre différent. Il faut savoir que les médecins aiment bien mettre leurs formations complémentaires sur leurs ordonnances, et quelqu’un m’avait fait remarquer que “DU de l’erreur médicale”, sur l’ordonnance pouvait laisser croire aux patients que le médecin faisait des erreurs…

Comment faire évoluer les médecins sur ce sujet-là ?

La réponse est binaire. D’un côté, il faut que les médecins développent leur capacité d’écoute du patient et de l’autre, il faut qu’ils soient techniquement irréprochables. C’est compliqué. La technique humaine induit une part d’inconvénients. L’immense majorité des contentieux était liée à une incompréhension entre le patient, qui a des attentes, et la réponse du médecin, il faut permettre au médecin d’acquérir la formation qui lui permettra d’entrer en contact avec son patient. Et une des choses les plus simples à faire, c’est de l’apprendre dès la deuxième année de médecine parce qu’à ce moment-là, on ne peut pas se réfugier derrière ses connaissances de médecin. Je l’ai fait quand j’étais chef de clinique avec deux groupes d’étudiants, ils ont beaucoup apprécié. C’est une des transmissions importantes à mes yeux.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

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