Le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) fête cette année les dix ans du clinicat de médecine générale. Augmentation du nombre de titulaires et de maîtres de stage, essor de la recherche et développement des maisons de santé universitaires… Le congrès annuel qui s’ouvre aujourd’hui à Montpellier est l’occasion pour cette toute jeune discipline universitaire de mesurer le chemin parcouru. La spécialité de médecine générale est-elle sortie de sa chrysalide ? “Oui, mais”, répond le Pr Vincent Renard, président du collège académique.

 

Egora.fr : Le clinicat de médecine générale a presque 10 ans. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?

Vincent Renard : Le chemin parcouru ces dix dernières années est extrêmement important. Comme on l’avait dit et expliqué aux tutelles de longue date, il fallait que la MG soit universitarisée pour décoller. On ne pouvait pas lui demander un certain nombre de choses alors qu’elle n’était pas reconnue au plan universitaire, qui en France est le passage obligé pour avoir des moyens pour travailler, faire de la recherche et de l’enseignement dans des bonnes conditions.

Dix ans après la naissance de la filière -ou presque, puisqu’on peut la dater de la loi du 8 février 2008, les choses ont considérablement changé. Déjà en termes de moyens donnés, ce qui n’est pas très compliqué puisqu’à l’époque ils n’existaient pas… On est toujours très en retard par rapport à beaucoup de disciplines. Cela dit, le chemin a été important avec les titulaires de MG, un plus grand nombre d’associés, les chefs de clinique, maintenant les assistants universitaires. Et avec les progrès en termes de recherche : le congrès montrera une fois de plus la vitalité du tissu.

Au 31 octobre 2017, il y avait 187 enseignants en médecine générale, soit un ratio de 1 pour 82 étudiants. C’est bien moins que les autres spécialités (1/10) mais plus qu’en 2014 (plus d’1/100). Comment jugez-vous cette progression ?

C’est encourageant. Incontestablement, les trois dernières années ont été marquées par l’accélération du processus avec la titularisation d’un certain nombre d’associés. Il y a du chemin à parcourir, qui nécessite un effort de la discipline dans la formation des jeunes et dans les possibilités qu’on leur donne. Pour cela, il faudrait que le vivier soit plus important. 150 chefs de clinique pour 10.000 internes, c’est infiniment moins que pour les autres disciplines.

Il serait temps que les jeunes internes aient autant de perspectives que les autres, de manière à ce qu’on ait plus de candidats pour les postes universitaires. Là, je fais un petit coucou aux sénateurs qui interpellent la ministre pour lui demander de prendre des mesures coercitives, alors qu’il faudrait plutôt rendre les choses plus attractives pour les jeunes en amont…

Il faut continuer le mouvement sur les enseignants associés, qui allient l’exercice au quotidien avec les responsabilités universitaires et qui sont pour nous des éléments extrêmement importants. La croissance existe mais elle est encore trop faible, les tutelles peuvent mieux faire.

Quels sont les freins ?

Le premier, c’est la manière dont sont structurées les études de médecine. Le système des ECN, avec incitation au bachotage en découpant l’individu en organes, formate les étudiants sur un mode qui n’est pas du tout celui de l’approche globale de la personne humaine et de la médecine générale. Faut pas s’étonner ensuite qu’ils ne se destinent pas à la MG… Il y a un gros effort structurel à faire, notamment dans le 2ème cycle et dans son évaluation pour y mettre plus de globalité et de clinique et je me félicite que ce soit le chantier entamé.

Le deuxième problème, c’est la structuration et les moyens du DES. Il manque incontestablement une 4e année professionnalisante pour que les internes s’estiment prêts à exercer dans les territoires et y soient formés, et il y a encore un ratio enseignants-enseignés à améliorer. C’est d’autant plus important si on veut inciter les jeunes à aller dans les territoires : les unités de formation sont délocalisées, ce sont des toutes petites structures; ça nécessite des moyens d’encadrement, de formation, de supervision importants. C’est bien pour ça que les effectifs de la filière prennent une importance considérable. Je le rappelle aux élus, qui au lieu d’agiter la contrainte ferait bien de réfléchir à la structuration de la formation initiale…

Comment ont évolué les mentalités à l’Université vis-à-vis de la filière, s’agissant notamment des titularisations ?

Ce n’est pas difficile que ce soit plus facile, vu que c’était impossible avant ! Les mentalités changent. Lentement, mais incontestablement; on n’est plus dans la situation d’il y a 10-15 ans. La spécialité est acceptée, mieux accompagnée d’une part par les doyens, d’autre part par les tutelles où il y a une prise de conscience extrêmement importante. C’est maintenant compris aussi par la CNAMTS, dont le directeur viendra au congrès pour la première fois.

Mais tant qu’on sera encore confronté à des témoignages multiples d’étudiants à qui on dit de travailler sinon ils finiront MG, on se rend compte qu’il y a encore un peu de chemin à faire… Dans un certain nombre d’établissements hospitaliers, la MG reste mal connue, mal comprise et dévalorisée.

Pour les titularisations, il y a eu un effort fait sous le précédent mandat avec deux fois 40 postes supplémentaires mais on part de très très loin. Le ratio sur le clinicat reste très loin des autres disciplines. L’ambition n’est pas forcément d’être équivalent, mais le rattrapage est immense. Si on veut demain des centres et maisons de santé universitaires qui forment un maillage sur le territoire, il faudrait des postes de chefs de clinique. On en a actuellement 4 à 5 par UFR… la logique serait de les doubler pour qu’ils puissent essaimer autour des facultés, exercer en ambulatoire comme leur statut le prévoit, dans des lieux d’exercice regroupés où ils donnent une dynamique en termes d’enseignement et de recherche.

Comment se passe la mise en place de la réforme du 3ème cycle ?

C’est une réforme ambitieuse, au-delà du manque d’une 4e année pour le DES de MG, qui pose quand même un problème structurel important… Tant que le DES de MG restera le seul à 3 ans, il ne faut pas s’étonner que dans la tête des internes et du grand public il y ait une dévalorisation de la discipline.

Mais la réforme met l’accent sur le versant ambulatoire de la formation et aide les internes à construire leurs compétences, plutôt qu’à accumuler leurs connaissances. Ça impose des contraintes importantes à la discipline, avec des effectifs qui rendent difficile sa mise en œuvre. Ce qui est prévu réglementairement sera respecté : le stage ambulatoire de niveau 1 sera offert à tous les internes de 1ère année dans les 3 ans et le Saspas sera organisé pour tout le monde.

Dans son plan de lutte contre les déserts, la ministre de la Santé a annoncé plusieurs mesures visant à favoriser les stages en ambulatoire, comme la revalorisation de 50% de l’indemnité de maitre de stage dans les zones sous-dotées. Est-ce suffisant pour vous ? Qu’attendez-vous de ce gouvernement ?

Ces mesures sont bienvenues et correspondent à une vraie prise de conscience que la santé des Français passera par un maillage du territoire efficace, avec des professionnels bien formés. On est dans la perspective de faciliter la tâche, ce qui n’était pas le cas par le passé où on était dans une injonction à faire sans donner les moyens.

Simplement, je fais remarquer que pour la médecine générale et les soins primaires au sens large les territoires en difficulté, c’est de plus en plus partout. Alors quand on dit aider les maîtres de stage, aider les internes, c’est partout qu’il faut le faire. Il n’y a pas de zones sur-dotées en MG, il n’y a que des zones plus ou moins sous-dotées.

Les moyens humains dans les départements de MG consacrés au recrutement et à la formation des maitres de stage sont considérables. Mais à force de ratisser le paysage, ça devient beaucoup plus difficile. Clairement, il y a besoin de mesures incitatives. On ne deviendra jamais riche en étant maître de stage, mais il faudrait que les conditions offertes soient meilleures et mieux reconnues pour que les étudiants de 2ème cycle et les internes soient formés dans les territoires. Rappelons que c’est le meilleur levier pour qu’ils y exercent et s’y installent.

Où en est-on du développement des maisons et centres de santé universitaires ?

Le texte vient d’être publié. Maintenant que les choses sont éclaircies, tout le monde va pouvoir se mettre en ordre de marche et il y a un certain nombre de structures qui vont pouvoir être labellisées officiellement dès le courant de l’année 2018. L’ambition est à terme d’en avoir une, voire deux ou trois, dans tous les départements, pour établir des vrais lieux universitaires d’excellence en termes de formation et de recherche hors les murs de la faculté.

Comment se porte la recherche en médecine générale ?

Malgré le fait qu’on a élargi l’espace du congrès à deux jours et demi, on a le taux d’acceptation le plus faible de tout l’histoire étant donné le nombre de soumissions, avec un niveau requis de plus en plus grand. On voit bien l’essor des publications avec les premières titularisations. Le nombre de publications indexées et totales continue à monter année après année, avec une rapidité qui n’était même pas attendue, et avec de grandes études françaises qui seront présentées lors du congrès. Il y a dix ans, c’était complètement impensable.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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